Ce mardi de juillet 2018 , il fait beau. La baie de Talloires est calme. La conversation avec Jean-Marie Gourio roule toute seule, passe d’un sujet à l’autre, en toute simplicité.
Nous en avons gardé le ton et l’esprit, le côté amical et naturel qui vont si bien à Jean-Marie Gourio. Le point de départ ? L’adaptation en cours de la fameuse série « Palace » qui a marqué une époque, et puis les sujets s’enchaînent, l’amitié, la vie et la mort, la création….
La petite baie de Talloires permet d’embrasser un grand tour d’horizon.
Palace, c’était il y a combien de temps ?
Oulala !Je n’en sais rien ! Je sais que tout le monde était vivant. Topor était vivant, Laurent Blanche, Gébé aussi, Cabu…je me repère comme ça dans le temps.
L’adaptation de Palace ne va pas être un hommage aux disparus ?
Non .L’esprit est bien Palace, la folie dans un palace. L’adaptation va correspondre à une journée, du matin jusqu’au soir dans un palace.
Un lieu, un temps…c’est un cadre de pièce classique.
Oui, d’ailleurs Ribes a toujours été classique pour ça. On peut même dire que Rabelais est un grand classique, Molière est devenu un classique alors qu’il ne l’était pas à son époque. Le roi n’était pas content. Eh bien Palace est un classique et le roi n’est pas content.
Quel roi ?
Tous les rois (rires).
C’est une façon d’apporter un peu de désordre ?
Absolument. Le rire, c’est ça. Le rire et l’absurde, c’est ça. Un désordre avec des lois très précises.
Tu citais tous ces noms d’amis, mais on se souvient aussi de la distribution, Jacqueline Mailland, Claude Piéplu , Darry Colw, Carmet et bien d’autres…Comment se détacher de toute cette équipe et envisager une adaptation pour la scène ?
C’est comme la vie. Comment se détacher de ces disparitions ? En fait, il ne faut pas s’en détacher, avoir toujours le souvenir des gens en soi et continuer. Je n’aime pas l’expression « faire son deuil ». Je n’ai pas du tout envie de faire mon deuil. Choron, j’ai toujours l’impression qu’il est vivant. Je ne raisonne pas en me disant « Il est mort, je ne le verrai plus jamais. »Je sais que je ne vais pas rencontrer Choron ni Topor dans Paris mais je ne pense pas à eux comme à des gens qui sont morts. Quand j’ai des décisions à prendre, il arrive que je me demande si ça plairait à Gébé. Ce sont des liens de potes, c’est toujours de la famille, de grands amis. S’ils étaient vivants, c’est même pas sûr qu’on les aurait pris (rires). Wolinski n’aurait peut-être pas eu le temps, Gébé non plus.
Je suis content de refaire Palace pour mettre de la jeunesse là-dedans, pour le faire revivre.
Ça va donc être ramassé sur une journée et actualisé ?
Bien sûr. Palace avait été conçu pour la télévision, avec des plans, des coupes ; il faut l’adapter au théâtre, raccourcir, donner de la pêche, moderniser, actualiser pour en faire un spectacle de deux heures avec des sketches, des ballets, des rubriques de Palace qu’on connaît, comme « Appelez-moi le directeur ». On garde tous les grands moments de Palace, avec des ballets puisque c’est une revue. C’est Broadway ! Les Monthy Pyton à Broadway. Il y a des tours de magie, de la chanson, de la danse, des claquettes.
On est en train de fabriquer le spectacle : on l’écrit et les castings se passent en même temps. Comme on peut trouver dans le casting des gens ahurissants, on écrit pour eux. Il y aura 25 personnes sur scène et on cherche des multipostes.25 comédiens dont sept danseurs qui savent jouer la comédie. Le casting reprend en septembre et on gardera 25 personnes sur les 50 sélectionnées actuellement.
Les 25 autres vont se flinguer !
Oui, mais c’est comme ça, c’est Palace ! (rires). La vedette, c’est Palace, pas les acteurs. On a besoin de grands comédiens mais pas de grands noms.
Nous en avons gardé le ton et l’esprit, le côté amical et naturel qui vont si bien à Jean-Marie Gourio. Le point de départ ? L’adaptation en cours de la fameuse série « Palace » qui a marqué une époque, et puis les sujets s’enchaînent, l’amitié, la vie et la mort, la création….
La petite baie de Talloires permet d’embrasser un grand tour d’horizon.
Palace, c’était il y a combien de temps ?
Oulala !Je n’en sais rien ! Je sais que tout le monde était vivant. Topor était vivant, Laurent Blanche, Gébé aussi, Cabu…je me repère comme ça dans le temps.
L’adaptation de Palace ne va pas être un hommage aux disparus ?
Non .L’esprit est bien Palace, la folie dans un palace. L’adaptation va correspondre à une journée, du matin jusqu’au soir dans un palace.
Un lieu, un temps…c’est un cadre de pièce classique.
Oui, d’ailleurs Ribes a toujours été classique pour ça. On peut même dire que Rabelais est un grand classique, Molière est devenu un classique alors qu’il ne l’était pas à son époque. Le roi n’était pas content. Eh bien Palace est un classique et le roi n’est pas content.
Quel roi ?
Tous les rois (rires).
C’est une façon d’apporter un peu de désordre ?
Absolument. Le rire, c’est ça. Le rire et l’absurde, c’est ça. Un désordre avec des lois très précises.
Tu citais tous ces noms d’amis, mais on se souvient aussi de la distribution, Jacqueline Mailland, Claude Piéplu , Darry Colw, Carmet et bien d’autres…Comment se détacher de toute cette équipe et envisager une adaptation pour la scène ?
C’est comme la vie. Comment se détacher de ces disparitions ? En fait, il ne faut pas s’en détacher, avoir toujours le souvenir des gens en soi et continuer. Je n’aime pas l’expression « faire son deuil ». Je n’ai pas du tout envie de faire mon deuil. Choron, j’ai toujours l’impression qu’il est vivant. Je ne raisonne pas en me disant « Il est mort, je ne le verrai plus jamais. »Je sais que je ne vais pas rencontrer Choron ni Topor dans Paris mais je ne pense pas à eux comme à des gens qui sont morts. Quand j’ai des décisions à prendre, il arrive que je me demande si ça plairait à Gébé. Ce sont des liens de potes, c’est toujours de la famille, de grands amis. S’ils étaient vivants, c’est même pas sûr qu’on les aurait pris (rires). Wolinski n’aurait peut-être pas eu le temps, Gébé non plus.
Je suis content de refaire Palace pour mettre de la jeunesse là-dedans, pour le faire revivre.
Ça va donc être ramassé sur une journée et actualisé ?
Bien sûr. Palace avait été conçu pour la télévision, avec des plans, des coupes ; il faut l’adapter au théâtre, raccourcir, donner de la pêche, moderniser, actualiser pour en faire un spectacle de deux heures avec des sketches, des ballets, des rubriques de Palace qu’on connaît, comme « Appelez-moi le directeur ». On garde tous les grands moments de Palace, avec des ballets puisque c’est une revue. C’est Broadway ! Les Monthy Pyton à Broadway. Il y a des tours de magie, de la chanson, de la danse, des claquettes.
On est en train de fabriquer le spectacle : on l’écrit et les castings se passent en même temps. Comme on peut trouver dans le casting des gens ahurissants, on écrit pour eux. Il y aura 25 personnes sur scène et on cherche des multipostes.25 comédiens dont sept danseurs qui savent jouer la comédie. Le casting reprend en septembre et on gardera 25 personnes sur les 50 sélectionnées actuellement.
Les 25 autres vont se flinguer !
Oui, mais c’est comme ça, c’est Palace ! (rires). La vedette, c’est Palace, pas les acteurs. On a besoin de grands comédiens mais pas de grands noms.
Quelqu’un reprend la rubrique de Carmet ?
On a travaillé dessus et j’ai trouvé que ça n’allait pas. Il faut de la folie, du rythme et ça arrêterait tout. On préfère prendre des brèves qui nous font marrer et les mettre dans des dialogues, dans des discussions absurdes .Tout doit être mené de manière fluide, dans le mouvement. Un mouvement de sketches, de danse, d’humour et de beauté. Jean-Michel insiste beaucoup sur la beauté. Le décor de Patrick Duterte est magnifique, c’est lui qui avait fait le premier Palace. Il y a des colonnes mobiles sur un plateau gigantesque, avec des jeux de miroirs qui donnent l’impression qu’il y a des milliers de personnes. On va jouer sur la beauté et sur la démesure.
Il faut une mise en scène adaptée.
Enorme, avec un travail énorme. C’est pourquoi on a commencé il y a quelques mois pour être prêts en septembre 2019. On va pouvoir répéter dans le décor pendant trois mois l’année prochaine. Ce sera le Théâtre de Paris, 1200 places, rue Blanche. Richard Caillat est le propriétaire, il a beaucoup de moyens qu’il investit dans le théâtre, ce qui est bien.
Palace a marqué une génération, et c’est bien de le faire découvrir aux plus jeunes.
C’est bien, oui. D’ailleurs Ribes a une formule que j’aime bien « L’humour vieillit mais pas l’absurde ». L’absurde est un truc fondamental qui fait partie de la vie. C’est un peu comme « Monsieur Hulot » qui repassait hier à la télévision, c’est très étrange, ça ne vieillit pas, ça peut se transmettre et être compris. Palace, c’était les débuts de Canal+, Mitterrand, les années 80.
Bon, c’est une sorte d’évidence, mais on peut dire que ça va bien tomber avec cette époque qui se veut rigoriste, rationnelle, qui s’appuie sur des chiffres, des statistiques.
Oui, il y a ça, et je me suis rendu compte en relisant la première version que nous avons faite, nous en faisons plusieurs, un peu comme les peintres qui passent plusieurs couches, qu’il y a beaucoup de fond : Palace, bien sûr, mais la pauvreté autour, les gens qui se noient en Méditerranée…
Ce qui donne un contre-point.
Et permet d’entrer dans l’humour et dans l’absurde avec des éléments de maintenant. Les pauvres de maintenant ne sont pas ceux de l’époque, c’est presque pire. Les décalages sont encore plus visibles, ceux de la pauvreté, du numérique puisque tu ne peux plus acheter un billet de train si tu n’as pas Internet. Palace est une sorte d’île arrogante entre deux mondes.
Il y a d’ailleurs un sketch qui se passe dans un hammam, avec de la bonne eau livrée de Méditerranée, et puis ça commence à discuter des migrants qui se noient là-dedans. J’en suis très content parce que c’est venu naturellement, en écrivant, et ça donne un spectacle politique.
C’est de la politique sans étiquette.
Oui, bien sûr. Quand Charlot fait ses trucs, c’est un vagabond, il achète des fleurs à une aveugle, il y a les riches et les policiers passent en voiture. Après, il fait la danse des petits pains, avec des petits pains et deux fourchettes et c’est un moment de grâce ahurissant. On va creuser du côté de cette mine d’or-là. Du côté de Charlot, de Buster Keaton, des Monty Python, du côté de ces grands humoristes absurdes qui sont des gens de spectacle, qui dansent et bougent admirablement bien.
Il y a en ce moment une exposition sur les Shadoks au Château d’Annecy, Shadokorama.
Les Shadoks, oui, c’est aussi cet esprit-là. Il y a toute la filiation avec Jarry, avec « Les raisins verts » de Jean-Christophe Averty. On est dans ce courant, qui comprend aussi Chaval ; Topor vient de là.
On a travaillé dessus et j’ai trouvé que ça n’allait pas. Il faut de la folie, du rythme et ça arrêterait tout. On préfère prendre des brèves qui nous font marrer et les mettre dans des dialogues, dans des discussions absurdes .Tout doit être mené de manière fluide, dans le mouvement. Un mouvement de sketches, de danse, d’humour et de beauté. Jean-Michel insiste beaucoup sur la beauté. Le décor de Patrick Duterte est magnifique, c’est lui qui avait fait le premier Palace. Il y a des colonnes mobiles sur un plateau gigantesque, avec des jeux de miroirs qui donnent l’impression qu’il y a des milliers de personnes. On va jouer sur la beauté et sur la démesure.
Il faut une mise en scène adaptée.
Enorme, avec un travail énorme. C’est pourquoi on a commencé il y a quelques mois pour être prêts en septembre 2019. On va pouvoir répéter dans le décor pendant trois mois l’année prochaine. Ce sera le Théâtre de Paris, 1200 places, rue Blanche. Richard Caillat est le propriétaire, il a beaucoup de moyens qu’il investit dans le théâtre, ce qui est bien.
Palace a marqué une génération, et c’est bien de le faire découvrir aux plus jeunes.
C’est bien, oui. D’ailleurs Ribes a une formule que j’aime bien « L’humour vieillit mais pas l’absurde ». L’absurde est un truc fondamental qui fait partie de la vie. C’est un peu comme « Monsieur Hulot » qui repassait hier à la télévision, c’est très étrange, ça ne vieillit pas, ça peut se transmettre et être compris. Palace, c’était les débuts de Canal+, Mitterrand, les années 80.
Bon, c’est une sorte d’évidence, mais on peut dire que ça va bien tomber avec cette époque qui se veut rigoriste, rationnelle, qui s’appuie sur des chiffres, des statistiques.
Oui, il y a ça, et je me suis rendu compte en relisant la première version que nous avons faite, nous en faisons plusieurs, un peu comme les peintres qui passent plusieurs couches, qu’il y a beaucoup de fond : Palace, bien sûr, mais la pauvreté autour, les gens qui se noient en Méditerranée…
Ce qui donne un contre-point.
Et permet d’entrer dans l’humour et dans l’absurde avec des éléments de maintenant. Les pauvres de maintenant ne sont pas ceux de l’époque, c’est presque pire. Les décalages sont encore plus visibles, ceux de la pauvreté, du numérique puisque tu ne peux plus acheter un billet de train si tu n’as pas Internet. Palace est une sorte d’île arrogante entre deux mondes.
Il y a d’ailleurs un sketch qui se passe dans un hammam, avec de la bonne eau livrée de Méditerranée, et puis ça commence à discuter des migrants qui se noient là-dedans. J’en suis très content parce que c’est venu naturellement, en écrivant, et ça donne un spectacle politique.
C’est de la politique sans étiquette.
Oui, bien sûr. Quand Charlot fait ses trucs, c’est un vagabond, il achète des fleurs à une aveugle, il y a les riches et les policiers passent en voiture. Après, il fait la danse des petits pains, avec des petits pains et deux fourchettes et c’est un moment de grâce ahurissant. On va creuser du côté de cette mine d’or-là. Du côté de Charlot, de Buster Keaton, des Monty Python, du côté de ces grands humoristes absurdes qui sont des gens de spectacle, qui dansent et bougent admirablement bien.
Il y a en ce moment une exposition sur les Shadoks au Château d’Annecy, Shadokorama.
Les Shadoks, oui, c’est aussi cet esprit-là. Il y a toute la filiation avec Jarry, avec « Les raisins verts » de Jean-Christophe Averty. On est dans ce courant, qui comprend aussi Chaval ; Topor vient de là.
Cette dimension de l’absurde, tu le disais tout à l’heure, est consubstantielle à la vie.
Et tous ces gens que j’évoque ne sont pas morts, parce que la culture les traverse. Topor demeure avec nous grâce à Jarry, grâce à Buster Keaton, tous forment un groupe d’immortels parce qu’ils ont créé. C’est une transmission du vivant par les morts.
L’art et le sexe permettent d’échapper au temps (mais l’art est plus fiable).
D’abord l’art et pour le reste tu verras ! (rires).
On a parlé de toi comme écrivain, créateur, mais quel lecteur es-tu ?
Je relis surtout. Je relis sans arrêt les mêmes choses.
Ce qui implique de les avoir lues.
Je suis amoureux des grands stylistes, Zola, certains Américains, Thomas Bernhard… je suis amoureux des grands peintres en littérature. « Le ventre de Paris », de Zola, c’est incroyable. La technique d’écriture fait apparaître les choses avec une incroyable poésie augmentée. Zola arrive à mettre de la beauté et de la poésie dans des thèmes sociaux.
Ce qui montre que l’appellation de « naturalisme » est une c…
Il n’ya aucune description possible de la réalité. Pareil pour la photo qui dépend d’un cadrage et d’autres paramètres. Il est impossible de sortir d’une traduction de la réalité .En gros, le réel n’existe pas. On parle de sensibilité en photo, d’ASA, et suivant le degré de sensibilité, on a plus ou moins de grain ; s’il y en a trop, on tombe chez les pointillistes !
C’est pareil dans l’écriture. Il y a du gros grain, du grain fin, plus ou moins de lumière…et la musique en plus, avec une partition, un ordre des notes, un premier, un deuxième mot sur la ligne, alors que l’ordre n’existe pas dans un tableau. On peut commencer là où on veut. Dans mon dernier bouquin « J’ai soif !soif !soif ! mais soif ! », j’ai mis cette phrase « Un livre, on sait quand ça commence, la musique aussi, un tableau, on sait pas. » A quel moment il y a le premier coup de pinceau ? Un tableau est complètement dans le désordre, c’est pourquoi il est plus difficile d’y entendre une musique.
Pour revenir à ce que nous disions des gens disparus, on peut faire un parallèle avec un très bon livre qui te renvoie à plein de choses et n’est jamais fini.
C’est un tronçon. Un livre raté, au contraire, a la prétention d’ être le monde à lui tout seul, avec rien avant et rien après. Tu peux relire plein de fois Agota Kristof, Zola, c’est une écriture de maintenant, qui ne vieillit pas. Mishima, Steinbeck, rien de trop et tout existe. Le livre est vraiment vivant.
Quand j’écris un bouquin, parfois au bout d’un moment, il meurt. Fausse couche. Il n’ya pas les poumons, le cœur, les bras…ou alors il a cinq bras. Il s’arrête, il meurt dans mes bras au bout de quarante ou cinquante pages. Alors que quand il est viable, je n’ai plus rien à faire que de le protéger.
C’est presque indépendant de ta volonté.
Quand ça se passe bien, j’ai l’impression de marcher sur une route avec devant moi un troupeau d’oies que je dirige avec un bâton simplement pour qu’elles ne sortent pas de la route. C’est tout. Il y a un moment- c’est très bizarre- où, oui, ça se fait tout seul. Tu as mis tous les éléments en place pour qu’il y ait une logique imparable. Il y a une logique même dans les couleurs, dans l’odorat, dans le temps, dans le rythme. Alors tu n’a plus rien d’autre à faire que de protéger ton truc.
D’une certaine manière, ça te dépasse.
Oui, quand c’est réussi. C’est un filet à papillon et l’extérieur y vient. Tous les papillons qui sont à la bonne taille viennent s’y prendre.
Et quand tu as terminé ?
Le lendemain, je ne sais pas si c’est la fin. Mais si c’est vraiment la fin, après, c’est pas terrible. Je m’en suis rendu compte hier. J’étais dans mon bureau. Je viens de rendre pour le Seuil un bouquin que j’ai fini la semaine dernière. Je l’ai donné à Philippe Delerm. J’étais dans mon bureau et je regardais par la fenêtre. Je ne savais pas quel jour on était, ni l’heure… parce que je n’avais pas travaillé. Sinon j’écris de telle heure à telle heure, j’ai écrit ça, le personnage a fait ça, du coup, quand je regarde, ben oui, donc…en fait mon calendrier est ce que j’ai écrit.
Et tous ces gens que j’évoque ne sont pas morts, parce que la culture les traverse. Topor demeure avec nous grâce à Jarry, grâce à Buster Keaton, tous forment un groupe d’immortels parce qu’ils ont créé. C’est une transmission du vivant par les morts.
L’art et le sexe permettent d’échapper au temps (mais l’art est plus fiable).
D’abord l’art et pour le reste tu verras ! (rires).
On a parlé de toi comme écrivain, créateur, mais quel lecteur es-tu ?
Je relis surtout. Je relis sans arrêt les mêmes choses.
Ce qui implique de les avoir lues.
Je suis amoureux des grands stylistes, Zola, certains Américains, Thomas Bernhard… je suis amoureux des grands peintres en littérature. « Le ventre de Paris », de Zola, c’est incroyable. La technique d’écriture fait apparaître les choses avec une incroyable poésie augmentée. Zola arrive à mettre de la beauté et de la poésie dans des thèmes sociaux.
Ce qui montre que l’appellation de « naturalisme » est une c…
Il n’ya aucune description possible de la réalité. Pareil pour la photo qui dépend d’un cadrage et d’autres paramètres. Il est impossible de sortir d’une traduction de la réalité .En gros, le réel n’existe pas. On parle de sensibilité en photo, d’ASA, et suivant le degré de sensibilité, on a plus ou moins de grain ; s’il y en a trop, on tombe chez les pointillistes !
C’est pareil dans l’écriture. Il y a du gros grain, du grain fin, plus ou moins de lumière…et la musique en plus, avec une partition, un ordre des notes, un premier, un deuxième mot sur la ligne, alors que l’ordre n’existe pas dans un tableau. On peut commencer là où on veut. Dans mon dernier bouquin « J’ai soif !soif !soif ! mais soif ! », j’ai mis cette phrase « Un livre, on sait quand ça commence, la musique aussi, un tableau, on sait pas. » A quel moment il y a le premier coup de pinceau ? Un tableau est complètement dans le désordre, c’est pourquoi il est plus difficile d’y entendre une musique.
Pour revenir à ce que nous disions des gens disparus, on peut faire un parallèle avec un très bon livre qui te renvoie à plein de choses et n’est jamais fini.
C’est un tronçon. Un livre raté, au contraire, a la prétention d’ être le monde à lui tout seul, avec rien avant et rien après. Tu peux relire plein de fois Agota Kristof, Zola, c’est une écriture de maintenant, qui ne vieillit pas. Mishima, Steinbeck, rien de trop et tout existe. Le livre est vraiment vivant.
Quand j’écris un bouquin, parfois au bout d’un moment, il meurt. Fausse couche. Il n’ya pas les poumons, le cœur, les bras…ou alors il a cinq bras. Il s’arrête, il meurt dans mes bras au bout de quarante ou cinquante pages. Alors que quand il est viable, je n’ai plus rien à faire que de le protéger.
C’est presque indépendant de ta volonté.
Quand ça se passe bien, j’ai l’impression de marcher sur une route avec devant moi un troupeau d’oies que je dirige avec un bâton simplement pour qu’elles ne sortent pas de la route. C’est tout. Il y a un moment- c’est très bizarre- où, oui, ça se fait tout seul. Tu as mis tous les éléments en place pour qu’il y ait une logique imparable. Il y a une logique même dans les couleurs, dans l’odorat, dans le temps, dans le rythme. Alors tu n’a plus rien d’autre à faire que de protéger ton truc.
D’une certaine manière, ça te dépasse.
Oui, quand c’est réussi. C’est un filet à papillon et l’extérieur y vient. Tous les papillons qui sont à la bonne taille viennent s’y prendre.
Et quand tu as terminé ?
Le lendemain, je ne sais pas si c’est la fin. Mais si c’est vraiment la fin, après, c’est pas terrible. Je m’en suis rendu compte hier. J’étais dans mon bureau. Je viens de rendre pour le Seuil un bouquin que j’ai fini la semaine dernière. Je l’ai donné à Philippe Delerm. J’étais dans mon bureau et je regardais par la fenêtre. Je ne savais pas quel jour on était, ni l’heure… parce que je n’avais pas travaillé. Sinon j’écris de telle heure à telle heure, j’ai écrit ça, le personnage a fait ça, du coup, quand je regarde, ben oui, donc…en fait mon calendrier est ce que j’ai écrit.
Ce qui est une façon de créer un temps.
Oui, comme on peut supposer que le tailleur de pierre crée son temps.
Ce qui nous renvoie au regard politique sur la société. Quand on est pleinement dans ce qu’on fait, on crée son propre temps ; ce qu’on fait de moins en moins dans la société actuelle.
Parce qu’il y a de moins en moins de boulots qui te le permettent.
Alors qu’on présente notre Président de la République comme « le maître des horloges. »
Les maîtres des temps, c’était ceux qui construisaient des maisons, qui faisaient des églises, les agriculteurs d’autrefois alors que ceux d’aujourd’hui sont tributaires non plus du temps mais des subventions et des décisions de l’Europe. Avant, c’était les oliviers qui disaient « On est tel jour, il faut faire ça.. » Le mec qui a des oliviers n’a pas le même temps que celui qui a des cerisiers.
Alors que maintenant on est tous contraints…
D’avoir le même temps artificiel. Yann Tiersen, qui a fait la musique d’ « Amélie Poulain », a une maison à Noirmoutiers avec sa copine. Il y a du vent, ça souffle. Ils disent qu’ils sont dans le vrai temps. Un temps inconnu sur le continent .Le temps de l’île, des nuages, des quelques moutons qu’ils ont.
En effet, le temps du livre, de l’écriture rythme absolument tout, me fait tout voir et tout sentir. Quand j’écris, je suis ultra sensible. Tout ce que je vois, est-ce que ça ne rentrerait pas dans le livre ? La lumière, un personnage qui passe, la voiture qui passe en ce moment, tiens, avec un éclat de lumière. Tout peut rentrer dans le bouquin, comme si j’avais un panier pour mettre mes champignons. Mon livre est un panier, sans lui, je ne peux rien ramasser et je me demande ce que je fous dans les bois.
Créer son propre temps, c’est une forme de liberté.
Absolument. C’est même la liberté première. C’est ce que les gens expérimentent quand ils ont un bébé qui impose un temps nouveau. Il faut alors protéger la liberté que donne l’enfant. Ça peut être la grande liberté ou la grande prison.
On parle de liberté liée à l’écriture. Pourquoi certains artistes parlent de leur activité en lui associant de la souffrance ?
Quand tu n’y arrives pas, c’est très désagréable. C’est pénible. T’es plus rien. Ça ne va pas même physiquement.
Est-ce qu’il n’y a pas une mauvaise conscience à produire un truc qui n’est pas dans le productivisme concret, immédiatement évaluable ?
Oui, et c’est terrible. Si j’ai mal travaillé, je suis nul, mais comme ce sont des choses que je m’impose moi, c’est le prix de la liberté à payer. Cette souffrance est une liberté que tu ne peux pas partager. Tu ne vas pas te plaindre toute la journée parce que tu n’as pas trouvé un adjectif, parce qu’on va te dire « Ça va ? Tu n’es pas trop fatigué ? » (rires).
C’est une activité qui peut passer pour futile.
Comme tout ce qui ne sert à rien immédiatement. Van Gogh s’est coupé une oreille, tout le monde s’en foutait. Y’en a qui partaient à la guerre, d’autres en revenaient et lui, il chiale dans sa chambre parce qu’il n’arrive pas à faire une fleur. Y commence à nous emmerder, pépère !
Il y a un côté narcissique ?
Oui, absolument. Si Mozart n’arrive pas à écrire son opéra, on lui dit « Ta gueule », y’a les mecs qui crèvent de soif en ramassant les blés. Il est difficile de comprendre que c’est l’un des éléments essentiels à la vie.
[La discussion roule aussi sur la tradition, les liens au territoire, la géopoétique…]
Il faut être mobile. Je bouge tout le temps. J’ai choisi cette activité d’écriture pour être libre. Je savais que se devais réussir seul à créer un monde. Que je n’aurais pas de chef.
Dès l’école ?
Non, ça m’a pris à Hara Kiri. Gamin, j’étais à la campagne, avec des grenouilles dans les mares, les palombes parce que j’étais dans le sud ouest. J’ai commencé à voir les choses comme ça quand je suis entré au journal, en 76.J’avais fait les Beaux Arts, mais j’ai travaillé comme homme à tout faire, pour l’expédition des journaux…
On parlait de transmission, d’héritage. Tout ceci vit chez les gens qui sont passés par Hara Kiri.
Quand je les ai approchés, j’ai vu à quel point ils étaient libres et intelligents. Je me suis dit, ils rigolent tout le temps, c’est la fête, ils font ce qu’ils veulent en dessinant ou en écrivant. C’est pour ça que je me suis mis à l’écriture. Si tu veux être beau comme eux, écris. J’ai commencé à donner des textes à Gébé, mais j’écrivais pour être Gébé, pour être Cavanna, pour être Topor, pour être Choron, pour être eux, pour être accepté et être assis autour de la table.
Oui, comme on peut supposer que le tailleur de pierre crée son temps.
Ce qui nous renvoie au regard politique sur la société. Quand on est pleinement dans ce qu’on fait, on crée son propre temps ; ce qu’on fait de moins en moins dans la société actuelle.
Parce qu’il y a de moins en moins de boulots qui te le permettent.
Alors qu’on présente notre Président de la République comme « le maître des horloges. »
Les maîtres des temps, c’était ceux qui construisaient des maisons, qui faisaient des églises, les agriculteurs d’autrefois alors que ceux d’aujourd’hui sont tributaires non plus du temps mais des subventions et des décisions de l’Europe. Avant, c’était les oliviers qui disaient « On est tel jour, il faut faire ça.. » Le mec qui a des oliviers n’a pas le même temps que celui qui a des cerisiers.
Alors que maintenant on est tous contraints…
D’avoir le même temps artificiel. Yann Tiersen, qui a fait la musique d’ « Amélie Poulain », a une maison à Noirmoutiers avec sa copine. Il y a du vent, ça souffle. Ils disent qu’ils sont dans le vrai temps. Un temps inconnu sur le continent .Le temps de l’île, des nuages, des quelques moutons qu’ils ont.
En effet, le temps du livre, de l’écriture rythme absolument tout, me fait tout voir et tout sentir. Quand j’écris, je suis ultra sensible. Tout ce que je vois, est-ce que ça ne rentrerait pas dans le livre ? La lumière, un personnage qui passe, la voiture qui passe en ce moment, tiens, avec un éclat de lumière. Tout peut rentrer dans le bouquin, comme si j’avais un panier pour mettre mes champignons. Mon livre est un panier, sans lui, je ne peux rien ramasser et je me demande ce que je fous dans les bois.
Créer son propre temps, c’est une forme de liberté.
Absolument. C’est même la liberté première. C’est ce que les gens expérimentent quand ils ont un bébé qui impose un temps nouveau. Il faut alors protéger la liberté que donne l’enfant. Ça peut être la grande liberté ou la grande prison.
On parle de liberté liée à l’écriture. Pourquoi certains artistes parlent de leur activité en lui associant de la souffrance ?
Quand tu n’y arrives pas, c’est très désagréable. C’est pénible. T’es plus rien. Ça ne va pas même physiquement.
Est-ce qu’il n’y a pas une mauvaise conscience à produire un truc qui n’est pas dans le productivisme concret, immédiatement évaluable ?
Oui, et c’est terrible. Si j’ai mal travaillé, je suis nul, mais comme ce sont des choses que je m’impose moi, c’est le prix de la liberté à payer. Cette souffrance est une liberté que tu ne peux pas partager. Tu ne vas pas te plaindre toute la journée parce que tu n’as pas trouvé un adjectif, parce qu’on va te dire « Ça va ? Tu n’es pas trop fatigué ? » (rires).
C’est une activité qui peut passer pour futile.
Comme tout ce qui ne sert à rien immédiatement. Van Gogh s’est coupé une oreille, tout le monde s’en foutait. Y’en a qui partaient à la guerre, d’autres en revenaient et lui, il chiale dans sa chambre parce qu’il n’arrive pas à faire une fleur. Y commence à nous emmerder, pépère !
Il y a un côté narcissique ?
Oui, absolument. Si Mozart n’arrive pas à écrire son opéra, on lui dit « Ta gueule », y’a les mecs qui crèvent de soif en ramassant les blés. Il est difficile de comprendre que c’est l’un des éléments essentiels à la vie.
[La discussion roule aussi sur la tradition, les liens au territoire, la géopoétique…]
Il faut être mobile. Je bouge tout le temps. J’ai choisi cette activité d’écriture pour être libre. Je savais que se devais réussir seul à créer un monde. Que je n’aurais pas de chef.
Dès l’école ?
Non, ça m’a pris à Hara Kiri. Gamin, j’étais à la campagne, avec des grenouilles dans les mares, les palombes parce que j’étais dans le sud ouest. J’ai commencé à voir les choses comme ça quand je suis entré au journal, en 76.J’avais fait les Beaux Arts, mais j’ai travaillé comme homme à tout faire, pour l’expédition des journaux…
On parlait de transmission, d’héritage. Tout ceci vit chez les gens qui sont passés par Hara Kiri.
Quand je les ai approchés, j’ai vu à quel point ils étaient libres et intelligents. Je me suis dit, ils rigolent tout le temps, c’est la fête, ils font ce qu’ils veulent en dessinant ou en écrivant. C’est pour ça que je me suis mis à l’écriture. Si tu veux être beau comme eux, écris. J’ai commencé à donner des textes à Gébé, mais j’écrivais pour être Gébé, pour être Cavanna, pour être Topor, pour être Choron, pour être eux, pour être accepté et être assis autour de la table.
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Tout ça prouve qu’on peut rire tout en étant rigoureux et profond.
Il faut être très sérieux techniquement. Choron me disait « Tu fais ce que tu veux, mais l’imprimeur ne va pas attendre. » C’est un métier. Tous les grands sont extrêmement rigoureux. C’est des heures de travail. Il faut être méticuleux. Topor n’attendait pas les commandes, il écrivait, il dessinait, il peignait. Un jour où je suis allé lui demander un texte pour le journal, il a ouvert un tiroir, il en avait plein d’avance.
Ce qui veut dire que ce n’est pas qu’un métier, c’est une activité, une manière d’être.
Oui, c’est au-delà d’un métier. C’est quelque chose qui s’entretient. Il faut écrire tout le temps, ce qui entretient aussi le regard. C’est de la création constante, ça ne s’arrête jamais .Un peintre regarde tout le temps, même lorsqu’il ne peint pas, et même si c’est moche. Dans cet état de création constante, tu apprends à faire des silhouettes, à être rapide.
Quand, je m’assois, par exemple, ce n’est pas pour réfléchir mais pour écrire. J’ai réfléchi avant.
Ça a déjà infusé.
Exactement. Si je me mets devant la cuisinière, c’est que je sais ce que je vais faire cuire .J’ai tous mes ingrédients. Je suis à l’assemblage. Je m’en suis rendu compte à force de travail. Au début, il m’est arrivé de me retrouver devant ma machine à écrire, à l’époque, et de chercher une idée ; je me suis vite rendu compte que ça ne se passe pas comme ça. Reviens quand t’as une idée ! Qu’est-ce que tu vas faire cuire ? T’as que dalle ! La création, c’est tisser des liens en permanence ; c’est ce que fait naturellement le cerveau.
L’école, la vie sociale et professionnelle nous désapprennent ce que nous faisons naturellement.
Oui, j’accepte rarement, j’avais été invité à Montélimar, et ça , c’est un pinson[un oiseau , attiré par la conversation, s’est posé sur le bord de la table] ; je me suis retrouvé dans la cour d’un château avec des jeunes, des tout petits. Ils me demandent si c’est compliqué d’écrire des livres, alors je leur réponds que c’est facile. Par exemple « Il pleut. »Eh ben , on écrit « Il pleut. » « J’ai peur, j’ai soif… » Quand Marguerite Duras a peur, elle écrit « J’ai peur. »Quand elle écrit « Il pleut », c’est très beau, mais quand on ment, quand on écrit « Il tombe des gouttes sur le toit »,tss, tsst. C’est ça l’écriture « J’ai peur, ma maman me manque… » « Je veux ma maman », c’est très joli, très émouvant, très bien écrit parce qu’il n’y a pas de mensonge. L ‘œuf est plein.
Tu pars de quelque chose de personnel, simple et profond à la fois. Ça vient de l’intérieur et ça interdit les recettes toutes faites.
Et les gamins pensaient que c’était difficile d’écrire parce qu’ils cherchaient la recette, et donc ils pensaient qu’ils ne savaient pas le faire.
En procédant comme tu le dis, tu as une chance de créer ton univers .
On revient au livre. S’il meurt au bout d’un moment, c’est que tu as bidonné, t’as rajouté des os dans le squelette, t’as mis quatre cœurs et vingt-deux foies. Fais pas semblant, baratine pas.
Quand tu écris, tu crées des liens, comme on l’a dit, et tu as en tête tout ce que tu as déjà sur le papier, alors tu sais tout de suite si ce reflet ne vas pas être en trop parce que tu en as déjà un quelques pages avant. Il faut vraiment être « dedans », c’est là que tu vois si tu écris ton livre ou pas. Tu sais tout, tu te rappelles tout depuis le début, même si ça bouge.
Quand tu ne maîtrises pas et que la fin est merdique, tu as quelque chose comme « Il se réveille de son rêve… » On recolle, on rajoute du sel…
Quand tu es lecteur, tu perçois ce que tu évoques là ?
Tu vois tout de suite s’il y a quelque chose de vraiment réel, même si c’est pas vrai. Giono qui décrit une lumière, tu dis « Oui, oui, oui, oui ! » Je vois le réel à travers Giono, c’et comme une lumière. Je vois les couleurs qui sortent de Giono comme les couleurs de l’arc-en-ciel.
Quand j’ai vu Michel Bouquet pour la première fois, j’ai été dérouté, je me suis presque ennuyé avant de me dire « Ça semble artificiel, composé, mais c’est mieux que la réalité. »
Oui, il te donne le la, les lois de ce monde et tu acceptes, tu dis « Oui, d’accord ! » Et tout ce qu’il peut dire sur tout, ce sera du Bouquet. Il rend tout intelligent.
Pour conclure cette conversation, si tu pouvais passer vingt-quatre heures dans la peau de quelqu’un d’autre, quel choix ferais-tu ?
Un militaire en opération, mais vraiment sauvage, costaud. Je reviens aux attentats et à ce que doivent faire les mecs pour nous protéger. Je voudrais voir de près ce que ça représente pour que nous, on puisse aller au marché sans se faire buter. Voir à quel point ils vont loin, ils sont obligés de se sacrifier pour que les gens puissent s’asseoir sur le Paquier et regarder le lac. C’est ce qui permet notre liberté. C’est ce qui permet d’acheter des cerises ou de regarder cuire le poulet au marché d’Annecy. Pour que les gens continuent d’être insouciants, il faut les protéger. J’avais écrit un texte « Quand la gendarmerie protège le poème. » C’était lié à la venue de Pelloux à la Fête du livre de Talloires. La cellule anti-terroristes était là. Nous sommes devenus amis ; ils étaient là pour nous permettre de faire ce qu’on veut. Ils sont armés jusqu’aux dents pour que je puisse écrire un livre, de la poésie.
Etre maître du temps, c’est aussi ne pas risquer de mourir toutes les quatre minutes.
Il faut protéger la création et j’aimerais être un moment l’une de ces personnes qui me permet d’écrire.
Il faut être très sérieux techniquement. Choron me disait « Tu fais ce que tu veux, mais l’imprimeur ne va pas attendre. » C’est un métier. Tous les grands sont extrêmement rigoureux. C’est des heures de travail. Il faut être méticuleux. Topor n’attendait pas les commandes, il écrivait, il dessinait, il peignait. Un jour où je suis allé lui demander un texte pour le journal, il a ouvert un tiroir, il en avait plein d’avance.
Ce qui veut dire que ce n’est pas qu’un métier, c’est une activité, une manière d’être.
Oui, c’est au-delà d’un métier. C’est quelque chose qui s’entretient. Il faut écrire tout le temps, ce qui entretient aussi le regard. C’est de la création constante, ça ne s’arrête jamais .Un peintre regarde tout le temps, même lorsqu’il ne peint pas, et même si c’est moche. Dans cet état de création constante, tu apprends à faire des silhouettes, à être rapide.
Quand, je m’assois, par exemple, ce n’est pas pour réfléchir mais pour écrire. J’ai réfléchi avant.
Ça a déjà infusé.
Exactement. Si je me mets devant la cuisinière, c’est que je sais ce que je vais faire cuire .J’ai tous mes ingrédients. Je suis à l’assemblage. Je m’en suis rendu compte à force de travail. Au début, il m’est arrivé de me retrouver devant ma machine à écrire, à l’époque, et de chercher une idée ; je me suis vite rendu compte que ça ne se passe pas comme ça. Reviens quand t’as une idée ! Qu’est-ce que tu vas faire cuire ? T’as que dalle ! La création, c’est tisser des liens en permanence ; c’est ce que fait naturellement le cerveau.
L’école, la vie sociale et professionnelle nous désapprennent ce que nous faisons naturellement.
Oui, j’accepte rarement, j’avais été invité à Montélimar, et ça , c’est un pinson[un oiseau , attiré par la conversation, s’est posé sur le bord de la table] ; je me suis retrouvé dans la cour d’un château avec des jeunes, des tout petits. Ils me demandent si c’est compliqué d’écrire des livres, alors je leur réponds que c’est facile. Par exemple « Il pleut. »Eh ben , on écrit « Il pleut. » « J’ai peur, j’ai soif… » Quand Marguerite Duras a peur, elle écrit « J’ai peur. »Quand elle écrit « Il pleut », c’est très beau, mais quand on ment, quand on écrit « Il tombe des gouttes sur le toit »,tss, tsst. C’est ça l’écriture « J’ai peur, ma maman me manque… » « Je veux ma maman », c’est très joli, très émouvant, très bien écrit parce qu’il n’y a pas de mensonge. L ‘œuf est plein.
Tu pars de quelque chose de personnel, simple et profond à la fois. Ça vient de l’intérieur et ça interdit les recettes toutes faites.
Et les gamins pensaient que c’était difficile d’écrire parce qu’ils cherchaient la recette, et donc ils pensaient qu’ils ne savaient pas le faire.
En procédant comme tu le dis, tu as une chance de créer ton univers .
On revient au livre. S’il meurt au bout d’un moment, c’est que tu as bidonné, t’as rajouté des os dans le squelette, t’as mis quatre cœurs et vingt-deux foies. Fais pas semblant, baratine pas.
Quand tu écris, tu crées des liens, comme on l’a dit, et tu as en tête tout ce que tu as déjà sur le papier, alors tu sais tout de suite si ce reflet ne vas pas être en trop parce que tu en as déjà un quelques pages avant. Il faut vraiment être « dedans », c’est là que tu vois si tu écris ton livre ou pas. Tu sais tout, tu te rappelles tout depuis le début, même si ça bouge.
Quand tu ne maîtrises pas et que la fin est merdique, tu as quelque chose comme « Il se réveille de son rêve… » On recolle, on rajoute du sel…
Quand tu es lecteur, tu perçois ce que tu évoques là ?
Tu vois tout de suite s’il y a quelque chose de vraiment réel, même si c’est pas vrai. Giono qui décrit une lumière, tu dis « Oui, oui, oui, oui ! » Je vois le réel à travers Giono, c’et comme une lumière. Je vois les couleurs qui sortent de Giono comme les couleurs de l’arc-en-ciel.
Quand j’ai vu Michel Bouquet pour la première fois, j’ai été dérouté, je me suis presque ennuyé avant de me dire « Ça semble artificiel, composé, mais c’est mieux que la réalité. »
Oui, il te donne le la, les lois de ce monde et tu acceptes, tu dis « Oui, d’accord ! » Et tout ce qu’il peut dire sur tout, ce sera du Bouquet. Il rend tout intelligent.
Pour conclure cette conversation, si tu pouvais passer vingt-quatre heures dans la peau de quelqu’un d’autre, quel choix ferais-tu ?
Un militaire en opération, mais vraiment sauvage, costaud. Je reviens aux attentats et à ce que doivent faire les mecs pour nous protéger. Je voudrais voir de près ce que ça représente pour que nous, on puisse aller au marché sans se faire buter. Voir à quel point ils vont loin, ils sont obligés de se sacrifier pour que les gens puissent s’asseoir sur le Paquier et regarder le lac. C’est ce qui permet notre liberté. C’est ce qui permet d’acheter des cerises ou de regarder cuire le poulet au marché d’Annecy. Pour que les gens continuent d’être insouciants, il faut les protéger. J’avais écrit un texte « Quand la gendarmerie protège le poème. » C’était lié à la venue de Pelloux à la Fête du livre de Talloires. La cellule anti-terroristes était là. Nous sommes devenus amis ; ils étaient là pour nous permettre de faire ce qu’on veut. Ils sont armés jusqu’aux dents pour que je puisse écrire un livre, de la poésie.
Etre maître du temps, c’est aussi ne pas risquer de mourir toutes les quatre minutes.
Il faut protéger la création et j’aimerais être un moment l’une de ces personnes qui me permet d’écrire.