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Move-On Magazine

Interview de Ibrahim Maalouf - Festival Musilac 2017


Rencontre avec Ibrahim Maalouf à l'occasion du festival Musilac 2017 à Aix-les-bains.


| Publié le Lundi 2 Juillet 2018 | |

Ibrahim Maalouf - Musilac 2017 ©Jean-Marc Favre
Ibrahim Maalouf - Musilac 2017 ©Jean-Marc Favre
Le Festival Musilac quitte momentanément les planches des scènes en bord de lac pour chausser celles de Chamonix. À cette occasion, Move-On ressort quelques interviews réalisées en juillet 2017 lors du Festival Musilac Aix-les-bains.

Comment on s'adapte à un Festival d'été, un public qui n'est pas forcément là pour toi ?
D'abord je fais confiance au festival, je me dis que s' il m'invite ça veut dire qu'il estime que je peux à priori être apprécié par le public qui a l'habitude d'être là. Donc j'y vais en me disant" allez... on y va zen, ça devrait bien se passer !" J'ai conscience qu'il y a énormément de gens qui ne me connaissent pas dans un festival comme celui-ci, même si je suis surpris que parfois les gens connaissent déjà le morceau. On commence à jouer et ils chantent avec nous . Il y a quand même des gens qui connaissent et ça fait plaisir. J'essaie de construire mon set de manière à ne pas perdre les gens, souvent ma musique part un peu dans tous les sens et j'en ai conscience... Si je commence à faire un hommage à O
um Kalthoum sur scène pendant une demie heure, je pense que je vais perdre tout le monde au bout de 3 minutes ! Je connais les contraintes, j'essaye de construire un set qui a du sens où il y a en même temps toutes les choses que j'aime et que j'ai envie de défendre. Nous, on est invités dans ce genre de festival surtout parce qu' on a vécu des choses assez fortes, notamment au début.Il y a 10 ans j'ai commencé à faire beaucoup de concerts sur des scènes nationales et il n'y a rien de plus difficile ! Quand personne ne  vous connaît et que vous allez dans ces scènes où sur 800 personnes 50 peut-être  vous connaissent et les autres  sont là parce qu'elles ont un abonnement, il faut convaincre tout le monde ! C'est un travail extrêmement difficile mais très formateur, c'est plus ou moins la même chose que ce que je fais ici mais en plus simple parce qu' ici on est là pour faire la fête.

En terme d'énergies, est-ce que vous allez puiser dans le public qui sera là ce soir ? C'est une grande scène !
Quand je monte sur scène, j'ai déjà beaucoup d'énergie mais on ne s'habitue jamais à ce genre de scène et de public, c'est pas quelque chose de naturel de se retrouver devant 25 ou 30 mille personnes, jamais dans la vie on fait ça quoi (rires). C'est un exercice en terme d'adrénaline qui est très puissant ! Les scènes intimistes ont quelque chose de plus intimidant parce les gens vous regardent et vous les voyez, quand on est sur une scène comme ça tu vois une masse de gens qui te regarde, ce n'est pas personnel. Il y a une distance entre le groupe et les gens, il y a des écrans, un côté télé, les gens ne voient pas les détails. C'est très impressionnant mais j'ai moins le trac ici devant 30 mille personnes que dans un petit théâtre avec 150 personnes devant moi.
 

Il y a un travail de scénographie ? Est-ce que c'est important pour toi sur ce type d'événement ?
Je n'ai pas conçu ma musique comme quelque chose qui doit être mise en scène, on est là pour échanger, pour improviser pour créer du son... Il y a une scénographie mais liée directement à ce qu'il se passe musicalement. Quand on est très loin, les gens ne voient pas qui est en train de jouer, de faire un solo, etc, donc je vais aller me diriger vers le musicien et je vais le regarder, les gens comprennent ! Il n'y a pas de décor, ce genre de choses, mais on a travaillé un peu sur la lumière quand même parce que ça fait une bonne partie du show. Les sens sont réquisitionnés, je trouve que la lumière participe beaucoup à la musique. Quand tu fermes les yeux tu entends mieux, alors  quand tu regardes il faut qu'il se passe quelque chose ,c'est pourquoi on essaye de faire un minimum de suivi visuel.

Ta musique passe d'un univers à l'autre, jazz, rock... tu  n'es pas à l'aise dans les catégories ?
C'est le contraire, je trouve que les gens me soulent avec leurs catégories, ce n'est pas parce que je ne sius pas à l'aisemais parce que j'ai l'impression que les gens sont enfermés dans ça. Comme si on ne pouvait pas voir et envisager la musique autrement qu'à travers des catégories. Moi ça me rappelle - je fais un parallèle par rapport à ça parce que ça me parle beaucoup - le fait de voir les gens seulement à travers leur identité physique ou religieuse. Comme si quand tu voyais des gens : "ah le blond !" "ah le petit !" "ah le musulman là !", ça me soule ça ! Je ne peux plus voir la culture, l'identité, la musique, etc à travers ces étiquettes là, c'est extrêmement réducteur et je trouve ça dangereux surtout. Donc ce n'est pas que je ne suis pas à l'aise avec les styles, je me bats contre ça. Surtout aujourd'hui, à l'époque de la génération internet,on est 21ème siècle, t'as ton téléphone, t'as toutes les cultures du monde disponibles gratuitement . Qu'on aie parlé de style jusqu'à il y a 100 ans ou 50 ans, je veux bien parce que les compositeurs de musique classique, Mozart par exemple, entre le moment où il a commencé à écrire de la musique et le moment où il est mort, la culture n'a pas beaucoup évolué. Je trouve ça hyper daté, hyper ringard, dangereux et risqué même commercialement parlant et culturellement parlant de continuer à parler de style. J'aimerais bien qu'on arrête. Si je devais militer dans quelque chose ,(culturellement parlant) ce serait qu'on arrête de parler de style et dans les magasins par exemple, ça suffit le rayon jazz, le rayon rock. Mettez par ordre alphabétique, c'est bon, lâchez-nous quoi!

Moi on me parle de ma multi-culturalité sous prétexte que je suis né à Beyrouth, au Liban, et que maintenant je suis français, etc. Mais ce n'est pas ça ma multi-culturalité, je suis autant multi-culturel que tout le monde ici, pas plus ni moins. On a tous écouté de la pop américaine, on sait tous ce que c'est le gospel, la musique indienne... les cultures du monde ! Il y a des gens qui trouvent que c'est prétentieux de dire ça mais moi je le dis avec beaucoup d'humilité et de simplicité: ce n'est pas à la culture de nous apprendre des choses, c'est à nous de lui apprendre des choses, c'est à nous de la transformer ou alors on est des gens de bibliothèque et on passe notre temps à écouter ce qui s'est passé avant... on n'est pas la pour ça, on est la pour faire avancer les choses.

C'est toi qui fais de la musique ou c'est l'art et la musique qui te font ?
Je fais de la musique. Une des pires questions c'est quand on me dit "Citez moi 10 jazz-men que vous appréciez"... Il y  en a pas 10 mais 60 mille ! Un des plus grands jazz-men d'aujourd'hui pour moi c'est Kendrick Lamar, tout le monde va me dire que c'est du hip hop. Bah oui ,mais non, pour moi c'est du jazz ! Ce n'est pas prétentieux de dire ça, vraiment,  mais c'est une question de bon sens.

Ce que tu dis fait échos aux identités meurtrières de Amin Maalouf...
C'est mon livre de chevet depuis des années ! Je pense que dans ma famille on a cultivé ce truc-là, je ne sais pas pourquoi d'ailleurs. J'ai grandi avec ça, c'est ma religion si vous voulez. Du coup aujourd'hui à travers la musique j'essaie de défendre ça.

Le métissage est quelque chose dont on doit encore parler, ça doit être une bataille ?
Il y a quelques mois j'ai eu des frissons en écoutant une interview - pardon parce que je n'aime pas faire de la politique, mais là en l'occurrence ça devient de la politique ce qu'on fait - de Marion Maréchal-Le Pen où on lui demandait "Si vous arrivez au pouvoir, culturellement vous faites quoi ?" et elle a répondu "Je remettrai en priorité la culture française en avant" mais c'est quoi la culture française ? En fait, tu veux dire la culture des français ou tu veux dire les français dans la culture ? Donc t'as une vision des français différente de la mienne... C'est des discours qui me font super peur et souvent ce sont des discours  parallèles à d'autres choses beaucoup plus flippantes. Je sais que ce n'est pas grande chose mais c'est un petit combat  qui au niveau de notre culture et des rapports humains change tout radicalement. Ce débat là existe dans la musique mais de manière beaucoup plus insidieuse : pourquoi c'est jazz, pourquoi il n'y a pas tel instrument dans votre groupe?... c'est exactement la même conversation !

Il y a quelques jours tu as fait une annonce sur les réseaux ! 
J'ai pris la décision qu'à partir de l'âge de 40 ans j'allais arrêter la trompette mais ça ne veut pas dire que j'arrête la musique. J'adore la trompette et j'ai envie de continuer à aimer, et pour continuer à aimer il faut que j'arrête un peu. Ça fait quelques années que j'y pense. Je n'avais pas eu le courage d'en parler et là c'est sorti tout seul . j'en suis content parce que ça me fait du bien. Je pense qu'il y a des gens qui ont pas compris. Je ne disais pas que j'arrête la musique mais la trompette même si j'ai été très clair dans mon message. Je suis très impressionné quand je vois des musiciens ou de jeunes de 15-20 ans qui me disent "Je fais de la trompette depuis que j'ai 5 ans je suis passionné de cet instrument, j'adore ! Fais voir ta trompette..." Moi je n'ai jamais été comme ça, j'ai fait de la trompette parce que mon père en jouait, j'étais un peu timide mais j'ai vu que ça lui faisait plaisir,alors j'ai continué. J'ai fait un peu d'orchestre, je suis tombé amoureux de 2-3 filles, ce qui a entretenu mon amour de la musique. Après je me suis rendu compte que mon père m'avait fait un cadeau inestimable. J'ai passé mon bac et en même temps le concours d'entrée au Conservatoire de Paris parce que mon père m'a dit de le faire. je suis rentré 1er sur les 80 participants. Je me suis rendu compte que mon père m'avait fait un cadeau de dingue. J'ai pris la décision de me lancer et je suis rentré dans cet engrenage, j'ai fait des concours internationaux et j'en ai gagné beaucoup. J'ai enregistré des choses pour moi et on m'a dit que ça ferait un bel album. J'ai fait un pari puis j'ai fini par faire pas mal de concerts et j'en suis là aujourd'hui. C'est l'effet papillon, si j'avais dû choisir un instrument j'aurais fait du violoncelle, du piano... Il y a un juste retour des choses, j'ai l'impression d'avoir fait ce que j'avais envie de faire avec cet instrument, je me sens encore capable de faire un album mais je ne me sens pas aller plus loin. J'ai toujours su bien à l'avance ce que je voulais faire. Je sais que fin 2020 je passe à autre chose. Ma musique, c'est toute ma vie , je vais donc continuer à en faire. J'ai donné pleins de cours à pleins de gens, j'ai découvert encore plein de trompettistes super... Je prends un peu mes distances pour continuer à aimer.

Si le temps d'une journée tu pouvais être quelqu'un ou quelque chose ce serait qui ou quoi ?
Je pense que j'aimerais bien être un oiseau, je trouverais ça sublime. Quand j'étais petit je rêvais que je survolait des choses, un peu comme un drone.
 

Ibrahim Maalouf - Musilac 2017 ©Jean-Marc Favre
Ibrahim Maalouf - Musilac 2017 ©Jean-Marc Favre


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