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Move-On Magazine

« Fahim » de Pierre-François Martin-Laval : un film qui touche juste


Move-On Mag était à l'avant-première au Pathé d'Annecy. Présentation et interview.


| Publié le Lundi 1 Juillet 2019 |

Pierre-François Martin-Laval au Pathé Annecy
Pierre-François Martin-Laval au Pathé Annecy
Avec « Fahim », Pierre-François Martin-Laval nous fait vivre une histoire de migrants. Il ne la raconte pas car il est toujours à la bonne distance des personnages pour nous la faire partager. Le ton est juste, vrai. Il fait vivre sans grandiloquer, sans recours à toutes les bonnes intentions rhétoriques qui ne servent qu’à donner bonne conscience à ceux qui les énoncent.

Intéressantes situations croisées entre le Bangladesh et la France. Arbitraire en guise de loi dans le premier pays, possibilité en respectant scrupuleusement la loi de réduire à l’état d’animal un être humain dont le cri est alors celui d’une bête qu’on égorge dans ce cher pays de mon enfance que chantait Trénet.

Notre système broie du noir, du migrant, du basané, du pas comme nous. Méthodiquement. Administrativement.
Cette distance toujours juste du film à ses personnages permet de faire ressortir sans excès ni caricature ces décalages, ces petits riens du quotidien qui recouvrent des différences d’une culture à l’autre.

Le jeu du langage et de l’humour y trouve une place de choix qui, avec celui de l’humanité, anime le film.
Film dans le quotidien, dans les cœurs, dans les âmes.

« La générosité, c’est pas dans les livres qu’on l’apprend ». Et de se demander si la France est le pays des Droits de l’Homme ou le pays de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Chacun des acteurs est à sa place, avec une petite pointe de Cyrano en plus chez Depardieu professeur d’échecs.
Un film qui, mine de rien nous plonge dans une philosophie du quotidien pour faire exploser les préjugés de tous ordres, les conditionnements qui crispent les personnalités et réduisent nos possibilités.

Fahim ? A voir !


Interview de Pierre-François Martin-Laval

Mizanur Rahaman
Mizanur Rahaman
Le spectateur est pris aux tripes en particulier au moment où, dans le plus strict respect de la loi, de la démarche administrative, au nom de ce qu’il y a de mieux en France, on transforme une personne en animal qui crie comme une bête qu’on égorge. Qui crie de désespoir. Cette violence organisée nous permet de garder une très bonne conscience.

C’est la première fois qu’on me fait cette remarque qui me va droit au cœur. Tout du long, Mizanur, qui joue le personnage de Nura, est très calme. A un moment, ça pète et vous l’avez reçu comme je l’espérais grâce au talent de Mizanur. Je lui ai donné confiance, je l’ai poussé et c’est sorti comme ça. C’est d’autant plus impressionnant que Mizanur n’est pas comédien, il était cuistot. Je lui ai dit de prendre pour lui, en tant que personne, ce qui lui arrive dans le film et qui correspond à la loi de l’époque. Je me suis inspiré à ce propos de ce qui s’est produit pour Léonarda.

J’avais interdit que Mizanur accède au plateau avant la scène pour qu’il ne se sente pas chez lui, qu’il ne connaisse pas les meubles, ni les gens. J’ai fait appel à de vrais flics : qui de mieux qu’un policier pour intercepter quelqu’un dans un moment violent sans le blesser. J’avais caché les deux policiers et prévenu seulement le directeur de la photo que Mizanur n’allait pas tenir le choc de ce qu’on allait lui annoncer dans cette scène, qu’il allait tenter de s’échapper. C’est exactement ce qui s’est produit, ce que Mizanur, totalement libre de son jeu, a tenté de faire.
Je lui ai alors proposé une 2° prise en plan serré, et il l’a rejouée : c’est un véritable comédien qui est né devant nous.


Une remarque, vous avez donc offert une thérapie à deux policiers.

Rires. Ils étaient touchés. En fait, j’ai pris que des vraies gens. Il y a Depardieu et Isabelle Nanty, mais pour les échecs, ce sont de vrais juges ; à l’OFPRA, c’était une vraie traductrice… et ces gens ne jouaient pas faux !


La violence qui éclate au Bangladesh dans les premiers plans du film nous laisse croire que nos pays sont très différents… et puis on se rend compte que non.
 
Quand je me suis mis au travail en 2014, la première intention était de montrer que là-bas, nous, nous sommes sur Mars, mais quand Fahim et son papa arrivent à Paris, ils sont aussi sur Mars. C’est le choc des cultures. Ils finissent par se retrouver dans une misère plus profonde que celle qu’ils vivaient dans leur pays. C’est ce qui m’a touché quand j’ai lu le livre autobiographique de Fahim, « Un roi clandestin » écrit de manière très simple qui donne l’impression qu’on est avec lui. Au Bangladesh, ils sont très riches, ils ont deux pièces, les enfants dorment tous ensemble dans la chambre et les parents dans le salon ! J’ai eu connaissance de l’histoire de Fahim lorsqu’il est passé à une émission TV et qu’il a raconté sa vie de SDF pendant trois ans et demi sans papiers.

J’ai été choqué. Je me suis dit que j’avais dû croiser ces gens dans la rue, que je n’avais rien fait pour eux, que je ne m’étais jamais posé de question. On me proposait de laver mon pare-brise ? Non, il est déjà propre. Des roses ? Non merci.

Je me suis rendu compte alors que ces gens n’étaient pas nés assis sur un trottoir, sur les marches d’une bouche de métro, à un feu rouge avec un seau et une raclette. Ce sont des réfugiés politiques qui ont eu l’immense courage de quitter leur pays parce qu’ils étaient en danger de mort. Ils ont pris un risque peut-être encore plus grand en partant, certainement pas pour profiter de la Sécurité Sociale mondialement connue. Je voulais montrer des êtres humains, leur vie, leur métier, qui se retrouvent sans rien.

Pour le tournage, j’ai rencontré des gens fabuleux qui font beaucoup plus que moi avec mon film. Ceux qui sont sur le terrain, qui s’occupent des réfugiés.
 

Vous parlez de vraies gens. Le ton est juste, vrai tout du long et vous êtes à la bonne distance, celle qui permet à chaque acteur d’être juste lui aussi. On remarque alors que la déshumanisation des réfugiés vient aussi du fait que les codes sont différents. Le code le plus évident est celui du langage, qu’il faut maîtriser, comme il faut maîtriser la langue des échecs, apprendre à dominer sa fougue pour gagner. En apprenant à maîtriser ces codes, Fahim est un révélateur : il révèle la vraie personnalité de ses camarades d’échecs, de leurs parents, des adultes en général…
 
Vous avez raison de parler de langage. Les échecs nous ont proposé une communication sur le plateau. Depardieu n’avait pas pris de cours avant le tournage et le petit Assad s’est moqué de lui alors qu’il ne parlait pas encore français. Comme la grande qualité de Depardieu est sa soif d’apprendre, de se cultiver, il s’est assis en face du gamin qui avait pris un mois de cours intensifs et s’est mis à lui apprendre. Ceci a donné des moments merveilleux.

Mizanur et le petit Assad partagent la même langue mais sont devenus très complices en jouant ensemble aux échecs pendant que je préparais ma mise en scène. Et puis il y a la polysémie du mot « échec ». C’est un jeu qui a failli lui coûter la vie dans son pays et qui l’a sauvé ensuite.


On peut voir votre film comme une leçon toute simple de philosophie du quotidien, sans grand discours théorique, sinon celui du Premier Ministre de l’époque que l’on ne peut pas entendre sans sourire ou grincer des dents. Et puis ce moment où Isabelle Nanty demande si nous sommes dans le pays des Droits de l’Homme ou bien de la Déclaration des Droits de l’Homme…

Ce n’est pas de moi. En réalité la question a été posée à peu près dans ces termes en 99 à la radio. Patrick Cohen a bien voulu rejouer son rôle de l’époque mais j’emprunte à Robert Badinter une phrase que je fais dire à Isabelle Nanty.


Pour revenir à l’idée de philosophie, ou de sagesse, votre Depardieu grand maître des échecs et professeur serre la paluche de son ennemi juré au lieu de lui casser logiquement la figure. C’est une sacrée leçon.

Je ne suis pas comme ça de manière naturelle. J’avais écrit plein de versions et jusqu’au moment de tourner, elles étaient dans la hargne et dans la vengeance. Je ne trouvais pas ça joli ; je l’ai réécrit au dernier moment. C’est plus beau.


Vous traduisez un apaisement du personnage, même dans l’ensemble de ses relations.
 
Vous savez, il m’est arrivé d’être viré dans des conditions reconnues injustes par tous mes camarades, j’en ai voulu à la personne qui m’a licencié… avant de me dire que je lui dois peut-être mon parcours actuel. C’est ce que se dit Depardieu, c’est l’autre qui porte sa rage, sa haine, chose que l’on peut voir aussi dans le monde du sport.


Vous vous êtes ménagé un petit rôle.

Je joue le président de la fédération des échecs qui est très cartésien - ce que je ne suis pas personnellement - et se bat pour faire respecter la loi alors que Depardieu se bat pour la changer.


Comment dirige-t-on Depardieu ?

On ne le dirige pas. J’avais déjà eu l’honneur de le mettre en scène. Quand il arrive le matin, en avance, je lui montre comment j’ai conçu ma mise en scène. Alors qu’il a tourné avec les plus grands, il ne commente pas, il entre totalement dans cette mise en scène et me fait en revanche la surprise de ce qui va sortir. Le sait-il lui-même ? Mais le plus incroyable est que ce qu’offre Depardieu est dans la première prise. Il ne refuse pas d’autres prises mais tout est là et plus que là.

C’est incroyable parce que nous acteurs, on progresse, on se dit « Tiens, maintenant je vais proposer autre chose… » Avec Depardieu, tout sort d’un coup, et il a la grande qualité de s’éclater. Ce qu’il adore c’est « Action ! »


La petite touche de Cyrano vient de lui ou de vous ?

De moi, mais il ne m’en a jamais parlé.


[Le monde de l’enfance, la singularité de chacun… La conversation roule encore un bon moment, généreusement, pour le plaisir de la conversation. PEF nous apprend que celui qui, dans la vraie vie, a posé à la radio la question qui a attiré l’attention du vrai Premier Ministre de l’époque sur Fahim, était présent à la projection proposée à Thonon…
S’il a fallu élaguer bien des scènes au montage, se recentrer sur l’histoire de Fahim, Pierre-François ne mesure pas sa présence et le plaisir de l’échange.]
 
 
 
 

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