L’air du monde de Victor Kathémo : la douloureuse existence de Jérôme Jauréguy

Habitué de la maison d’édition de L’Harmattan, il s’est aussi illustré chez Myriapode. Victor Kathémo publie en 2014 un roman pour le moins marquant, portant le titre suivant : l’air du monde … Ce texte peint des destins entrecroisés, des histoires qui peuvent sembler anecdotiques, mais qui prennent une forme tout autre.

Dans son ouvrage de 184 pages, l’auteur Kathémo met en avant son personnage Jérôme Jauréguy. Pour cet ancien opérateur de presse en imprimerie, son quotidien s’est vu chambouler par un licenciement économique. Lorsqu’il était actif, il pouvait s’épanouir, voyager, penser. Malheureusement, la fin de ce travail va également signer une autre perte… Celle de son amour : la mère de son seul et unique enfant. À peine né, Jérôme est brutalement éjecté de sa vie de père. Une situation terrible, que l’auteur parvient à décrire avec une justesse rare. En effet, les lecteurs devront s’armer de courage pour faire face au monstre de Jauréguy : sa propre dépression.

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Son état mental faiblit, il se montre de moins en moins vivace… De plus, son aménagement dans un immeuble peu accueillant n’améliore en rien son statut déjà précaire. Son seul remède semble être cette fenêtre qui donne sur la cour d’une école. Dans la cour de récréation, les petits jouent, courent, rient, vivent. En somme, ils font tout ce que Jérôme ne peut plus faire. Totalement exclu, marginal, Jérôme réussit à tisser un lien avec ces enfants, sans pour autant le faire directement. Par exemple, il dépose des cadeaux, ce qui provoque en eux une joie incommensurable et attendrissante…

Malheureusement pour lui, cette attitude pourtant innocente au travers de son propre regard peut s’avérer dérangeante, voire inappropriée. C’est pourquoi Jérôme est mis en examen pour pédophilie. Bien qu’il ne soit coupable de rien, ce narrateur va s’adresser au juge… C’est-à-dire le lecteur lui-même.

Dans ce roman, l’accusé explique comment il en est arrivé là. Pourquoi est-ce qu’une personne bien intégrée à la société s’est retrouvée en marge délaissée et incomprise ? Même s’il souffre de dépression, le personnage principal paraît comme très humain et crédible. Ce n’est pas un « héros » à proprement parler : il n’a pas accompli de prouesses dignes d’un demi-dieu… Mais le lecteur s’attachera forcément à lui. Détruit par la vie, il ne se laisse pas faire. Non, ses gestes n’ont jamais été déplacés.

Finalement, à voir le mal partout, est-ce que ceux qui accusent ne deviendraient-ils pas eux-mêmes les véritables pervers ?

Voilà qui rappelle la polémique autour du clip « Chandelier » de Sia, Maddie Ziegler. Alors âgée de 13 ans seulement – la prodigieuse artiste dévoilait un talent précoce pour la danse. En justaucorps couleur chair, la petite portait un carré blond : la signature de Sia. Désormais culte et même classée parmi les meilleures chansons de ces dernières années, la vidéo avait longuement fait jaser. Certains voyaient une « sexualisation » de l’enfant, tandis que d’autres soulignaient qu’il ne s’agissait que d’une performance artistique...

Tout au long du livre, Kathemo présente un récit original, sous une forme presque épistolaire. Il faut dire que Jérôme lui-même se perd, en proposant notamment des histoires qui ne semblent pas du tout liées au crime qui lui est reproché. Cela est sans doute volontaire, de la part de l’auteur – car la vie n’est pas aussi simple film que l’on déroule. Plus à l’image d’un arbre aux nombreuses branches, Jérôme digresse.
 
S’attacher à ces enfants, c’est peut-être parce qu’il n’a pas pu élever le sien. Quand un individu sombre dans la dépression, il n’est pas rare de la voir chercher du soutien affectif ou de retomber en enfance, afin de se réconforter, de s’apaiser. Même si l’enfance de la personne n’était pas glorieuse, c’est un mécanisme que l’on observe chez de multiples cas.

Dans ce contexte sans violence, où tout semble si simple et coloré, Jérôme souffre d’une incompréhension de ses pairs. En psychologie, de nombreux experts s’accordent à dire que nous avons tous un « enfant intérieur ». D’ailleurs, nous sommes définis par les expériences passées, les histoires que nous connaissons, les légendes que nous racontons. Avec brio, le romancier réussit l’exploit de traiter un sujet extrêmement dérangeant, un crime atroce, une abomination sans nom.

La pédophilie est un fléau, qui sévit de plus en plus sur le net, via des dossiers de pédopornographie qui se partagent sur d’obscurs forums que seuls les initiés connaissent. Plutôt que de tirer dans la bonne direction, les autorités préfèrent trouver un bouc émissaire, pour se donner bonne conscience. La quête de la vérité sera-t-elle satisfaisante pour le lecteur ? Pour le savoir, il suffit de se plonger dans L’air du monde, un roman original et coup de poing — où le lecteur voyagera en eaux profondes et sombres comme la nuit — malgré quelques éclaircies.

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