Montagnes, âge et fromage, questions de plis et de plissements.
Lorsque nous arrivons au Grand Bornand, on donne la dernière main à l’installation de l’exposition. Catherine Claude a produit les écrits qui accompagnent les photos. La discussion commence tout naturellement.
À Henrike a été proposée la réalisation des photos qui composent l’exposition et j’ai été chargée de l’accompagner pendant ces rencontres afin d’écrire les légendes , qui sont des verbatim.
Quand j’ai eu terminé ce travail, je me suis retrouvée avec des enregistrements incroyables desquels il m’a paru évident de faire des textes, des portraits que j’ai transmis à Pochat & Fils qui vont petit à petit les distiller sur leur site ou sous d’autres formes.
Quelles impressions avez-vous gardées de ces rencontres ?
Elles ont été extraordinaires. Tous ces gens ont du caractère, ce qui leur a peut-être permis d’atteindre cet âge. La dame merveilleuse que vous voyez sur cette photo, avec le chapeau rouge, a cent cinq ans. Elle vit à Flumex.
Tous savent très bien ce qu’ils veulent. Il est facile de les approcher parce qu’ils ont beaucoup de choses à raconter, mais s’ils n’ont pas envie de parler… Ils dirigent la manœuvre.
Ce qui a tout de même facilité les rencontres, c’est ma connaissance et ma pratique de la montagne locale. Quand ils parlaient de certaines choses, ils voyaient que leurs références m’étaient connues.
Cette dame qui habite Megève me dit que son chalet a été construit par Henri Jacques Le Même. « L’architecte ? » Elle voit que je le connais et cela facilite les choses.
Monsieur Canova, le monsieur de l’affiche, me parlait des coins du Beaufortin où il allait aux myrtilles, aux framboises. Je les connais par cœur et Henrike m’a fait remarquer que son travail s’en trouvait facilité parce qu’ils avaient alors le regard qui s’illuminait.
Lorsque nous arrivons au Grand Bornand, on donne la dernière main à l’installation de l’exposition. Catherine Claude a produit les écrits qui accompagnent les photos. La discussion commence tout naturellement.
L’agence « Les cyclistes » a proposé cette exposition à la maison Pochat pour la célébration de son 100è anniversaire. Il s’agissait d’éviter l’habituel huis clos puisque le fromage est un produit de terroir, il s’agit d’ouvrir l’entreprise et ses produits au terroir, d’établir des liens, d’aller à la rencontre des gens.
Cent ans d’un côté, des centenaires de l’autre.
À Henrike a été proposée la réalisation des photos qui composent l’exposition et j’ai été chargée de l’accompagner pendant ces rencontres afin d’écrire les légendes , qui sont des verbatim.
Quand j’ai eu terminé ce travail, je me suis retrouvée avec des enregistrements incroyables desquels il m’a paru évident de faire des textes, des portraits que j’ai transmis à Pochat & Fils qui vont petit à petit les distiller sur leur site ou sous d’autres formes.
Quelles impressions avez-vous gardées de ces rencontres ?
Elles ont été extraordinaires. Tous ces gens ont du caractère, ce qui leur a peut-être permis d’atteindre cet âge. La dame merveilleuse que vous voyez sur cette photo, avec le chapeau rouge, a cent cinq ans. Elle vit à Flumex.
Tous savent très bien ce qu’ils veulent. Il est facile de les approcher parce qu’ils ont beaucoup de choses à raconter, mais s’ils n’ont pas envie de parler… Ils dirigent la manœuvre.
Ce qui a tout de même facilité les rencontres, c’est ma connaissance et ma pratique de la montagne locale. Quand ils parlaient de certaines choses, ils voyaient que leurs références m’étaient connues.
Cette dame qui habite Megève me dit que son chalet a été construit par Henri Jacques Le Même. « L’architecte ? » Elle voit que je le connais et cela facilite les choses.
Monsieur Canova, le monsieur de l’affiche, me parlait des coins du Beaufortin où il allait aux myrtilles, aux framboises. Je les connais par cœur et Henrike m’a fait remarquer que son travail s’en trouvait facilité parce qu’ils avaient alors le regard qui s’illuminait.
Leur culture et leurs références sont encore vivantes.
Oh oui ! Monsieur Canova rêve de pouvoir monter encore une fois là-haut. Voir un coucher de soleil en automne sur la montagne. Ils ont tous cet amour très fort de leur coin.
Ils n’ont pas encore vu les photos mais la maison Pochat va donner à chacun son portrait.
Est-ce que ces rencontres ont provoqué quelque chose de particulier en eux ?
Je ne crois pas. Ils sont sur leurs acquis, sans arrogance. Ils attendent tranquillement ; certains sont très nostalgiques, d’autres fatalistes. Ni impatience, ni regrets mais tous ont eu des choses extraordinaires à nous raconter. Ils sont nés au moment de la première guerre mondiale. Une dame se souvient parfaitement du jour où sa maman a appuyé sur un bouton et que cela a donné de la lumière.
[Nous sommes installés sur un banc d’où nous voyons une partie de l’exposition. Les photos sont là depuis un tout petit moment. On remarque la vivacité de regard de ces centenaires. Un peu auparavant, je discutais avec deux promeneuses en vacances au Grand Bornand. D’un certain âge et très intéressées par l’exposition.
Le principe d’une exposition hors musée ou local fermé, ouverte à tous, donne encore plus de sens à cette volonté de tisser des liens entre le terroir et les gens, entre les fils du temps qui relient le passé à notre époque, et qui vivent dans l’art.
L’art qui est à la fois la technique, le tour de main, le savoir faire, l’expérience que l’on retrouve dans la fabrication des fromages et l’art qui se retrouve dans l’œil du photographe, la toile de l’artiste.
L’agence Les Cyclistes, à l’origine du concept, a enclenché là quelques tours de pédale qui vont mener l’exposition ensuite à Thônes, Annecy, Saint-Julien-en-Genevois , Eteaux, Chambéry]
Henrike Stahl, la photographe, nous rejoint.
Henrike, que représente cette démarche auprès de centenaires pour vous ?
L’un de mes arrière-grand pères allemand né en 1900 me racontait que, le jour anniversaire du kaiser était férié et que chacun avait son petit pain au lait. Je n’ai jamais vu ça dans aucun livre d’histoire et j’en ai été très touchée. Je me suis rendue compte qu’on n’entend jamais assez les anciens. Je suis sensible au fait de les amener, de les exposer en ville. Je vis aussi avec des personnes en situation de handicap qui demeurent dans leur vase clos pour diverses raisons. Tous ces gens font partie de notre monde et il est important de les voir tout autant que d’inciter les autres à aller les voir, à écouter leur histoire composée d’événements qu’ils sont seuls à avoir connus.
Grâce à Catherine, ils avaient les yeux qui brillaient et lors de la première rencontre, nous avions presque les larmes aux yeux alors que la dame qui nous recevait débordait d’énergie. Et puis il y a eu des moments drôles comme lorsque cette autre dame nous raconte que lors d’une hospitalisation elle donne le nom de son généraliste et qu’on lui apprend qu’il est mort depuis vingt-cinq ans. Ou bien le Père Roland qui dit « J’ai vu et vécu tellement de choses. Le secret de la longévité ! Ne pas se laisser mourir! Dieu n’a rien à voir là-dedans ! »
Oh oui ! Monsieur Canova rêve de pouvoir monter encore une fois là-haut. Voir un coucher de soleil en automne sur la montagne. Ils ont tous cet amour très fort de leur coin.
Ils n’ont pas encore vu les photos mais la maison Pochat va donner à chacun son portrait.
Est-ce que ces rencontres ont provoqué quelque chose de particulier en eux ?
Je ne crois pas. Ils sont sur leurs acquis, sans arrogance. Ils attendent tranquillement ; certains sont très nostalgiques, d’autres fatalistes. Ni impatience, ni regrets mais tous ont eu des choses extraordinaires à nous raconter. Ils sont nés au moment de la première guerre mondiale. Une dame se souvient parfaitement du jour où sa maman a appuyé sur un bouton et que cela a donné de la lumière.
[Nous sommes installés sur un banc d’où nous voyons une partie de l’exposition. Les photos sont là depuis un tout petit moment. On remarque la vivacité de regard de ces centenaires. Un peu auparavant, je discutais avec deux promeneuses en vacances au Grand Bornand. D’un certain âge et très intéressées par l’exposition.
Le principe d’une exposition hors musée ou local fermé, ouverte à tous, donne encore plus de sens à cette volonté de tisser des liens entre le terroir et les gens, entre les fils du temps qui relient le passé à notre époque, et qui vivent dans l’art.
L’art qui est à la fois la technique, le tour de main, le savoir faire, l’expérience que l’on retrouve dans la fabrication des fromages et l’art qui se retrouve dans l’œil du photographe, la toile de l’artiste.
L’agence Les Cyclistes, à l’origine du concept, a enclenché là quelques tours de pédale qui vont mener l’exposition ensuite à Thônes, Annecy, Saint-Julien-en-Genevois , Eteaux, Chambéry]
Henrike Stahl, la photographe, nous rejoint.
Henrike, que représente cette démarche auprès de centenaires pour vous ?
L’un de mes arrière-grand pères allemand né en 1900 me racontait que, le jour anniversaire du kaiser était férié et que chacun avait son petit pain au lait. Je n’ai jamais vu ça dans aucun livre d’histoire et j’en ai été très touchée. Je me suis rendue compte qu’on n’entend jamais assez les anciens. Je suis sensible au fait de les amener, de les exposer en ville. Je vis aussi avec des personnes en situation de handicap qui demeurent dans leur vase clos pour diverses raisons. Tous ces gens font partie de notre monde et il est important de les voir tout autant que d’inciter les autres à aller les voir, à écouter leur histoire composée d’événements qu’ils sont seuls à avoir connus.
Grâce à Catherine, ils avaient les yeux qui brillaient et lors de la première rencontre, nous avions presque les larmes aux yeux alors que la dame qui nous recevait débordait d’énergie. Et puis il y a eu des moments drôles comme lorsque cette autre dame nous raconte que lors d’une hospitalisation elle donne le nom de son généraliste et qu’on lui apprend qu’il est mort depuis vingt-cinq ans. Ou bien le Père Roland qui dit « J’ai vu et vécu tellement de choses. Le secret de la longévité ! Ne pas se laisser mourir! Dieu n’a rien à voir là-dedans ! »
[Un peu plus tard, pendant l’inauguration officielle et les discours Place de la Grenette, les yeux pétillants du Père Roland couvaient le public de leur bienveillance.]
Ils vous voient « venir de loin ».
Ils oublient même parfois qu’on devait venir les voir ! Comme les enfants, ils vivent dans l’instant.
Ont-ils fait preuve de coquetterie ?
Personne n’a dit « Je ne suis pas bien coiffé, pas à l’aise avec la photo… »
Ils ont été si naturels qu’il était impossible d’imaginer des poses. Il a fallu faire avec ce qu’ils proposaient… et pouvaient.
J’ai vécu pas mal de pertes l’an dernier. J’ai retiré de cette expérience, de ces échanges un calme total. Regarder ces images maintenant, c’est comme me couvrir et me protéger d’une énorme couette qui m’apaise.
J’ai commencé à travailler dans la mode, mais déjà avec de vraies gens. J’aime découvrir les gens tels qu’ils sont, sans les transformer.
Là, avec un tout petit peu d’imagination, on part de cette main ridée qui nous mène aux plissements des montagnes environnantes. C’est naturel.
Catherine_ C’est drôle que vous disiez ça. A partir d’un portrait, j’ai écrit « Sur ses mains il avait des lignes de crête. » Il s’agit de Monsieur Canova qui rêve d’une dernière escapade impossible en montagne. Celle-ci est inscrite dans ses mains.
L’interaction entre les gens et le paysage est très forte.
La montagne, ce ne sont que des histoires de plis, comme nos vies qui se plissent.
Catherine_ Ils ont des réponses directissimes, sans détours.
Henrike_ Ils n’ont plus rien à prouver.
Ils vous voient « venir de loin ».
Ils oublient même parfois qu’on devait venir les voir ! Comme les enfants, ils vivent dans l’instant.
Ont-ils fait preuve de coquetterie ?
Personne n’a dit « Je ne suis pas bien coiffé, pas à l’aise avec la photo… »
Ils ont été si naturels qu’il était impossible d’imaginer des poses. Il a fallu faire avec ce qu’ils proposaient… et pouvaient.
J’ai vécu pas mal de pertes l’an dernier. J’ai retiré de cette expérience, de ces échanges un calme total. Regarder ces images maintenant, c’est comme me couvrir et me protéger d’une énorme couette qui m’apaise.
J’ai commencé à travailler dans la mode, mais déjà avec de vraies gens. J’aime découvrir les gens tels qu’ils sont, sans les transformer.
Là, avec un tout petit peu d’imagination, on part de cette main ridée qui nous mène aux plissements des montagnes environnantes. C’est naturel.
Catherine_ C’est drôle que vous disiez ça. A partir d’un portrait, j’ai écrit « Sur ses mains il avait des lignes de crête. » Il s’agit de Monsieur Canova qui rêve d’une dernière escapade impossible en montagne. Celle-ci est inscrite dans ses mains.
L’interaction entre les gens et le paysage est très forte.
La montagne, ce ne sont que des histoires de plis, comme nos vies qui se plissent.
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Impossible de quitter le Grand Bornand sans aborder Pascal Pochat, descendant du fondateur de l’entreprise familiale et, me dit-on, mémoire infaillible de toute cette saga.
Que représente pour vous cette célébration d’un siècle d’activité ?
C’est une vie. L’histoire de la vie d’une entreprise qui se transmet sur trois générations. C’est un formidable exemple que nous a donné le grand père. De retour de la guerre, il est parti de rien. Il a connu Verdun ! Et il a réussi à transmettre ce qu’il a créé à ses enfants, à ses petits enfants. Il est pour moi un exemple de cette robustesse, de ces gens qui avaient une idée en tête et ne sont jamais sortis du chemin qu’ils s’étaient tracé. Il nous disait souvent « Suivez votre chemin. N’écoutez pas les sirènes qui chantent. Avancez. »
Vous avez suivi son conseil ?
Evidemment. De toute façon, on n’avait pas trop le choix. (rires). Mais merci pour ce qu’il nous a donné, pour cet exemple.
Même si l’entreprise a évolué , elle s’appelle « Pochat & Fils ».
Elle devrait même s’appeler « Pochat, Fils et Petits Fils ».
J’ai toujours travaillé dans l’entreprise. A quatre ans, on pliait des reblochons. Le souci d’Edouard était que ça continue. A la fin de mes études, il voulait absolument que je continue dans l’entreprise. Pour moi, c’était une passion, heureusement. J’apprécie particulièrement la richesse du contact avec les producteurs . Pour certains d’entre eux, c’est la quatrième génération à laquelle on achète des fromages. Nous nous épaulons mutuellement.
Que représente pour vous cette célébration d’un siècle d’activité ?
C’est une vie. L’histoire de la vie d’une entreprise qui se transmet sur trois générations. C’est un formidable exemple que nous a donné le grand père. De retour de la guerre, il est parti de rien. Il a connu Verdun ! Et il a réussi à transmettre ce qu’il a créé à ses enfants, à ses petits enfants. Il est pour moi un exemple de cette robustesse, de ces gens qui avaient une idée en tête et ne sont jamais sortis du chemin qu’ils s’étaient tracé. Il nous disait souvent « Suivez votre chemin. N’écoutez pas les sirènes qui chantent. Avancez. »
Vous avez suivi son conseil ?
Evidemment. De toute façon, on n’avait pas trop le choix. (rires). Mais merci pour ce qu’il nous a donné, pour cet exemple.
Même si l’entreprise a évolué , elle s’appelle « Pochat & Fils ».
Elle devrait même s’appeler « Pochat, Fils et Petits Fils ».
J’ai toujours travaillé dans l’entreprise. A quatre ans, on pliait des reblochons. Le souci d’Edouard était que ça continue. A la fin de mes études, il voulait absolument que je continue dans l’entreprise. Pour moi, c’était une passion, heureusement. J’apprécie particulièrement la richesse du contact avec les producteurs . Pour certains d’entre eux, c’est la quatrième génération à laquelle on achète des fromages. Nous nous épaulons mutuellement.