Si la recherche d’identité anime Matteo, elle prend une couleur et une lumière propres à Jean-Pierre Gibrat, à son inspiration, à son dessin et à la musique que constitue l’ensemble.
Matteo, étymologiquement, c’est Dieu. Ton Matteo est-il Dieu ?
Ni Dieu, ni le contraire de Dieu, je n’y ai jamais réfléchi en ces termes. Et puis il ne répond pas aux critères !
Ce qui nous mène à cette question : Matteo est-il un héros, un anti héros ? On peut hésiter entre les deux.
Oui, effectivement, on peut hésiter. Il se situe exactement entre les deux. Le héros est un personnage glorieux qui réussit à peu près tout ce qu’il entreprend. Matteo se retrouve un peu au milieu. Il réussit moins de choses qu’il n’en rate, il est un peu monsieur tout le monde mais avec du culot. Quand il part en Espagne, il faut quand même le faire, tout comme en Russie ! Son côté aventurier en fait un personnage particulier, même s’il n’est pas un héros au sens traditionnel du terme.
Il est un peu en creux, assez souple, comme le roseau de La Fontaine. Il peut s’adapter alors que les personnalités plus marquées disparaissent, sont emportées.
Ce qui lui donne le sentiment de porter malheur. La série finira bien tout de même, mais je ne veux pas en dire trop.
Ta précision est intéressante parce que la série des Matteo apparaît comme joyeusement pessimiste.
Il m’est arrivé de définir le personnage comme un pessimiste sifflotant. Je susi moi-même un peu dans ce registre. A vrai dire, je suis plutôt un inquiet, joyeux mais total. Un pessimiste va toujours envisager la pire solution ; un inquiet ne projette pas ce regard sur tout. Je ne suis inquiet que de certaines choses. Je sais profiter des bons côtés de la vie.
On retrouve peut-être ce volet de ta personnalité dans le fait que ton travail lié à Matteo est très musical, très chantant. On te l’a déjà dit ?
Non, pas de cette façon, mais je suis assez d’accord, même dans les situations dramatiques l’humour, la dérision sont présents. Cette dimension personnelle m’a beaucoup aidé à contrebalancer le côté inquiet.
La façon dont tu rends compte de certaines situations, même de la mort, n’est pas tragique. La qualité de ton trait semble unir, rapprocher davantage qu’elle ne divise et puis il y a l’emploi de la couleur mais surtout celui de la lumière.
Le fait qu’on remarque maintenant la lumière davantage que la couleur me fait plaisir.
Elle est ce regard, cette façon d’envisager la vie dans son ensemble.
La couleur peut être utilisée pour l’esthétisme d’un effet graphique ; c’est un parti pris graphique, comme chez Moebius.
Ce 5° album apparaît comme un huis clos. Les personnages sont enfermés et le monde vient à eux, à travers des informations, quelques entrées et sorties physiques, ce qui concentre la dimension humaine des personnages.
Dans le tome 2 de Matteo sur la révolution russe, je m’étais un peu perdu dans les préoccupations politiques. J’avais à cœur de montrer leur complexité, ce qui m’a un peu éloigné des personnages et de leurs sentiments. Certains lecteurs m’ont dit qu’ils retrouvaient dans le tome suivant la préoccupation des rapports humains : c’est peut-être là que je suis le plus à l’aise.
Matteo, étymologiquement, c’est Dieu. Ton Matteo est-il Dieu ?
Ni Dieu, ni le contraire de Dieu, je n’y ai jamais réfléchi en ces termes. Et puis il ne répond pas aux critères !
Ce qui nous mène à cette question : Matteo est-il un héros, un anti héros ? On peut hésiter entre les deux.
Oui, effectivement, on peut hésiter. Il se situe exactement entre les deux. Le héros est un personnage glorieux qui réussit à peu près tout ce qu’il entreprend. Matteo se retrouve un peu au milieu. Il réussit moins de choses qu’il n’en rate, il est un peu monsieur tout le monde mais avec du culot. Quand il part en Espagne, il faut quand même le faire, tout comme en Russie ! Son côté aventurier en fait un personnage particulier, même s’il n’est pas un héros au sens traditionnel du terme.
Il est un peu en creux, assez souple, comme le roseau de La Fontaine. Il peut s’adapter alors que les personnalités plus marquées disparaissent, sont emportées.
Ce qui lui donne le sentiment de porter malheur. La série finira bien tout de même, mais je ne veux pas en dire trop.
Ta précision est intéressante parce que la série des Matteo apparaît comme joyeusement pessimiste.
Il m’est arrivé de définir le personnage comme un pessimiste sifflotant. Je susi moi-même un peu dans ce registre. A vrai dire, je suis plutôt un inquiet, joyeux mais total. Un pessimiste va toujours envisager la pire solution ; un inquiet ne projette pas ce regard sur tout. Je ne suis inquiet que de certaines choses. Je sais profiter des bons côtés de la vie.
On retrouve peut-être ce volet de ta personnalité dans le fait que ton travail lié à Matteo est très musical, très chantant. On te l’a déjà dit ?
Non, pas de cette façon, mais je suis assez d’accord, même dans les situations dramatiques l’humour, la dérision sont présents. Cette dimension personnelle m’a beaucoup aidé à contrebalancer le côté inquiet.
La façon dont tu rends compte de certaines situations, même de la mort, n’est pas tragique. La qualité de ton trait semble unir, rapprocher davantage qu’elle ne divise et puis il y a l’emploi de la couleur mais surtout celui de la lumière.
Le fait qu’on remarque maintenant la lumière davantage que la couleur me fait plaisir.
Elle est ce regard, cette façon d’envisager la vie dans son ensemble.
La couleur peut être utilisée pour l’esthétisme d’un effet graphique ; c’est un parti pris graphique, comme chez Moebius.
Ce 5° album apparaît comme un huis clos. Les personnages sont enfermés et le monde vient à eux, à travers des informations, quelques entrées et sorties physiques, ce qui concentre la dimension humaine des personnages.
Dans le tome 2 de Matteo sur la révolution russe, je m’étais un peu perdu dans les préoccupations politiques. J’avais à cœur de montrer leur complexité, ce qui m’a un peu éloigné des personnages et de leurs sentiments. Certains lecteurs m’ont dit qu’ils retrouvaient dans le tome suivant la préoccupation des rapports humains : c’est peut-être là que je suis le plus à l’aise.
La complexité que tu évoques se retrouve à tous les niveaux, dans les situations, chez les personnages avec leurs caractères, leurs émotions, leurs sentiments, leurs relations. Avec cette recherche d’identité qui est le fil conducteur.
On se rendra compte à la fin du tome 6 que tout tourne autour de Matteo, de Juliette et de son fils. C’est la colonne vertébrale. L’histoire impossible avec Juliette, qui fait qu’il n’a pas droit à son fils. Lui-même se rend compte d’un coup d’où il vient, et c’est très surprenant. Son grand père lui conseille de pardonner à son fils. Si j’ai été militant à une époque, j’en suis le contraire maintenant. Je ne souhaite pas pointer des valeurs et les défendre à tout prix : il suffit d’avoir des enfants pour se rendre compte que rien ne compte plus qu’eux ; c’est un constat.
Tu t’inspires de ta propre vie ?
Je pourrais, mais l’histoire ne serait pas de cet ordre-là. J’ai eu une éducation un peu dure. L’affect y passait derrière l’intellect, dans une approche très marxiste. Ce que je transcris avec Matteo est une vérité que je sens et qui me concerne au même titre que tout le monde. Je me rends compte avec l’âge que, même si mes parents ont été durs, tout particulièrement mon père, ils auraient tout fait pour nous tirer de la m…
Ce que je mettrai en scène dans le prochain tome, la confrontation avec son fils, est quelque chose que j’ai observé : quand deux générations se fâchent, les enfants vivent mieux la rupture que les parents, peut-être parce que les enfants ont toujours souhaité que ça se passe bien. Ensuite ils vivent leur propre vie, alors que les parents continuent de vivre avec les règles qu’ils ont appliquées et qui vont les poursuivre jusqu’au bout sans leur faire de cadeaux.
Un enfant est en ouverture sur le monde alors qu’un adulte se trimballe un passé et parfois un passif. On croit qu’on va refaire le monde et c’est le monde qui nous refait.
(rires). Il y a un petit moment déjà que je ne prétends plus refaire le monde, mais j’ai dû y croire, comme tout le monde ! Heureusement qu’il y a cette ambition de faire bouger les lignes quand on a vingt ans ! Et l’inconscience ! Sinon ce serait désespérant. Si j’avais eu conscience de ma qualité de dessin à 18 ans, j’aurais arrêté ! Tout de suite.
J’étais assez lucide pour voir que je n’étais pas vraiment bon mais je pensais que je deviendrais le meilleur en 3/4ans.
Au fond il ne s’agit pas d’être parmi les meilleurs mais d’arriver à transcrire le mieux possible tes intentions, ce que tu as en tête.
Oui, j’y arrive à peu près et je le traduis de façon singulière. Il est possible d’être content de soi quand on arrive à ce résultat mais je ne pense pas à me positionner par rapport aux autres.
Si je revendique quelque chose, c’est de faire partie des auteurs qui ne dessinent comme personne d’autre. Philippe van Derel citait « Un bon écrivain n’écrit pas mieux que les autres, il écrit comme personne. » On reconnaît ma patte dans mes dessins et j’arrive à peu près à y traduire ce que je veux.
C’est peut-être la meilleure approche.
J’ai l’impression. Elle est saine et met à l’abri de bien des choses.
« Et après, y’a pas rien ? »
J’ai fait les poches à une amie, à une copine de ma fille, qui me dit un jour « Et après, y’a pas rien ? » J’ai trouvé ça formidable. L’emploi de cette formule n’était pas du tout prémédité mais il tombe pile poil. Que le personnage l’utilise une dernière fois, dans cette situation ! Je savais qu’elle allait mourir mais je ne pensais pas à cette formule.
On se rendra compte à la fin du tome 6 que tout tourne autour de Matteo, de Juliette et de son fils. C’est la colonne vertébrale. L’histoire impossible avec Juliette, qui fait qu’il n’a pas droit à son fils. Lui-même se rend compte d’un coup d’où il vient, et c’est très surprenant. Son grand père lui conseille de pardonner à son fils. Si j’ai été militant à une époque, j’en suis le contraire maintenant. Je ne souhaite pas pointer des valeurs et les défendre à tout prix : il suffit d’avoir des enfants pour se rendre compte que rien ne compte plus qu’eux ; c’est un constat.
Tu t’inspires de ta propre vie ?
Je pourrais, mais l’histoire ne serait pas de cet ordre-là. J’ai eu une éducation un peu dure. L’affect y passait derrière l’intellect, dans une approche très marxiste. Ce que je transcris avec Matteo est une vérité que je sens et qui me concerne au même titre que tout le monde. Je me rends compte avec l’âge que, même si mes parents ont été durs, tout particulièrement mon père, ils auraient tout fait pour nous tirer de la m…
Ce que je mettrai en scène dans le prochain tome, la confrontation avec son fils, est quelque chose que j’ai observé : quand deux générations se fâchent, les enfants vivent mieux la rupture que les parents, peut-être parce que les enfants ont toujours souhaité que ça se passe bien. Ensuite ils vivent leur propre vie, alors que les parents continuent de vivre avec les règles qu’ils ont appliquées et qui vont les poursuivre jusqu’au bout sans leur faire de cadeaux.
Un enfant est en ouverture sur le monde alors qu’un adulte se trimballe un passé et parfois un passif. On croit qu’on va refaire le monde et c’est le monde qui nous refait.
(rires). Il y a un petit moment déjà que je ne prétends plus refaire le monde, mais j’ai dû y croire, comme tout le monde ! Heureusement qu’il y a cette ambition de faire bouger les lignes quand on a vingt ans ! Et l’inconscience ! Sinon ce serait désespérant. Si j’avais eu conscience de ma qualité de dessin à 18 ans, j’aurais arrêté ! Tout de suite.
J’étais assez lucide pour voir que je n’étais pas vraiment bon mais je pensais que je deviendrais le meilleur en 3/4ans.
Au fond il ne s’agit pas d’être parmi les meilleurs mais d’arriver à transcrire le mieux possible tes intentions, ce que tu as en tête.
Oui, j’y arrive à peu près et je le traduis de façon singulière. Il est possible d’être content de soi quand on arrive à ce résultat mais je ne pense pas à me positionner par rapport aux autres.
Si je revendique quelque chose, c’est de faire partie des auteurs qui ne dessinent comme personne d’autre. Philippe van Derel citait « Un bon écrivain n’écrit pas mieux que les autres, il écrit comme personne. » On reconnaît ma patte dans mes dessins et j’arrive à peu près à y traduire ce que je veux.
C’est peut-être la meilleure approche.
J’ai l’impression. Elle est saine et met à l’abri de bien des choses.
« Et après, y’a pas rien ? »
J’ai fait les poches à une amie, à une copine de ma fille, qui me dit un jour « Et après, y’a pas rien ? » J’ai trouvé ça formidable. L’emploi de cette formule n’était pas du tout prémédité mais il tombe pile poil. Que le personnage l’utilise une dernière fois, dans cette situation ! Je savais qu’elle allait mourir mais je ne pensais pas à cette formule.
On parlait de musique, c’est sa note à elle.
Exactement. De manière générale, pour moi l’écriture est de la musique. Pour bien écrire, il faut avoir, consciemment ou non, le sens des mots, de la mélodie et du rythme. Ça doit être fluide.
Quand on feuillette un album, on remarque toujours quelques dessins qui se détachent du reste. Ce que je vais dire est un compliment, avec ce 5° tome, c’est l’ensemble qu’on voit, la fluidité, la musicalité. On est porté.
Je pense que certains dessins ressortent malgré tout, peut-être grâce à un petit coup de bol magique, un visage, une expression. Deux ou trois dessins d’Amélie sont, pour moi, au-dessus des autres.
Il est vrai qu’Amélie a un visage remarquable. Ce qui nous mène à « une femme d’à côté » ou un homme d’à côté.
C’est une phrase tirée de la vraie vie. Tu la remarques, des femmes m’en parlent, certaines en sont très touchées, comme cette lectrice à Grenoble.
Dans ce huis clos, cette phrase est aussi une ouverture, elle apporte une perspective à tout ce qui se passe.
Elle était obligatoire, indispensable parce qu’on n’aurait pas compris qu’une histoire si longue entre Amélie et Matteo ne se concrétise pas. C’est une façon de dire « Pas forcément. »
C’est d’autant plus singulier, s’ils tombent dans les bras l’un de l’autre, c’est très convenu.
Et la route continue pour Matteo.
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