Philosophe, auteur, acteur, Yves Cusset se met en scène et nous met en scène. Ses spectacles et les textes qui en constituent le matériau sont une joyeuse invitation à découvrir et à partager une philosophie originale, d’autant plus pertinente qu’elle ne se prend pas au sérieux.
Yves Cusset, le titre de votre livre Tractatus philo-comicus fait très sérieux, on pense à Wittgenstein.
C’est la tradition des ouvrages philosophiques depuis Spinoza jusqu’à Wittgenstein. J’aurais préféré "Rigolo philo-comicus" mais l’éditeur préférait "Tractatus" et l’éditeur a toujours raison.
Sur la couverture du livre, le titre est heureusement surmonté d’un nez de clown. On sait où l’on va.
J’espère. On ne prend pas le tractatus trop au sérieux .
Est-ce que c’est un livre pour rire ?
Votre question est tellement ambiguë qu’il n’est pas facile d’y répondre, mais l’ambiguïté fait partie de ce dont je parle, elle est présente dans l’ironie,dans l’humour , dans le fait qu’on y perd ses points de repère. Un livre pour rire…sûrement. Et en même temps l’un des plus importants, des plus sérieux pour moi. Jusqu’ici je pratiquais la philosophie avec des essais plutôt classiques, universitaires,de la philosophie politique et de l’autre côté je pratiquais et je pratique toujours l’humour avec des spectacles à contenu philosophique. Là il y a une dimension plus explicitement humoristique et sûrement pas didactique et encore moins universitaire. C’est la première fois que je pense philosophiquement cette pratique de l’humour et que j’essaie de faire se recouper les parallèles, la difficulté étant que soit on prend le rire pour objet (Ce qui a déjà été fait), soit on rit.
Vous êtes à la fois philosophe, auteur, acteur…Vous dites que le rire secoue les frontières établies. C’est aussi ce que vous faites dans votre livre, vous secouez les distances en mêlant Hegel, Freud, Montaigne, Pierre Dac, Charles Trénet, Pierre Desproges. Vous tutoyez presque Spinoza…
Je trouve qu’il y a dans la philosophie une sorte de puérophobie, une peur de l’enfance. Le point de vue philosophique se situe toujours d’un idéal de maturité, on est sorti de la caverne et on est au bout d’une sorte d’achèvement intellectuel, et même si on ne possède pas la sagesse, puisque c’est le principe de la philosophie, on est toujours arrivé au bout d’un trajet de développement intellectuel, c’est toujours à partir de là qu’on philosophe. Le fait qu’on enseigne la philosophie en terminale n’est pas un hasard. J’ai envie de remettre de l’enfance dans tout ça, une forme de naïveté au premier degré. Dans mes spectacles je fonctionne au deuxième degré et tout d’un coup je retombe dans la plaisanterie au premier degré, enfantine, qui consiste à s’amuser de tout ce qui est établi parce qu’on en a besoin, parce qu’il faut se décharger du poids de cette contrainte sociale qui pèse sur nous et nous oblige à une certaine solennité. J’ai vraiment besoin de réintroduire de l’enfance dans la philosophie, ainsi que du ludique, du jeu, de la plaisanterie gratuite, parfois du potache.
Yves Cusset, le titre de votre livre Tractatus philo-comicus fait très sérieux, on pense à Wittgenstein.
C’est la tradition des ouvrages philosophiques depuis Spinoza jusqu’à Wittgenstein. J’aurais préféré "Rigolo philo-comicus" mais l’éditeur préférait "Tractatus" et l’éditeur a toujours raison.
Sur la couverture du livre, le titre est heureusement surmonté d’un nez de clown. On sait où l’on va.
J’espère. On ne prend pas le tractatus trop au sérieux .
Est-ce que c’est un livre pour rire ?
Votre question est tellement ambiguë qu’il n’est pas facile d’y répondre, mais l’ambiguïté fait partie de ce dont je parle, elle est présente dans l’ironie,dans l’humour , dans le fait qu’on y perd ses points de repère. Un livre pour rire…sûrement. Et en même temps l’un des plus importants, des plus sérieux pour moi. Jusqu’ici je pratiquais la philosophie avec des essais plutôt classiques, universitaires,de la philosophie politique et de l’autre côté je pratiquais et je pratique toujours l’humour avec des spectacles à contenu philosophique. Là il y a une dimension plus explicitement humoristique et sûrement pas didactique et encore moins universitaire. C’est la première fois que je pense philosophiquement cette pratique de l’humour et que j’essaie de faire se recouper les parallèles, la difficulté étant que soit on prend le rire pour objet (Ce qui a déjà été fait), soit on rit.
Vous êtes à la fois philosophe, auteur, acteur…Vous dites que le rire secoue les frontières établies. C’est aussi ce que vous faites dans votre livre, vous secouez les distances en mêlant Hegel, Freud, Montaigne, Pierre Dac, Charles Trénet, Pierre Desproges. Vous tutoyez presque Spinoza…
Je trouve qu’il y a dans la philosophie une sorte de puérophobie, une peur de l’enfance. Le point de vue philosophique se situe toujours d’un idéal de maturité, on est sorti de la caverne et on est au bout d’une sorte d’achèvement intellectuel, et même si on ne possède pas la sagesse, puisque c’est le principe de la philosophie, on est toujours arrivé au bout d’un trajet de développement intellectuel, c’est toujours à partir de là qu’on philosophe. Le fait qu’on enseigne la philosophie en terminale n’est pas un hasard. J’ai envie de remettre de l’enfance dans tout ça, une forme de naïveté au premier degré. Dans mes spectacles je fonctionne au deuxième degré et tout d’un coup je retombe dans la plaisanterie au premier degré, enfantine, qui consiste à s’amuser de tout ce qui est établi parce qu’on en a besoin, parce qu’il faut se décharger du poids de cette contrainte sociale qui pèse sur nous et nous oblige à une certaine solennité. J’ai vraiment besoin de réintroduire de l’enfance dans la philosophie, ainsi que du ludique, du jeu, de la plaisanterie gratuite, parfois du potache.
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Vous venez de parler du poids social, mais vous évoquez aussi un poids tragique, vous évoquez souvent l’idée de nullité. Vous écrivez « Etre suffisamment léger pour laisser sans danger le sol se dérober sous nos pieds, et avoir ainsi le temps de se regarder tomber en riant. »
Cette légèreté permet au rire et à l’intelligence de se rejoindre. Entre les deux il faut accepter l’idiotie. Je fais sociologiquement partie des intelligents mais on peut être frappé par l’abrutissement des intelligents, on peut s’abrutir de sa propre intelligence. Je suis de l’avis de Jacques Rancière…on peut s’abrutir du sentiment de sa propre supériorité comme souvent les professeurs d’université, comme les grands penseurs médiatisés qui oublient leur propre nullité. Derrière cette position sociale, il y a toujours cette nullité partagée qu’on s’échine à dissimuler tout au long de son existence autant que faire se peut parce que l’idée de sa propre nullité est plutôt dépressive quand on a fait un certain effort pour s’élever socialement. Il est difficile de sourire de sa propre nullité parce que le comique consiste à voir que la nullité qu’on décèle chez l’autre, on la partage. C’est pourtant ce qui nous libère et c’est l’un des ressorts indispensables du comique. Quant à moi, je considère que le comique consiste à regarder en face sa propre nullité et à en faire une force de réjouissance, ce que j’appelle la légèreté.
Vous distinguez le rire qui sépare et celui qui rapproche.
Oui, mais quand j’écris un spectacle comique, je ne me dis pas que je veux un rire qui rapproche, que je suis gentil et que les autres sont méchants…J’espère que le livre ne moralise pas la chose. Je crois qu’il y a la possibilité d’un rire profond, un rire qui approfondirait notre regard sur le monde et nous libère de ce qui pèse sur nous, mais il est évident qu’il y a un rire moqueur et qu’il ne faut pas s’en priver parce que ce ne serait pas gentil pour l’autre.
Je m’inclus dans le rire parce que je ne peux pas faire autrement, j’en suis le principal objet ; ça doit passer par moi au sens que Sartre donne à ces phrases « Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » Passer par soi reproduit un principe d’égalité. Le principe de l’humour est de partir de sa propre nullité et d’en faire une source de joie commune.
Pourquoi faites-vous de la scène ?
Vers quatorze ans, je draguais une nana, je l’ai suivie au cours de théâtre par intérêt pour elle ,qui est devenu un intérêt pour le théâtre. Les cours avaient lieu au Point Virgule où je rencontrais des humoristes pour lesquels j’ai un intérêt modéré aujourd’hui. J’ai cependant gardé pour eux une admiration due à ce qu’ils font rire pendant une heure, rire vraiment, à gorge déployée. Nous connaissons tous des blagueurs, des gens qui font rire, mais entre ça et faire un spectacle comique, il y a une grande distance. J’ai décidé de faire ça, de faire rire parce qu’enfant je ne riais pas assez, je ne voyais pas de raisons de rire ; ces gens-là m’ont donné des raisons de rire en faisant rire. Profondément, faire rire est peut-être retrouver le rire qu’on a perdu. Pour ça, j’avais besoin de matériau qui ne débouche pas sur un rire fabriqué. Une juxtaposition d’effets comiques ne fait pas un spectacle, même si ça marche parce qu’il y a une dimension excitationnelle. On crée une société non pas de l’humour ou du rire, mais de l’excitabilité.
Est-ce que l’élection de Trump n’est pas une occasion de rire ? Ça semble correspondre à une espèce de défoulement profond.
[Rire] Oui. C’est le cas, et puis c’est un personnage éminemment comique. Il va y avoir de quoi faire. On a déjà eu Sarkozy en France. On est dans cette proximité que signale Freud entre ce qui nous sépare et ce qui nous fait rire ; rien n’est plus proche selon lui du rire que l’angoisse. Il y a dans tous ces objets de crainte la possibilité de puiser des ressources comiques.
Vous parlez de l’importance de l’idiotie. Charles Pépin l’évoque dans Les vertus de l’échec, comme d’autres auteurs aujourd’hui.
Etre idiot, c’est retrouver le réel alors que le sérieux c’est l’oublier. Le réel est idiot et dans l’humour il y a quand même une culture de l’idiotie, à ne pas confondre avec l’abrutissement. Pour moi, l’idiotie n’est ni un défaut ni une qualité mais le fait de la platitude inconditionnelle du réel. Celui qui ne voit jamais la profondeur des choses voit d’autant mieux le réel. Ce premier degré est tellement puissant qu’il nous éveille.
Ce que j’aime dans le travail du clown, c’est de se refuser à interpréter les choses. Pour le clown, il n’y a que ce qui est là, la situation qui se présente à lui…
Faire de la scène vous évite d’être schizophrène, puisque le philosophe, lui, est toujours dans l’interprétation.
Le philosophe est schizophrène parce qu’il est dans l’interprétation et en même temps il recherche le réel, il recherche quelque chose qui arrêterait le mouvement infini de l’interprétation.
Trouver le livre : Yves Cusset "Rire" chez flammarion
Cette légèreté permet au rire et à l’intelligence de se rejoindre. Entre les deux il faut accepter l’idiotie. Je fais sociologiquement partie des intelligents mais on peut être frappé par l’abrutissement des intelligents, on peut s’abrutir de sa propre intelligence. Je suis de l’avis de Jacques Rancière…on peut s’abrutir du sentiment de sa propre supériorité comme souvent les professeurs d’université, comme les grands penseurs médiatisés qui oublient leur propre nullité. Derrière cette position sociale, il y a toujours cette nullité partagée qu’on s’échine à dissimuler tout au long de son existence autant que faire se peut parce que l’idée de sa propre nullité est plutôt dépressive quand on a fait un certain effort pour s’élever socialement. Il est difficile de sourire de sa propre nullité parce que le comique consiste à voir que la nullité qu’on décèle chez l’autre, on la partage. C’est pourtant ce qui nous libère et c’est l’un des ressorts indispensables du comique. Quant à moi, je considère que le comique consiste à regarder en face sa propre nullité et à en faire une force de réjouissance, ce que j’appelle la légèreté.
Vous distinguez le rire qui sépare et celui qui rapproche.
Oui, mais quand j’écris un spectacle comique, je ne me dis pas que je veux un rire qui rapproche, que je suis gentil et que les autres sont méchants…J’espère que le livre ne moralise pas la chose. Je crois qu’il y a la possibilité d’un rire profond, un rire qui approfondirait notre regard sur le monde et nous libère de ce qui pèse sur nous, mais il est évident qu’il y a un rire moqueur et qu’il ne faut pas s’en priver parce que ce ne serait pas gentil pour l’autre.
Je m’inclus dans le rire parce que je ne peux pas faire autrement, j’en suis le principal objet ; ça doit passer par moi au sens que Sartre donne à ces phrases « Si je range l’impossible Salut au magasin des accessoires, que reste-t-il ? Tout un homme, fait de tous les hommes et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. » Passer par soi reproduit un principe d’égalité. Le principe de l’humour est de partir de sa propre nullité et d’en faire une source de joie commune.
Pourquoi faites-vous de la scène ?
Vers quatorze ans, je draguais une nana, je l’ai suivie au cours de théâtre par intérêt pour elle ,qui est devenu un intérêt pour le théâtre. Les cours avaient lieu au Point Virgule où je rencontrais des humoristes pour lesquels j’ai un intérêt modéré aujourd’hui. J’ai cependant gardé pour eux une admiration due à ce qu’ils font rire pendant une heure, rire vraiment, à gorge déployée. Nous connaissons tous des blagueurs, des gens qui font rire, mais entre ça et faire un spectacle comique, il y a une grande distance. J’ai décidé de faire ça, de faire rire parce qu’enfant je ne riais pas assez, je ne voyais pas de raisons de rire ; ces gens-là m’ont donné des raisons de rire en faisant rire. Profondément, faire rire est peut-être retrouver le rire qu’on a perdu. Pour ça, j’avais besoin de matériau qui ne débouche pas sur un rire fabriqué. Une juxtaposition d’effets comiques ne fait pas un spectacle, même si ça marche parce qu’il y a une dimension excitationnelle. On crée une société non pas de l’humour ou du rire, mais de l’excitabilité.
Est-ce que l’élection de Trump n’est pas une occasion de rire ? Ça semble correspondre à une espèce de défoulement profond.
[Rire] Oui. C’est le cas, et puis c’est un personnage éminemment comique. Il va y avoir de quoi faire. On a déjà eu Sarkozy en France. On est dans cette proximité que signale Freud entre ce qui nous sépare et ce qui nous fait rire ; rien n’est plus proche selon lui du rire que l’angoisse. Il y a dans tous ces objets de crainte la possibilité de puiser des ressources comiques.
Vous parlez de l’importance de l’idiotie. Charles Pépin l’évoque dans Les vertus de l’échec, comme d’autres auteurs aujourd’hui.
Etre idiot, c’est retrouver le réel alors que le sérieux c’est l’oublier. Le réel est idiot et dans l’humour il y a quand même une culture de l’idiotie, à ne pas confondre avec l’abrutissement. Pour moi, l’idiotie n’est ni un défaut ni une qualité mais le fait de la platitude inconditionnelle du réel. Celui qui ne voit jamais la profondeur des choses voit d’autant mieux le réel. Ce premier degré est tellement puissant qu’il nous éveille.
Ce que j’aime dans le travail du clown, c’est de se refuser à interpréter les choses. Pour le clown, il n’y a que ce qui est là, la situation qui se présente à lui…
Faire de la scène vous évite d’être schizophrène, puisque le philosophe, lui, est toujours dans l’interprétation.
Le philosophe est schizophrène parce qu’il est dans l’interprétation et en même temps il recherche le réel, il recherche quelque chose qui arrêterait le mouvement infini de l’interprétation.
Trouver le livre : Yves Cusset "Rire" chez flammarion