Picasso. L'atelier du Minotaure. Exposition lumineuse au Palais Lumière d'Evian

Olivier Le Bihan, commissaire de l'exposition, nous présente ce Picasso/Minotaure qu'on peut visiter du 30 juin au 7 octobre 2018.

Olivier Le Bihan ,quel est l’esprit de cette exposition ?
Le « morceau de résistance » en est Picasso-Minotaure, c’est-à-dire l’appropriation par Pablo Picasso de ce thème du Minotaure dans son travail entre les années 1928 et 1959. Il s’agit de replacer le travail de Picasso dans un contexte artistique, littéraire, culturel. Nous remontons aux sources du mythe, nous recherchons les influences que Picasso a ressenties, car sa culture le portait vers une curiosité qui dépassait de loin la tauromachie. Il était curieux de l’antiquité, de l’archéologie. Il participe donc d’un grand mouvement dans lequel les choses de l’antiquité, la sculpture, la mosaïque, la céramique vont envahir la scène visuelle et artistique pour influencer les peintres.
Le propre d’un mythe est de s’enrichir au fil du temps…pourrait –on dire que vous faites se rejoindre un mythe moderne, Picasso, et un mythe de l’antiquité ?
C’est un mythe complexe. Le Minotaure est une espèce de croquemitaine, un être pas très sérieux. Il dévore des jeunes filles et des jeunes gens mais il a une mâchoire de bovin. Comment le représenter ? Avec quatre pattes ? Un torse d’homme ? La représentation de ce monstre entraîne des hésitations, comme celle du centaure et elle monopolise un certain nombre d’artistes depuis le 18° siècle.
     Et l’on découvre une fresque , justement au 18° siècle, à Herculanum. On se rend compte que les anciens avaient représenté le Minotaure avec un buste d’homme et une tête de taureau ; c’est le point de départ d’une iconographie qui va être retenue, notamment par Picasso.
Il faut noter aussi la dimension psychanalytique. Peut-on considérer que Picasso lui-même est une sorte de Minotaure ?
Oui, il l’est, il le revendique. Ce Minotaure représente finalement toutes les pulsions inconscientes pour un Picasso qui, à un moment, est proche du mouvement surréaliste. Il va d’ailleurs faire avec ce Minotaure la couverture d’une revue qui s’appelle justement « Minotaure », qui va réunir autour d’André Breton quantité d’artistes importants de cette période. Une grande exposition à Bruxelles révèlera toute cette mouvance à laquelle Picasso adhère du bout des doigts.
 

L’une des caractéristiques de l’art est peut-être de jeter un regard sans cesse nouveau sur des choses qui peuvent paraître anciennes.
Picasso s’identifie à ce personnage qui a des pulsions obscures et dans le même temps, avec les prémisses de la guerre 39/45, le Minotaure va incarner l’image conquérante d’Hitler qu’on représente en Minotaure.
   La richesse et la densité du Minotaure font qu’il est vu tantôt d’un seul point de vue artistique et psychanalytique qui intéresse aussi les Surréalistes, tantôt à travers une interprétation littéraire. Balzac avait fait du Minotaure le personnage du séducteur ; pour tout le 19° siècle le Minotaure est, par excellence, le séducteur. Un couple destiné par Rodin à la porte de l’enfer, représente le thème du Minotaure enlaçant une jeune femme. Le monstre anthropophage de l’antiquité représente alors les désirs, les pulsions.
Il y a donc toujours des choses à apprendre sur Picasso et grâce à lui ?
Absolument. C’est un artiste qui dépasse finalement dans son travail beaucoup de recherches engagées. Il a la réputation d’épuiser les sujets. En réalité, il n’a épuisé ni la peinture, ni la sculpture, ni la céramique mais il les a redynamisées avec une curiosité inlassable : il va en Italie, à Naples, à Pompéi. Il fait un parcours somme toute classique de recherche vers le passé.

Classique et universel.
Bien sûr, puisque le grand thème de ces expositions est « Picasso-Méditerranée », qui réunit 70 institutions autour de la volonté de faire connaître des aspects connus ou moins connus de Picasso. Il s’agit de changer un peu le point de vue du grand public sur un artiste génial qui permet à travers une grande transversalité de faire vivre des dialogues multiples.
  On ne va pas épuiser Picasso, mais on continue la découverte avec beaucoup de plaisir !
 

Isabelle de Borchgrave réalise pour cette exposition Picasso-Minotaure une installation qui représente les sept femmes ayant marqué la vie du peintre. Installation que sa légèreté lumineuse habille de poésie et qui rejoint par le thème de la lumière l’essence du mythe du Minotaure.
    Ariane confia bien sûr à Thésée une pelote de fil afin qu’il pût retrouver son chemin à travers le labyrinthe après avoir tué le monstre, mais c’est aussi grâce à sa couronne lumineuse qu’elle éclaira le dédale. Obscurité/lumière : tout est là, dans cette dualité, ce que l’inconscient cache et ce que l’art montre.  
« J’ai essayé de raconter les sept femmes qui ont compté dans sa vie, dit Isabelle de Borchgrave. De raconter mais de ne pas tout dire. Avec du papier, des ciseaux, un pinceau j’ai réalisé des esquisses. Marie-Thérèse, Dora Mar, Françoise, Jacqueline, Olga….Ces femmes sont placées devant des pans de papier qui racontent chacun un tableau de manière à laisser passer la lumière. C’est la lumière qui nous raconte l’histoire. »