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Move-On Magazine

Avec "Aswât" Djazia Satour chante la couleur du passé, de l'amour, de l'exil


Au Brise Glace Annecy le 2 avril 2020


| Publié le Mardi 3 Mars 2020 |

Photo ©Yannick Siegel
Photo ©Yannick Siegel
Djazia, alors que beaucoup vantent les mérites musicaux de l’anglais, vous chantez en arabe et vous faites ressortir toute la musicalité de cette langue.
Je pense que, comme pour les autres langes, chaque artiste a sa manière de mettre les mots en musique. Mon parolier travaille particulièrement à la mise des mots sur la musique, c’est vraisemblablement ce qui concourt à ce que vous soulignez. L’arabe permet d’être à la fois rythmique et musical. Il faut y ajouter que cette langue m’est propre et que je n’y recherche pas que des effets artistiques. Elle est ma langue et elle fait sens pour moi.

D’où vient cette inspiration poétique que traduisent les paroles de vos chansons ?
Les textes ont pris une place centrale dans cet album parce qu’il est né d’une volonté de travail en commun avec l’auteur. Après avoir déjà chanté en anglais j’avais depuis longtemps envie de faire un disque en arabe, qui est ma langue maternelle, celle de mes premiers enseignements.
Les thèmes que je chante là traduisent une sensibilité tellement intime qu’elle s’accorde précisément avec la langue arabe. Je suis née en Algérie où j’ai vécu mon enfance, cette langue fait partie de mon vécu -je préfère ce mot à celui d’identité-. Chanter en arabe me permet de véhiculer des sentiments très intimes.

Vous chantez effectivement un univers qui vous est propre mais vous l’associez à une dimension culturelle et aussi politique au sens où elle touche tout le monde par sa poésie.
Les thèmes que j’aborde touchent à l’exil, à la perte de la terre qui sont en lien avec l’actualité et avec le destin que vivent bon nombre de nos contemporains sur les routes ou sur les mers, exposés à de grands dangers.
Ces questions me touchent mais je ne souhaitais pas les aborder de façon purement militante ou strictement politique. La poésie permet de sublimer, d’atteindre une beauté en véhiculant le vécu de ces gens. La sensibilité et la poésie dépassent l’aspect documentaire ou de témoignage qu’il est possible de retrouver très facilement dans les médias ou sur internet.
La dimension artistique permet, elle, de se mettre à la place de ces personnes prises dans des événements dramatiques pour rendre compte de la perte des repères, de la perte du monde que l’on connaît, de ses rêves et de ses espoirs.
Lorsque j’évoque la perte des terres, il y a une référence aux Palestiniens mais je n’aborde pas la question sous la forme d’un discours politique, je parle du vécu.
 

On peut penser aussi au sort que l’Algérie a réservé aux Kabyles pendant un certain temps.
Même si j’ai, entre autres, des origines kabyles, je suis sensible au devenir de tous les Algériens. Ma chanson Ida a une portée plus générale. Je ne vois pas l’Algérie sous l’angle des problématiques purement identitaires. Elle est plurielle et je prendrais plutôt parti pour cet ensemble.

Vous parlez d’errance, d’exil, de tristesse, d’amour perdu, de thèmes profonds et dramatiques alors que la musique donne une impression de légèreté.
Je ne souhaitais pas aborder des thématiques dramatiques qui touchent beaucoup de monde en rajoutant à la gravité des événements et des situations. On peut percevoir dans certaines chansons qui pourraient paraître légères ou joyeuses des touches d’une sensibilité qui en nuance l’écoute. Le texte de Neghmat Erriah (La mélodie des vents) ,la première chanson de l’album, présente une étroite correspondance avec la mélodie des vents qui apporte des cris, des lamentations des quatre coins du monde, qui demandent à être entendus.

Le langage de la musique est central mais il est souhaitable que les textes aient un sens pour emmener les gens le plus loin possible. Je souhaitais une variété de musiques afin d’ouvrir la perception de l’album alors qu’une continuité, une sorte de fil rouge, est assurée par des instruments à cordes algériens traditionnels. Ils  apportent leur histoire à cette histoire qui me traverse puisque je suis Algérienne. Mes parents ont vécu la colonisation puis la décolonisation. Tout est lié en un dialogue, le texte, la musique, l’histoire.
 

Et uni par la sensualité qui se dégage des impressions, comme la couleur, qui se dégage des émotions et apporte une dimension impressionniste.
J’aime beaucoup cette idée d’impressionnisme. Je me suis souvent demandé comment mettre des touches de lumière dans la musique.

Avec Yama Tal (Si longtemps), vous chantez « Écris ma vie entière dans un poème… » À qui est-ce que c’est adressé ?
Cette chanson renvoie à la nostalgie du passé, de l’enfance. Le parolier l’a écrite comme si elle m’était adressée. Je ne l’aurais peut-être pas chantée il y a vingt ans.

Le temps passe, bien sûr. Cette chanson vous est adressée et à travers vous à quelque chose qui vous dépasse ; on retrouve l’intime et l’universel.
Bien sûr. J’atteins une phase où mon esprit revient en arrière pour réinterpréter les choses, les ressentir de nouveau. Plus jeune, on vit les choses pour elles-mêmes et on recherche ensuite les traces qu’elles ont laissées, presque pour se rassurer que tout ça n’est pas que le fruit de l’imagination. Je me pose beaucoup de questions sur ce passé qui n’existe plus concrètement mais laisse son empreinte.

En chantant Ma damni (Tant que je suis là) vous faites penser au fameux « Carpe Diem », à Ronsard ; vous jouez avec la mémoire et avec le temps présent dont il faut profiter.
Je chante ce qui me touche, c’est sincère. Ma damni est une chanson nocturne, un appel à ne pas perdre de temps parce que tout va disparaître, c’est ce qui donne du sens à la vie et, à mon sens, ce qui fonde l’art.

Le plus paradoxal est que nous parlons de l’aspect éphémère de la vie et qu’une chanson qui sublime ceci ne dure elle-même qu’un instant.
La beauté naît de l’impression laissée, par un souvenir, par une chanson, par un amour ; bien plus que d’une photo prise avec un smartphone.
L’amour vécu intensément ne disparaît jamais malgré les destructions de tous ordres. C’est sa permanence qui donne un sens à nos vies.
 
Djazia sera aux Nuits de la Roulotte à Chambéry le 7 mars 2020 et au Brise Glace à Annecy le 2 avril 2020

 

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