Rodrigo Garcia, un artiste qui dérange ?

Qui  dérange l’ordre établi et, ce faisant, dérange une grande partie du public et de la société.

Ordre établi par qui et pour qui ?

    Il est possible d’interpréter les caillassages de bus auquel s’est livré Rodrigo Garcia jeune dans une banlieue pauvre d’un Buenos Aires dirigé par une junte militaire comme une violence brute. Sans excuser cette violence , il est aussi possible d’y voir la contestation d’un ordre établi par un petit nombre d’individus à son profit. Déranger cet ordre, c’est déranger le public venu au théâtre se détendre à la énième mise en scène révolutionnaire d’une pièce de Molière que, mon dieu, qu’est-ce qu’il est moderne, d’actualité et intemporel, qu’y a-t-il à manger ce soir ?

   Rajouter une couche au mille feuille élaboré au cours des siècles et couronné par les Lagarde et Michard semble être l’objectif de bien des artistes, au théâtre en particulier.

Classer, gérer et transmettre !

   Dans l’introduction de son excellent petit livre La gratuité ne vaut plus rien l’écrivain mathématicien Denis Guedj nous livrait ceci «  Apprendre à penser, c’est apprendre à résister à un avenir qui se donne comme évident, plausible et normal. Résister à cet avenir dans notre présent, c’est faire le pari que ce présent offre encore matière à résistances, qu’il est encore peuplé de pratiques qui restent vivantes...

   Seule une pensée (un peu) libérée de la dictature de “l’état des choses” peut s’opposer à la pensée-gestion. N’être plus plombé par le Réel, tout en ne le niant pas, permet de l’anticiper et procure quelques moyens de le faire être autrement qu’il s’apprête à être, et qu’il sera si je ne m’en mêle pas.... »

   La transmission ressemble bien souvent à ce que Umberto Eco pourrait qualifier de sodomokinésie de diptères, pratique qui permet d’enfiler des perles et de transformer un plateau littéraire en exposition de dentisterie. Je considère, à propos de transmission, comme l’un de mes livres de chevet celui de Pierre Bayard intitulé Comment parler des livres qu’on n’a pas lus, ouvrage à peine feuilleté  mais dont la simple existence m’ a tant apporté.

   Évidence que de rappeler Rousseau et sa préférence pour le paradoxe  afin d’échapper aux préjugés. Quant aux aphorismes, il convient de considérer leur force d’expression elliptique comme une invitation pour le spectateur ou le lecteur curieux à en prolonger, en approfondir et à en enrichir le processus en le rattachant à la partie immergée de l’iceberg dont il constitue la partie visible.

   Si Rodrigo Garcia recourt à ces formes d’expression c’est qu’il est artiste dans le véritable sens du terme, ce que confirme la forme poétique de son écriture.

    Il serait possible de conclure qu’il y a ceux qui superposent, adaptent, établissent, et d’autres qui dérangent pour fabriquer un autre réel, remettant en question leur identité et la perception qu’ils en ont ,le temps, la mémoire, la perception de la réalité. Parmi eux, Robert Lepage, Claude Brozzoni, Philippe Decouflé, Rodrigo Garcia….et bientôt Novarina.

    Belle saison à Bonlieu, non ?