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Move-On Magazine

Joseph Paleni continue de cultiver son jardin


Un homme que la passion anime


| Publié le Lundi 9 Mars 2020 |

Joseph Paleni, homme de culture et de jardins
Joseph Paleni, homme de culture et de jardins
Joseph, quel spectateur es-tu ? Est-ce que les responsabilités que tu as exercées ont fait évoluer tes attentes ?
On trouvera peut-être la réponse après. Partons plus loin.

C’est-à-dire ?
J’ai toujours eu le goût de la recherche. De la curiosité. Sur une plage, par exemple, j’étais en recherche.

Des corps et de l’esthétique ?
Dans le sable, à la recherche d’un coquillage ou de je ne sais quel trésor qui m’aurait émerveillé.

Voir, découvrir ce qui est caché ?
Je suis une espèce d’explorateur à deux balles. Je dois trouver par moi-même, c’est ce qui va me nourrir, me faire grandir, me pousser à aller encore plus loin. Je vais grandir en même temps que je découvre : il faut que ça repose sur un seuil solide.
Cette curiosité m’amène partout. Quand je rencontre quelqu’un je vais aller chercher ses « trésoorrs », creuser.

Tu phagocytes intelligemment.
Gentiment, parce que j’aime les gens libres qui me nourrissent et m’enrichissent. Selon ce que l’autre m’apporte, quelque chose se produit. De cette combinaison de savoirs, d’histoires, d’intelligences et de trésors naît un acte créatif qui me permet de partir sur une nouvelle aventure, de fabriquer quelque chose.

Tu ne peux donc pas être un spectateur passif.
C’est impossible ! (répété trois fois !).

Tu n’es pas là comme dans la chanson de Boris Vian juste pour voir le défilé.
Je vais repérer le truc que les autres ne verront peut-être pas mais qui va me permettre de partir en voyage.
J’ai autour de moi des gens qui voyagent beaucoup. J’ai repris un joli mot de Giono qui dit « Je suis un voyageur immobile. » Je voyage tout le temps, partout mon cerveau se met automatiquement en analyse.

Tu es la ruine des agences de voyage.
Plus j’avance plus la construction qui s’est établie dans mon cerveau est nourrie, solide et se déclenche automatiquement. C’est pourquoi les rencontres sont très importantes, vitales. Elles me permettent de construire une histoire pour moi et pour les autres.

Ton approche est approche très sociale.
Et sociologique. Je fabrique avec ce que j’ai. Tu me montres une cave et tu me dis que je vais y habiter. Deux jours plus tard, je l’ai analysée, aménagée et j’en ai fait un endroit le plus accueillant possible. C’est peut-être pour cette raison que mon histoire avec l’Auditorium a duré 25 ans. On m’a filé un truc qui n’était pas extraordinaire au départ. J’en suis sorti très heureux.

Tu donnes une définition personnelle et vivante de l’autodidacte. Indépendamment du niveau d’étude, l’autodidacte garde une curiosité, une ouverture d’esprit pour tisser des liens en permanence.
Tu es en étude permanente. C’est un fonctionnement qui peut paraître très anarchique à ceux qui ne me connaissent pas, mais c’est parfaitement construit dans ma tête.

Tu en as des preuves ? (rires)
Les preuves, c’est le public par rapport à mon travail et à l’univers que je propose aux gens. C’est construit et ouvert. L’art, c’est comme la vie et le mouvement, si on se fige, on n’est pas loin de…c’est la mort, dont on ne sait pas grand-chose.

Spectateur actif, programmateur, quels axes ont relié ces deux pôles ? Qu’as-tu découvert au fil du temps ?
Je n’ai pas d’axes plus importants que d’autres. Mes études de commerce m’ont donné une approche solide de la gestion, tout était très structuré, c’est ce qui m’a permis d’écrire une histoire et de donner aux gens envie de venir tout au long de la saison parce que c’était vivant. Il fallait remplir le plus possible un théâtre de 400 places.
Cette gestion bien tenue me permettait une grande liberté dans les choix artistiques. Je savais me trouver dans cet équilibre qui seul intéresse les politiques : le budget.
Venant du monde du théâtre, j’y avais une conception esthétique bien définie, mais il fallait heureusement que j’amène d’autres choses dans des domaines comme la danse.

On revient à l’idée qu’on se construit en faisant.
L’expérience-ce truc qu’on appelle l’expérience-, le vécu, te permet de te laisser de plus en plus aller, de t’ouvrir au champ infini de la création qui voit se côtoyer le meilleur et le pire. C’est ce qui m’a permis chaque année d’amener des découvertes pour le public.
Je n’avais aucune pression puisque, dans ce lieu, je ne (re)présentais pas l’excellence. Je n’avais pas à reproduire ce qui m’autorisait à n’être que dans la découverte de l’acte de création. Quel bonheur !

Si je te demandais quels spectacles t’ont le plus marqué, je crois que tu me parlerais plus des gens ou de l’acte créatif que d’une liste de spectacles.
Oui, c’est ce qui m’intéresse. Avec la diversité. Une programmation est un jeu d’équilibriste. J’ai tout de même fonctionné avec l’argent public !

Tu n’en as aucun regret ?
Aucun ! On dit toujours que c’est cher mais on peut citer la formule « On dit que la culture coûte cher, mais essayez l’ignorance… » Il faut toujours être en écoute de l’environnement social, politique puisque cet argent public, il faut le rendre d’une certaine façon. Je ne peux pas être que dans « mon bon plaisir. » Il me fallait concilier le plaisir de la réception avec l’idée de progression ; que des enseignants puissent travailler un programme avec leurs élèves. Certains retours m’encourageaient à aller plus loin dans certaines directions. Les rééquilibrages se font sur ces bases. Un peu comme un cuisinier qui fabrique une recette en rajoutant un ingrédient qui ne dénature ni les produits ni le plat.

Il faut varier, pas toujours de la pizza ou des pâtes.
Bien qu’il y ait d’excellentes pizzas, ou des pâtes, surtout al dente.

Culture, théâtre, gastronomie, c’est un tout ouvert.
Tout est nourriture. La beauté est dans ce que l’homme produit avec sa passion. Je ne sais pas comment l’expliquer mais une chaise, une fourchette ou un couteau fabriqués avec passion sont différents. Les grottes de Lascaux, ou même un graffiti bien réalisé, ça te parle, il y a la main de l’homme !

Que devient cette curiosité maintenant que tu es dégagé de tes obligations professionnelles ?
C’est tout récent, tout frais, alors je continue. J’ai la chance d’avoir un jardin, un potager qui me viennent de mes parents. Je vois pousser ces vieux arbres, des fleurs. Il y a des gens qui arrachent, moi je laisse faire. J’essaye de comprendre comment la nature fonctionne, ce que je dois véritablement enlever ou non et ce qui se produit si je ne l’enlève pas.
 

On parle de plus en plus de permaculture, d’associations et de complémentarité entre les plantes après avoir prôné la monoculture. Cette variété qu’on observe dans le monde de la nature est indispensable aussi dans le monde de l’humain.
Nous tombons d’accord pour citer Voltaire "Il faut cultiver notre jardin", à tous les sens du terme. Et même si ces deux-là ne s’entendaient pas très bien, les idées de Rousseau lui font écho.
La discussion continue et approfondit la notion de spectateur actif. Joseph Paleni a côtoyé un temps la troupe d’Alain Françon, ce qui lui a donné le goût d’assister aux répétitions, de relever des changements, des ajustements, de voir parfois plusieurs représentations à la suite de la même pièce et d’y noter ces différences dues à l’état émotionnel des acteurs, à l’échange avec le public. Allégé de la narration que l’on découvre à la représentation et de l’émotion qui l’accompagne, il est possible ensuite d’entrer plus en profondeur dans l’acte de création.

La répétition comme acte de création ?
Quand elle est vivante, comme l’art.

 

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