Quelques semaines que Joseph Paleni a entamé une autre aventure après la direction de l’Auditorium de Seynod. Comme il avait déjoué tous les rendez-vous en vue d’une interview, la surprise a joué en faveur de Move-On Magazine à l’occasion du Salon des Artistes Amateurs de Seynod, le 9 février 2020.
Ce qui frappe chez Joseph, c’est l’attention avec laquelle il écoute chacun, qu’accompagne toujours le regard curieux et bienveillant.
Joseph, tu es en vacance, sans s, mais on te voit ici dans un salon d’artistes amateurs, tu connais tout le monde, tu parles avec tout le monde. Les liens sont toujours là.
Je les aurai toujours. C’est au-delà du boulot. Cette approche des gens, de l’imaginaire m’intéresse . Quand quelqu’un me révèle son histoire, c’est toujours un bonheur pour moi. Je suis un vooleuuur !
Un voleur qui a su aussi mettre les autres en avant. Qui a su restituer.
Je vole pour rendre, même s’il ne faut pas me confondre avec Robin des Bois ni avec Mandrin.
En réalité la culture est un échange permanent. On prend et on redonne.
C’est le principe de tous les arts, prendre pour rendre différemment, consciemment ou non. Ce sont des cadeaux merveilleux.
C’est un univers complexe qui n’est pas dans la comptabilité.
Tu as raison ! Quelle horreur la manière dont on se sert de la comptabilité aujourd’hui ! Ces gestionnaires font beaucoup de dégâts. Notre société a été régulée par quelques uns pour mieux contrôler leurs capitaux et le monde. Ce n’est pas ça la vie.
A la tête de l’Auditorium, tu as fait passer cette philosophie.
Je ne sais pas, parce que j’étais entouré de comptables aussi, mais je n’ai pas vendu mon âme. J’ai essayé. Avant d’entrer au PS, Rocard avait créé le PSU, un mouvement auto gestionnaire qui m’avait beaucoup inspiré : utiliser le savoir, l’intelligence de chacun pour fabriquer une entreprise citoyenne dans laquelle tout le monde est responsable de l’histoire qui se fabrique.
Quand je suis arrivé à l’Auditorium, l’esprit était très pyramidal, le taylorisme dans toute sa splendeur. Mon rôle a été d’amener les gens vers leurs propres responsabilités, de les rendre responsables de leurs fonctions tout en étant liés aux autres. « Ensemble, on peut fabriquer une histoire qui va intéresser beaucoup de monde », c’était ma philosophie.
Quel a été ton parcours avant l’Auditorium ?
Il a été fait de belles rencontres. Il ne faut pas louper les rencontres. Je n’ai jamais eu un héros, chaque personne rencontrée était le héros, les jeunes m’ont toujours fasciné. Ces rencontres ont été une école formidable qui est allée de rencontre en rencontre pour en arriver à me construire un peu, un peu ! parce que je me sens encore tellement en manque.
Tu as plein de temps maintenant.
Oui, c’est effrayant ! (rires).
Les rencontres qui amènent à d’autres rencontres signifient qu’on est soi-même ouvert et curieux. Qu’on attend quelque chose.
Ce n’est pas une attente mais la volonté de creuser, pour trouver quelque chose qui va me surprendre et que j’espère ne jamais trouver. C’est le chemin qui est beau.
Ce qui frappe chez Joseph, c’est l’attention avec laquelle il écoute chacun, qu’accompagne toujours le regard curieux et bienveillant.
Joseph, tu es en vacance, sans s, mais on te voit ici dans un salon d’artistes amateurs, tu connais tout le monde, tu parles avec tout le monde. Les liens sont toujours là.
Je les aurai toujours. C’est au-delà du boulot. Cette approche des gens, de l’imaginaire m’intéresse . Quand quelqu’un me révèle son histoire, c’est toujours un bonheur pour moi. Je suis un vooleuuur !
Un voleur qui a su aussi mettre les autres en avant. Qui a su restituer.
Je vole pour rendre, même s’il ne faut pas me confondre avec Robin des Bois ni avec Mandrin.
En réalité la culture est un échange permanent. On prend et on redonne.
C’est le principe de tous les arts, prendre pour rendre différemment, consciemment ou non. Ce sont des cadeaux merveilleux.
C’est un univers complexe qui n’est pas dans la comptabilité.
Tu as raison ! Quelle horreur la manière dont on se sert de la comptabilité aujourd’hui ! Ces gestionnaires font beaucoup de dégâts. Notre société a été régulée par quelques uns pour mieux contrôler leurs capitaux et le monde. Ce n’est pas ça la vie.
A la tête de l’Auditorium, tu as fait passer cette philosophie.
Je ne sais pas, parce que j’étais entouré de comptables aussi, mais je n’ai pas vendu mon âme. J’ai essayé. Avant d’entrer au PS, Rocard avait créé le PSU, un mouvement auto gestionnaire qui m’avait beaucoup inspiré : utiliser le savoir, l’intelligence de chacun pour fabriquer une entreprise citoyenne dans laquelle tout le monde est responsable de l’histoire qui se fabrique.
Quand je suis arrivé à l’Auditorium, l’esprit était très pyramidal, le taylorisme dans toute sa splendeur. Mon rôle a été d’amener les gens vers leurs propres responsabilités, de les rendre responsables de leurs fonctions tout en étant liés aux autres. « Ensemble, on peut fabriquer une histoire qui va intéresser beaucoup de monde », c’était ma philosophie.
Quel a été ton parcours avant l’Auditorium ?
Il a été fait de belles rencontres. Il ne faut pas louper les rencontres. Je n’ai jamais eu un héros, chaque personne rencontrée était le héros, les jeunes m’ont toujours fasciné. Ces rencontres ont été une école formidable qui est allée de rencontre en rencontre pour en arriver à me construire un peu, un peu ! parce que je me sens encore tellement en manque.
Tu as plein de temps maintenant.
Oui, c’est effrayant ! (rires).
Les rencontres qui amènent à d’autres rencontres signifient qu’on est soi-même ouvert et curieux. Qu’on attend quelque chose.
Ce n’est pas une attente mais la volonté de creuser, pour trouver quelque chose qui va me surprendre et que j’espère ne jamais trouver. C’est le chemin qui est beau.
... ainsi que le mouvement
Comment as-tu vu évoluer le milieu de l’art et de la culture ?
J’ai eu la chance d’être un enfant de 68. J’avais 14/15 ans. On est rentrés dans ce souffle dingue de « liberté » ou de permissivité qui a été un choc pour moi qui avais eu une éducation assez stricte, catholique. Je me suis retrouvé avec des mecs complètement allumés, des gens qui vivaient en communautés où tout se mélangeait, se brassait et remettait tout en cause avec, au cœur, l’idée de vouloir construire plein de choses. On se laissait porter par son imaginaire.
On n’a jamais vu autant de créations musicales aussi incroyables, Pink Floyd, les Doors… pour le théâtre, le Grand Magic Circus ! à tomber à la renverse ! Il y a toujours eu des chefs de file mais tout le monde avait sa place, ce qui a fabriqué une richesse qu’on ne peut plus produire aujourd’hui parce que c’est trop géré. Les comptables ont oublié qu’on peut créer des choses bien au-delà des espérances. Ça devient triste et étriqué quand on contrôle tout.
On a demandé aux chercheurs qu’ils soient rentables.
Quand on attribue un budget, il faut faire confiance, quitte à ne pas le reconduire si le résultat est décevant. Et puis on veut partout des premiers de la classe, à la télé aussi. On donne même des prix à des gens qu’on avait d’abord envoyé bouler !
C’est intéressant de te rencontrer à l’occasion de ce salon des artistes amateurs : il n’y a pas de prix là !
Le côté amateur me plaît beaucoup. Il y a une sorte de folie là-dedans. Ce sont des gens qui bossent, qui peuvent avoir des boulots très sérieux et qui se lâchent dans une activité artistique ou autre avec passion. Cette passion permet de découvrir ce qu’une rencontre « normale » ne fera jamais apparaître. Je me sens bien dans ce truc là. Mon cerveau y fonctionne à mille à l’heure. C’est un jeu généreux et incontrôlable.
Dans « Extensions du domaine du don » Alain Caillé parle des gens qui s’adonnent à une activité, qui s’y donnent pleinement, c’est ce qui les rend véritablement humains.
Je pense à un immense réalisateur qui m’a énormément apporté, Tarkovski. Son film « Le sacrifice « est le don ultime qui permet d’apporter à l’autre une véritable richesse qui lui permet d’avancer plus loin lui-même. Si l’artiste n’est pas dans cette dimension, ça ne marche pas, il ne laissera rien.
Puisqu’on est dans l’année Léonard de Vinci, rappelons que des gens ne laisseront derrière eux que des latrines pleines. Si tu n’es pas capable d’aller jusqu’au sacrifice, tu ne laisseras effectivement que des latrines pleines*. Il faut penser à la Résistance, aux gens qui se sont sacrifiés pour nous offrir cet espace de liberté dont nous profitons aujourd’hui.
C’est essentiel !
Je pense aux élus, puisque les municipales ont lieu bientôt… évitons les latrines pleines même s’il est possible de les recycler et d’y faire pousser de belles fleurs.
Tu as exercé quoi, un métier, une profession, une activité ?
C’était un choix de vie, ce que j’ai trouvé de plus moral, là où je pouvais être sincère et donner avec générosité ce que j’avais au plus profond de moi, en prêtant bien sûr une attention très vive à ceux qui venaient vivre ce que je proposais à travers ma programmation de spectacles.
Je n’avais pas de carrière en tête. Quand je suis entré dans la salle de l’Auditorium, je me suis dit « Je me sens bien là ! Je suis chez moi ! » Cette salle m’a embarqué, elle m’a dit « Allez, il faut que tu fasses un boulot pour moi. » L’acoustique est fantastique, le rapport scène/salle est incroyable, avec un côté humain très juste.
Les gens du milieu politique de Seynod étaient totalement ouverts. Ils venaient d’ailleurs puisque Seynod s’est construit d’un coup. Il fallait créer une vie sociale, éducative, culturelle et politique. Les richesses de chacun s’assemblaient aux autres. J’ai pu fabriquer avec les autres.
J’ai eu la chance d’être un enfant de 68. J’avais 14/15 ans. On est rentrés dans ce souffle dingue de « liberté » ou de permissivité qui a été un choc pour moi qui avais eu une éducation assez stricte, catholique. Je me suis retrouvé avec des mecs complètement allumés, des gens qui vivaient en communautés où tout se mélangeait, se brassait et remettait tout en cause avec, au cœur, l’idée de vouloir construire plein de choses. On se laissait porter par son imaginaire.
On n’a jamais vu autant de créations musicales aussi incroyables, Pink Floyd, les Doors… pour le théâtre, le Grand Magic Circus ! à tomber à la renverse ! Il y a toujours eu des chefs de file mais tout le monde avait sa place, ce qui a fabriqué une richesse qu’on ne peut plus produire aujourd’hui parce que c’est trop géré. Les comptables ont oublié qu’on peut créer des choses bien au-delà des espérances. Ça devient triste et étriqué quand on contrôle tout.
Il faut laisser un véritable espace aux créateurs, leur faire confiance.Quand on accorde une subvention, il ne faut pas demander que soit justifiée jusqu’à la plus petite dépense.
On a demandé aux chercheurs qu’ils soient rentables.
Quand on attribue un budget, il faut faire confiance, quitte à ne pas le reconduire si le résultat est décevant. Et puis on veut partout des premiers de la classe, à la télé aussi. On donne même des prix à des gens qu’on avait d’abord envoyé bouler !
C’est intéressant de te rencontrer à l’occasion de ce salon des artistes amateurs : il n’y a pas de prix là !
Le côté amateur me plaît beaucoup. Il y a une sorte de folie là-dedans. Ce sont des gens qui bossent, qui peuvent avoir des boulots très sérieux et qui se lâchent dans une activité artistique ou autre avec passion. Cette passion permet de découvrir ce qu’une rencontre « normale » ne fera jamais apparaître. Je me sens bien dans ce truc là. Mon cerveau y fonctionne à mille à l’heure. C’est un jeu généreux et incontrôlable.
Dans « Extensions du domaine du don » Alain Caillé parle des gens qui s’adonnent à une activité, qui s’y donnent pleinement, c’est ce qui les rend véritablement humains.
Je pense à un immense réalisateur qui m’a énormément apporté, Tarkovski. Son film « Le sacrifice « est le don ultime qui permet d’apporter à l’autre une véritable richesse qui lui permet d’avancer plus loin lui-même. Si l’artiste n’est pas dans cette dimension, ça ne marche pas, il ne laissera rien.
Puisqu’on est dans l’année Léonard de Vinci, rappelons que des gens ne laisseront derrière eux que des latrines pleines. Si tu n’es pas capable d’aller jusqu’au sacrifice, tu ne laisseras effectivement que des latrines pleines*. Il faut penser à la Résistance, aux gens qui se sont sacrifiés pour nous offrir cet espace de liberté dont nous profitons aujourd’hui.
C’est essentiel !
Je pense aux élus, puisque les municipales ont lieu bientôt… évitons les latrines pleines même s’il est possible de les recycler et d’y faire pousser de belles fleurs.
Tu as exercé quoi, un métier, une profession, une activité ?
C’était un choix de vie, ce que j’ai trouvé de plus moral, là où je pouvais être sincère et donner avec générosité ce que j’avais au plus profond de moi, en prêtant bien sûr une attention très vive à ceux qui venaient vivre ce que je proposais à travers ma programmation de spectacles.
Je n’avais pas de carrière en tête. Quand je suis entré dans la salle de l’Auditorium, je me suis dit « Je me sens bien là ! Je suis chez moi ! » Cette salle m’a embarqué, elle m’a dit « Allez, il faut que tu fasses un boulot pour moi. » L’acoustique est fantastique, le rapport scène/salle est incroyable, avec un côté humain très juste.
Les gens du milieu politique de Seynod étaient totalement ouverts. Ils venaient d’ailleurs puisque Seynod s’est construit d’un coup. Il fallait créer une vie sociale, éducative, culturelle et politique. Les richesses de chacun s’assemblaient aux autres. J’ai pu fabriquer avec les autres.
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Dans l’idée d’une aventure partagée.
Exactement. Il y a toujours une mémoire, un passé, comme nous le rappellent Les Amis du Vieux Seynod, mais quand je suis arrivé 40% des habitants de Seynod avaient moins de 25 ans.
Nous avons permis à des jeunes de se fabriquer une histoire avec des fondations solides. On a « bricolé » de manière très intelligente.
Mon passage à l’Université m’a fait rencontrer des gens merveilleux, des amis qui sont devenus sociologues et avec lesquels des liens permanents ont permis un travail d’échange, de critique, d’intelligence, ce qui m’a énormément aidé.
Si tu ne te nourris pas en permanence, l’appauvrissement se fait très rapidement.
Genève m’a contacté pour que j’y travaille, on souhaitait aussi m’offrir un lieu très important ailleurs, mais Seynod était une histoire qui se construisait. Je n’avais pas fini. Ici, les choses se sont réinventées, c’est comme si j’avais vécu trois ou quatre lieux à la fois.
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Exactement. Il y a toujours une mémoire, un passé, comme nous le rappellent Les Amis du Vieux Seynod, mais quand je suis arrivé 40% des habitants de Seynod avaient moins de 25 ans.
Nous avons permis à des jeunes de se fabriquer une histoire avec des fondations solides. On a « bricolé » de manière très intelligente.
Mon passage à l’Université m’a fait rencontrer des gens merveilleux, des amis qui sont devenus sociologues et avec lesquels des liens permanents ont permis un travail d’échange, de critique, d’intelligence, ce qui m’a énormément aidé.
Si tu ne te nourris pas en permanence, l’appauvrissement se fait très rapidement.
Genève m’a contacté pour que j’y travaille, on souhaitait aussi m’offrir un lieu très important ailleurs, mais Seynod était une histoire qui se construisait. Je n’avais pas fini. Ici, les choses se sont réinventées, c’est comme si j’avais vécu trois ou quatre lieux à la fois.
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« Vois, nombreux sont ceux qui pourraient s’intituler de simples canaux pour la nourriture, des producteurs de fumier, des remplisseurs de latrines, car ils n’ont point d’autre emploi en ce monde ; ils ne mettent en pratique aucune vertu ; rien ne reste d’eux que des latrines pleines. » Léonard de Vinci