Jacques Villeglé, palimpsestes, mémoire et création

Aux âmes bien nées la valeur ne se compte pas en années.

Jacques Villeglé est né en 1926. Son œuvre est de plus en plus d’actualité  aujourd’hui puisque nous nous préoccupons de récupération, de recyclage, de démarches écologiques pour l’environnement mais aussi pour nous-mêmes qui en faisons totalement partie.

 Considéré comme l’un des fondateurs du Pop Art, Jacques Villeglé s’est amusé – car le jeu est une dimension indispensable à toute production sérieuse – à récupérer des affiches murales lacérées et à les travailler en une œuvre de création et de mémoire reposant sur le palimpseste, cette technique qui consiste à utiliser plusieurs fois le même support en recouvrant l’œuvre précédente à chaque reprise. La mémoire procède un peu de la même façon pour créer du sens.

Le travail de Jacques Villeglé est d’autant plus intéressant que les publicités transforment nos cités en écrans géants et que nos écrans projettent des télé réalité. Ecrans qui finissent par ne plus rien révéler à force de faire écran à la créativité et à l’intelligence ?

On se souvient de Patrick Le Lay, PDG de TF1, qui déclarait « Il y a beaucoup de façons de parler de la télévision. Mais dans une perspective ”business”, soyons réaliste : à la base, le métier de TF1, c’est d’aider Coca-Cola, par exemple, à vendre son produit (...).

Or pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible : c’est-à-dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca-Cola, c’est du temps de cerveau humain disponible (...).

Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité. C’est là que se trouve le changement permanent. Il faut chercher en permanence les programmes qui marchent, suivre les modes, surfer sur les tendances, dans un contexte où l’information s’accélère, se multiplie et se banalise. »

On nous parle désormais d’intelligence artificielle alors que les robots mélangeurs, doseurs, cuiseurs envahissent les cuisines afin de dégager pour leurs propriétaires du temps permettant… de regarder des écrans.
 

A quand le robot éleveur d’enfant, donneur de biberon, changeur de couche, équipé d’un téléphone, d’un ordinateur, d’une console de jeux et de vivre, robot qui pourrait même, paraît-il tenir lieu d’urne funéraire ?
L’humour de Sempé n’est pas loin, ni son dessin représentant un couple planté devant la tété alors que son rejeton, dans le couloir et dans son dos s’exclame, dans la plus totale indifférence « Papa, maman, je marche !!!! »

Au lieu de « regarder la réalité  en face » par le filtre de chiffres, de statistiques ou d’écrans, regardons les différentes strates de réalité et de mémoire que nous propose l’artiste.

De la mémoire vraiment vive.

Jacques Villeglé a bien voulu nous envoyer ses définitions ou commentaires pour accompagner certains mots que nous lui avons suggérés. Il nous a envoyé quelques photos pour en illustrer quelques uns.

Ardoise : dans ma jeunesse, l'ardoise noire de l'écolier était le symbole de l'école de Jules Ferry.
 
Mémoire : c'est dans une époque de pénurie financière, le marché de l'art étant au plus bas, que j'ai commencé à écrire mes mémoires ou sur mon œuvre. Il n'est nul besoin d'argent pour devenir écrivain, de l'encre, du papier et se rendre dans des bibliothèques. Avoir le sens de l'économie, bien sûr.
 
Palimpseste : peut être utilisé pour évoquer l'œuvre des Nouveaux Réalistes mettant en valeur artistique des affiches lacérées.
Georges Noël, l'artiste qui invita les affichistes Hains, Dufrêne, Villeglé à la première biennale de Paris de 1959, faisait des tableaux auxquels il donnait le nom générique "Palimpseste".
 
Jeu : il y a les jeux de hasard, les dadaïstes mirent en avant l'idée de jeu.
 
Facéties : conduit à l'imprévu, à la surprise qui rompt au sérieux de l'ordonnancement.
 
Sens : est modifié par contresens qui crée la surprise.
 
Street art : ou l'animation de murs banals.
 
L'art politique : est cynique, il écarte les naïfs.
 
Expression : Henri Michaux a, comme Jarry avec Bosse-de-Nage, tenté de jouer avec la non-expression : HA ! HA !
 
Son : les affichistes fréquentèrent leurs contemporains les lettristes qui, avec le magnétophone, composèrent seulement avec le son des poèmes ne pouvant plus être transcrits.
 
Détournement : j'ai beaucoup estimé les détournements de Guy-Ernest Debord, même s'ils furent parfois cruels. C'est le sel des relations.
 
Récupération : fut un mot employé positivement par Arman pour ses premières créations.
 
Mélanges : c'est un mot que j'associe avec négatif.
 
Profusion : c'est Mai 68.
 
Codes : c'est comme étiquette, une attitude à éviter en souplesse.
 
Absurde : dans les caricatures, cela permet d'être génial, rappeler les Shadoks, c'est tout naturel.