Pierre Lambert en costume, entre le département et la ville d'Annecy
L’étymologie nous y aide un peu. Le mot chef vient du latin « caput », la tête. Le chef de l’Etat en est la tête, tout là-haut.
Le Préfet est un chef aussi, à sa manière, qui est de se trouver en première ligne, devant.
Monsieur le Préfet, nous avions déjà évoqué votre décontraction lors de vos discours. Ça s’apprend ?
Un peu, par l’expérience. Finalement le naturel est quand même ce qu’il y a de plus sûr, avec des limites à ne pas franchir.
Je n’ai pas toujours été ainsi. Je préparais beaucoup ce que j’allais dire, je mémorisais pour pouvoir dérouler ma pensée sans trop regarder mes notes. J’ai toujours essayé de m’inspirer de l’auditoire, de savoir ce qu’il attend et aussi d’ajouter des notes d’humour par rapport à la pensée directrice pour rendre l’interaction plus vivante. L’humeur, le lieu interviennent dans ce processus. Il est possible d’être très sérieux tout en restant soi-même, l’humour le permet et c’est, me semble-t-il, un plus.
Ce qui doit signifier que vous êtes à l’aise dans vos fonctions et peut-être aussi en Haute-Savoie.
Je pense que c’est l’un de mes traits de caractère. Et oui, je suis à l’aise dans mes fonctions, dans les postes que j’occupe, urbains, ruraux. Même en Corse je pratiquais ces à-côtés par rapport au texte que j’avais préparé.
Combien de temps en moyenne ?
Il n’y a pas de règle. Mon poste le plus court a duré 14 mois à Montmorillon ; le plus long a été Besançon pendant 6 ans. J’ai été Sous Préfet de Mantes-la-Jolie 4 ans, Secrétaire Général du Val d’Oise 4 ans… Nancy 3 ans et demi, ainsi que la Corse…
Nous parlions d’humour. Est-ce qu’il ne permet pas de naviguer entre la lettre et l’esprit puisque vous êtes le représentant de l’Etat ?
L’humour a un effet d’écho. Si je suis en phase avec les personnes qui m’entourent et pratiquent elles aussi l’humour, je leur réponds sur le même ton. C’est ce qui s’est passé au congrès des maires, parfois à des inaugurations, avec le représentant départemental à l’occasion. Nous avons une fonction officielle, l’Etat, étymologiquement, est ce qui dure et c’est aussi le dur, celui qui dit non, qui censure parfois…
Vous êtes l’avant poste de l’Etat.
Je ne suis pas un pur produit du Ministère de l’Intérieur, j’avais commencé au Ministère du Travail où je me suis beaucoup occupé des questions d’emploi, et je continue dans tous mes postes. On n’attend d’ailleurs pas de nous que de gérer des situations de crise ou d’urgence.
On voit le Préfet plutôt à ces occasions-là.
Ou bien aux monuments aux morts. J’essaye de rester moi-même en toute situation, même lorsque je suis dans le costume de l’Etat.
Et parfois dans l’uniforme.
En essayant d’y rester (rires). L’uniforme nous distingue des autres corporations de l’Etat. La population y est très attachée parce qu’une notion de prestige y est liée. Il est question qu’on le modernise.
Vous êtes en Haute-Savoie depuis…
Novembre 2016. C’est donc ma 3ème année.
Vous avez eu le temps de découvrir le territoire. Quelles en sont les caractéristiques à vos yeux ?
C’est un département de montagne, de transition avec Genève, la Suisse, le Rhône. C’est un département complexe. Il faut du temps pour en faire le tour. Deux heures pour aller à Châtel, ou bien à Avoriaz, Chamonix est à une heure et demie. Je dois toujours intégrer la distance temps dans mon parcours.
C’est un département très contrasté, avec la partie alémanique au nord, la partie Chamonix Mont Blanc, celle des Pays de Savoie. Il n’y a pas d’unité physique.
Le Préfet est un chef aussi, à sa manière, qui est de se trouver en première ligne, devant.
Monsieur le Préfet, nous avions déjà évoqué votre décontraction lors de vos discours. Ça s’apprend ?
Un peu, par l’expérience. Finalement le naturel est quand même ce qu’il y a de plus sûr, avec des limites à ne pas franchir.
Je n’ai pas toujours été ainsi. Je préparais beaucoup ce que j’allais dire, je mémorisais pour pouvoir dérouler ma pensée sans trop regarder mes notes. J’ai toujours essayé de m’inspirer de l’auditoire, de savoir ce qu’il attend et aussi d’ajouter des notes d’humour par rapport à la pensée directrice pour rendre l’interaction plus vivante. L’humeur, le lieu interviennent dans ce processus. Il est possible d’être très sérieux tout en restant soi-même, l’humour le permet et c’est, me semble-t-il, un plus.
Ce qui doit signifier que vous êtes à l’aise dans vos fonctions et peut-être aussi en Haute-Savoie.
Je pense que c’est l’un de mes traits de caractère. Et oui, je suis à l’aise dans mes fonctions, dans les postes que j’occupe, urbains, ruraux. Même en Corse je pratiquais ces à-côtés par rapport au texte que j’avais préparé.
Le Préfet a un rôle de proximité, une fonction locale avant tout. Il doit s’imprégner du milieu local, s’y enraciner pour le peu de temps qu’il a finalement à y passer…
Combien de temps en moyenne ?
Il n’y a pas de règle. Mon poste le plus court a duré 14 mois à Montmorillon ; le plus long a été Besançon pendant 6 ans. J’ai été Sous Préfet de Mantes-la-Jolie 4 ans, Secrétaire Général du Val d’Oise 4 ans… Nancy 3 ans et demi, ainsi que la Corse…
Nous parlions d’humour. Est-ce qu’il ne permet pas de naviguer entre la lettre et l’esprit puisque vous êtes le représentant de l’Etat ?
L’humour a un effet d’écho. Si je suis en phase avec les personnes qui m’entourent et pratiquent elles aussi l’humour, je leur réponds sur le même ton. C’est ce qui s’est passé au congrès des maires, parfois à des inaugurations, avec le représentant départemental à l’occasion. Nous avons une fonction officielle, l’Etat, étymologiquement, est ce qui dure et c’est aussi le dur, celui qui dit non, qui censure parfois…
Vous êtes l’avant poste de l’Etat.
C’est pourquoi il faut personnaliser la fonction qui est nécessairement un peu régalienne, mais aussi sociale, humaine, citoyenne. Je m’intéresse beaucoup à ces sujets qu’on ne porte bien que si on y adhère. Je ne saurais pas parler de choses qui ne me motivent pas.
Je ne suis pas un pur produit du Ministère de l’Intérieur, j’avais commencé au Ministère du Travail où je me suis beaucoup occupé des questions d’emploi, et je continue dans tous mes postes. On n’attend d’ailleurs pas de nous que de gérer des situations de crise ou d’urgence.
On voit le Préfet plutôt à ces occasions-là.
Ou bien aux monuments aux morts. J’essaye de rester moi-même en toute situation, même lorsque je suis dans le costume de l’Etat.
Et parfois dans l’uniforme.
En essayant d’y rester (rires). L’uniforme nous distingue des autres corporations de l’Etat. La population y est très attachée parce qu’une notion de prestige y est liée. Il est question qu’on le modernise.
Vous êtes en Haute-Savoie depuis…
Novembre 2016. C’est donc ma 3ème année.
Vous avez eu le temps de découvrir le territoire. Quelles en sont les caractéristiques à vos yeux ?
C’est un département de montagne, de transition avec Genève, la Suisse, le Rhône. C’est un département complexe. Il faut du temps pour en faire le tour. Deux heures pour aller à Châtel, ou bien à Avoriaz, Chamonix est à une heure et demie. Je dois toujours intégrer la distance temps dans mon parcours.
C’est un département très contrasté, avec la partie alémanique au nord, la partie Chamonix Mont Blanc, celle des Pays de Savoie. Il n’y a pas d’unité physique.
Pierre Lambert en uniforme
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Et au niveau de l’esprit ?
Le phénomène de territoire est très prégnant. Il y a la vallée de l’Arve avec sa spécificité, le Chablais, le lac d’Annecy…
Vous avez connu ça en Corse.
Oui. J’oserais peut-être dire qu’il y a des similitudes quant aux comportements, pour la géographie et les déplacements. L’effet d’enclavement est l’un des enjeux, avec le développement du ferroviaire, la route du Chablais qui est indispensable.
Je m’oblige à aller régulièrement partout, au-devant du territoire et des acteurs locaux.
Il y a donc un manque d’unité physique, un éclatement par vallées, des sociologies différentes en plaine ou en montagne, de tel ou tel côté de la montagne.
C’est un territoire qui présente plein d’atouts. Le Mont Blanc est incomparable, le Léman est le lac le plus grand d’Europe.
Nous le partageons avec la Suisse.
On collabore bien avec les Suisses. Nous avons des relations principalement avec Genève mais aussi avec Vaux, un peu avec le Valais. Avec Genève, nous traitons principalement d’infrastructures, de transport pour aller vers Genève ou bien pour repartir vers Annemasse, La Roche. Tout ce qui peut permettre aux frontaliers d’aller travailler en Suisse.
L’une des particularités du département est qu’il a deux frontières, ce qui constitue une ouverture. Et le cloisonnement que nous évoquions peut être perçu comme un handicap mais aussi comme une richesse liée à la diversité culturelle.
C’est certain. Chamonix et Saint Gervais sont tournés vers le Piémont. Il y a beaucoup d’échanges entre guides français et italiens. Le tunnel du Mont Blanc nous rassemble autour de certaines pratiques de secours. Saint Gingolph est tourné vers le Valais, Thonon/ Evian vers le canton de Vaux, Saint-Julien vers Genève. Il y a aussi toute la culture issue du monde de la montagne, très typique des Alpes du nord. Ici à Annecy la culture est encore différente.
J’aime bien me promener au Semnoz d’où l’on voit toutes les chaînes de montagnes qui s’organisent jusqu’au Mont Blanc qu’on aperçoit de partout. En 1792 le département s’appelait « Département du Mont Blanc », ce qui est significatif.
Le rôle des Préfets va-t-il évoluer ? Avec l’Europe, les grandes Régions ?
Ils vont continuer d’exister puisqu’ils sont les représentants de l’Etat au plan local. Le gouvernement actuel veut accentuer le pouvoir de déconcentration et nous sommes un lien de proximité avec les acteurs locaux alors que les Régions sont perçues comme lointaines parce que très grandes, même s’il y a des Conseils régionaux. La Vice Présidente chargée des transports est à Aurillac ; il faut prendre rendez-vous longtemps à l’avance alors que les rendez-vous d’un Préfet se prennent d’une semaine sur l’autre.
Si les départements perdurent, le Préfet du département est l’interlocuteur normal au niveau départemental, avec les collectivités locales, notamment intercommunales, voire communales.
Le Préfet supervise l’administration de l’Etat dans le département mais je suis accompagné de quatre Sous Préfets pour Annecy, Thonon, Bonneville, Saint-Julien avec pour chaque arrondissement les spécificités que nous avons évoquées. Il y a dans tout cela un côté entre lac et montagne, avec un côté balnéaire à Annecy, de même qu’à Thonon /Evian, avec des ports, des voiliers.
Il ne faut donc pas voir les Sous Préfets que sous l’angle de rêveurs poètes que s’amuse à dépeindre Daudet.
Ce conte est un grand classique de notre enfance. Je m’en suis même servi comme trait d’humour dans mon premier poste de Sous Préfet. Les choses ont beaucoup changé depuis Daudet. Même dans les petits postes, il y a une forte demande d’Etat.
Pourtant les gens demandent plus de liberté.
Je pense aux collectivités locales, aux entreprises, aux associations. Les particuliers ne savent pas ce que je fais au quotidien.
Il faut parfois traiter des situations que les réseaux sociaux caricaturent en se livrant à de la désinformation. La qualité de l’air, par exemple, est une notion complexe. Le plan que j’ai présenté récemment a nécessité deux ans de travail, avec la participation de trois cents personnes, une vingtaine de réunions : nous avons pratiquement retenu tout ce qui nous avait été proposé. Nous avons avancé grâce aux associations qui ont été membres du groupe de travail, nous avons pris en compte des particules plus fines que ce qui était initialement prévu, nous avons réglementé davantage les transports, fait en sorte que les citoyens puissent proposer des mesures dans une gouvernance élargie au sein de laquelle ils sont représentés.
Les réseaux sociaux attendaient, eux, des mesures lapidaires : fermer une usine, fermer le Mont Blanc. Ça ne règle pas le problème de la pollution qui ne peut être traité que dans la durée et avec des mesures complètes.
[Nous convenons avec le Préfet de la Haute-Savoie que l'art de la conversation est important pour connaître les gens et les territoires aussi bien que dans la négociation.]
Le phénomène de territoire est très prégnant. Il y a la vallée de l’Arve avec sa spécificité, le Chablais, le lac d’Annecy…
Vous avez connu ça en Corse.
Oui. J’oserais peut-être dire qu’il y a des similitudes quant aux comportements, pour la géographie et les déplacements. L’effet d’enclavement est l’un des enjeux, avec le développement du ferroviaire, la route du Chablais qui est indispensable.
Je m’oblige à aller régulièrement partout, au-devant du territoire et des acteurs locaux.
Il y a donc un manque d’unité physique, un éclatement par vallées, des sociologies différentes en plaine ou en montagne, de tel ou tel côté de la montagne.
Ce qui n’empêche pas le département d’être dynamique, avec des acteurs entreprenants, tenaces, capables de faire preuve de résilience comme dans le secteur du décolletage qui devra continuer à évoluer encore pour accompagner les mutations très profondes du monde de l’automobile.
C’est un territoire qui présente plein d’atouts. Le Mont Blanc est incomparable, le Léman est le lac le plus grand d’Europe.
Nous le partageons avec la Suisse.
On collabore bien avec les Suisses. Nous avons des relations principalement avec Genève mais aussi avec Vaux, un peu avec le Valais. Avec Genève, nous traitons principalement d’infrastructures, de transport pour aller vers Genève ou bien pour repartir vers Annemasse, La Roche. Tout ce qui peut permettre aux frontaliers d’aller travailler en Suisse.
L’une des particularités du département est qu’il a deux frontières, ce qui constitue une ouverture. Et le cloisonnement que nous évoquions peut être perçu comme un handicap mais aussi comme une richesse liée à la diversité culturelle.
C’est certain. Chamonix et Saint Gervais sont tournés vers le Piémont. Il y a beaucoup d’échanges entre guides français et italiens. Le tunnel du Mont Blanc nous rassemble autour de certaines pratiques de secours. Saint Gingolph est tourné vers le Valais, Thonon/ Evian vers le canton de Vaux, Saint-Julien vers Genève. Il y a aussi toute la culture issue du monde de la montagne, très typique des Alpes du nord. Ici à Annecy la culture est encore différente.
J’aime bien me promener au Semnoz d’où l’on voit toutes les chaînes de montagnes qui s’organisent jusqu’au Mont Blanc qu’on aperçoit de partout. En 1792 le département s’appelait « Département du Mont Blanc », ce qui est significatif.
Le rôle des Préfets va-t-il évoluer ? Avec l’Europe, les grandes Régions ?
Ils vont continuer d’exister puisqu’ils sont les représentants de l’Etat au plan local. Le gouvernement actuel veut accentuer le pouvoir de déconcentration et nous sommes un lien de proximité avec les acteurs locaux alors que les Régions sont perçues comme lointaines parce que très grandes, même s’il y a des Conseils régionaux. La Vice Présidente chargée des transports est à Aurillac ; il faut prendre rendez-vous longtemps à l’avance alors que les rendez-vous d’un Préfet se prennent d’une semaine sur l’autre.
Si les départements perdurent, le Préfet du département est l’interlocuteur normal au niveau départemental, avec les collectivités locales, notamment intercommunales, voire communales.
Le Préfet supervise l’administration de l’Etat dans le département mais je suis accompagné de quatre Sous Préfets pour Annecy, Thonon, Bonneville, Saint-Julien avec pour chaque arrondissement les spécificités que nous avons évoquées. Il y a dans tout cela un côté entre lac et montagne, avec un côté balnéaire à Annecy, de même qu’à Thonon /Evian, avec des ports, des voiliers.
Il ne faut donc pas voir les Sous Préfets que sous l’angle de rêveurs poètes que s’amuse à dépeindre Daudet.
Ce conte est un grand classique de notre enfance. Je m’en suis même servi comme trait d’humour dans mon premier poste de Sous Préfet. Les choses ont beaucoup changé depuis Daudet. Même dans les petits postes, il y a une forte demande d’Etat.
Pourtant les gens demandent plus de liberté.
Je pense aux collectivités locales, aux entreprises, aux associations. Les particuliers ne savent pas ce que je fais au quotidien.
Le Préfet ne roule pour personne, il est garant de l’intérêt général, de l’Etat de droit. On se tourne vers lui parce qu’on sait qu’il n’y a pas de risque de dévoiement.
Il faut parfois traiter des situations que les réseaux sociaux caricaturent en se livrant à de la désinformation. La qualité de l’air, par exemple, est une notion complexe. Le plan que j’ai présenté récemment a nécessité deux ans de travail, avec la participation de trois cents personnes, une vingtaine de réunions : nous avons pratiquement retenu tout ce qui nous avait été proposé. Nous avons avancé grâce aux associations qui ont été membres du groupe de travail, nous avons pris en compte des particules plus fines que ce qui était initialement prévu, nous avons réglementé davantage les transports, fait en sorte que les citoyens puissent proposer des mesures dans une gouvernance élargie au sein de laquelle ils sont représentés.
Les réseaux sociaux attendaient, eux, des mesures lapidaires : fermer une usine, fermer le Mont Blanc. Ça ne règle pas le problème de la pollution qui ne peut être traité que dans la durée et avec des mesures complètes.
[Nous convenons avec le Préfet de la Haute-Savoie que l'art de la conversation est important pour connaître les gens et les territoires aussi bien que dans la négociation.]