Le quatrième volume de « Couleur de peau : miel » est le livre de la réconciliation, de l’apaisement.
C’est souvent ce qu’on me dit. J’ai essayé de suivre une chronologie pour mieux rendre l’évolution de mon personnage.
Oui, il y a cette chronologie, mais avec des retours en arrière, des mises en perspective, des liens incessants entre le présent, les faits passés et le souvenir des faits.
C’est vrai. C’est un journal intime où je relis mon histoire personnelle, je la mets en forme de bandes dessinées. Des choses me reviennent au fur et à mesure. Si je garde une certaine chronologie, je me permets des retours en arrière justifiés. Je reviens sur des faits qui se sont déroulés auparavant pour mieux revenir sur l’état d’esprit du moment.
Vous accordez une importance extrême à la vérité, nous y reviendrons, et au langage. « L’enfant a été trouvé, il… » Cette façon impersonnelle de désigner débouche sur une chosification et l’enfant objet peut presque être considéré comme une marchandise. Ça passe par le langage et par le regard.
C’est toujours un regard un peu décalé. J’ai été adopté, j’évoque donc mon histoire personnelle sans perdre de vue que le plus important n’est pas tant mon histoire personnelle que les thématiques que j’aborde, l’identité, l’adoption internationale des enfants coréens, les raisons pour lesquelles ils ont été abandonnés par la Corée, le traumatisme de l’abandon.
Vous aviez en tête l’importance de tous ces thèmes dès le début de votre travail ?
Mon objectif de départ était de revenir sur toute cette thématique que j’aborde depuis que je dessine, c’est-à-dire depuis l’adolescence. J’ai réalisé des bandes dessinées de fiction , qui se déroulent dans des univers fantastiques ou bien dans le Japon médiéval, dans lesquelles j’aborde déjà ces thématiques.
En 2007 je me suis dit que j’allais arrêter de tourner autour du pot, de passer par le filtre de la fiction et que j’allais aborder les choses de manière frontale avec une vraie autobiographie et en m’imposant des contraintes. Ne pas tomber dans le misérabilisme, dans la victimisation sinon parce que , comme tous les adolescents j’ai trouvé que j’avais de bonnes raisons de me plaindre, mais il ne fallait pas que mon adoption devienne prétexte à me plaindre. Je pense qu’à un moment donné, il faut se prendre en main.
C’est ce que vous faites par le dessin. Vous dessinez des arbres et des racines et sur l’un de vos dessins c’est même votre pinceau qui devient racine prolongeant l’arbre ou lui donnant vie. L’art est devenu votre racine.
Il y a dans mon travail une dimension thérapeutique. Sans le passé que j’ai vécu, je n’aurais peut-être jamais réalisé de bandes dessinées .Je ne serais peut-être pas posé toutes les questions qui m’ont amené à la bande dessinée et au cinéma. J’avais en moi un besoin de m’exprimer qui s’est traduit par l’apprentissage du dessin. On ne retrouve pas toutes ces thématiques par hasard dans mon travail. Elles sont liées à mon histoire personnelle
C’est souvent ce qu’on me dit. J’ai essayé de suivre une chronologie pour mieux rendre l’évolution de mon personnage.
Oui, il y a cette chronologie, mais avec des retours en arrière, des mises en perspective, des liens incessants entre le présent, les faits passés et le souvenir des faits.
C’est vrai. C’est un journal intime où je relis mon histoire personnelle, je la mets en forme de bandes dessinées. Des choses me reviennent au fur et à mesure. Si je garde une certaine chronologie, je me permets des retours en arrière justifiés. Je reviens sur des faits qui se sont déroulés auparavant pour mieux revenir sur l’état d’esprit du moment.
Vous accordez une importance extrême à la vérité, nous y reviendrons, et au langage. « L’enfant a été trouvé, il… » Cette façon impersonnelle de désigner débouche sur une chosification et l’enfant objet peut presque être considéré comme une marchandise. Ça passe par le langage et par le regard.
C’est toujours un regard un peu décalé. J’ai été adopté, j’évoque donc mon histoire personnelle sans perdre de vue que le plus important n’est pas tant mon histoire personnelle que les thématiques que j’aborde, l’identité, l’adoption internationale des enfants coréens, les raisons pour lesquelles ils ont été abandonnés par la Corée, le traumatisme de l’abandon.
Vous aviez en tête l’importance de tous ces thèmes dès le début de votre travail ?
Mon objectif de départ était de revenir sur toute cette thématique que j’aborde depuis que je dessine, c’est-à-dire depuis l’adolescence. J’ai réalisé des bandes dessinées de fiction , qui se déroulent dans des univers fantastiques ou bien dans le Japon médiéval, dans lesquelles j’aborde déjà ces thématiques.
En 2007 je me suis dit que j’allais arrêter de tourner autour du pot, de passer par le filtre de la fiction et que j’allais aborder les choses de manière frontale avec une vraie autobiographie et en m’imposant des contraintes. Ne pas tomber dans le misérabilisme, dans la victimisation sinon parce que , comme tous les adolescents j’ai trouvé que j’avais de bonnes raisons de me plaindre, mais il ne fallait pas que mon adoption devienne prétexte à me plaindre. Je pense qu’à un moment donné, il faut se prendre en main.
C’est ce que vous faites par le dessin. Vous dessinez des arbres et des racines et sur l’un de vos dessins c’est même votre pinceau qui devient racine prolongeant l’arbre ou lui donnant vie. L’art est devenu votre racine.
Il y a dans mon travail une dimension thérapeutique. Sans le passé que j’ai vécu, je n’aurais peut-être jamais réalisé de bandes dessinées .Je ne serais peut-être pas posé toutes les questions qui m’ont amené à la bande dessinée et au cinéma. J’avais en moi un besoin de m’exprimer qui s’est traduit par l’apprentissage du dessin. On ne retrouve pas toutes ces thématiques par hasard dans mon travail. Elles sont liées à mon histoire personnelle
Enfant, vous falsifiiez vos bulletins scolaires et vous posez la question « Pourquoi un enfant ment ? » Dans le quatrième volume de « Couleur de peau : miel », votre mère vous dit « Tu racontes la vérité. » Vous passez du mensonge à la vérité, c’est un sacré chemin !
J’étais un enfant menteur parce que j’avais peur de mes parents, parce que je n’étais pas en confiance. Si je n’avais pas eu cette relation conflictuelle avec ma mère adoptive, je n’aurais peut-être pas triché à l’école, je n’aurais peut-être pas autant menti. Je n’aurais pas eu peur d’elle. Quand on est dans le dialogue, quand les parents sont à l’écoute de leur enfant, quand ils sont capables de lui dire qu’ils l’aiment, ce qui n’est pas toujours évident, l’enfant se sent en confiance. Il en a besoin pour grandir. Je me disais « Mes parents ne m’aiment pas. »Ils m’aimaient profondément mais ils ne me le disaient pas. La parole est importante. Je dis souvent aux adoptants qu’ils doivent dire à leur enfant qu’ils l’aiment car lui ne le sait pas. Ce qui n’est pas dit reste abstrait. Je ne mens plus.
Si, vous êtes artiste. (rires)
Je ne mens pas sur mes sentiments. Je raconte les choses avec sincérité tout en sachant que dans le cinéma, dans la bande dessinée il y a une part de retranscription subjective. Mais le propos est sincère.
Vous êtes très sensible à cette notion de sincérité. Si vous avez cherché si longtemps à être vous-même, ce n’est pas pour mentir.
La vie est trop courte pour se mentir à soi-même, pour mentir aux autres. Il faut se montrer tel qu’on est même s’il n’est pas évident de s’accepter tel qu’on est. Une fois que c’est fait, il faut en être fier.
Quand vous falsifiiez vos bulletins, vous commentez « Un vrai travail d’artiste. »
Il y a un vrai travail d’artiste. J’avais régulièrement des F que je transformais en B, des S ou parfois des I (Faible, Satisfaisant ou Insuffisant) ou des B que je transformais en TB. Ça ne se voyait pas. Je mentais pour ne pas me faire enguirlander par mes parents mais je n’éprouvais aucune culpabilité. Je le faisais pour avoir la paix.
Quand vous allez voir votre mère et que vous lui demandez ce qu’elle pense de vos livres, elle répond « Tu racontes la vérité. » D’habitude, on dit la vérité, on ne la raconte pas.
Elle me l’a dit comme ça. Je n’y ai pas tellement réfléchi, mais c’est vrai, je raconte à travers mon propre regard et donc avec une part de subjectivité .Toute ma famille est consciente de ça.
Il est utile que pour vous construire et trouver votre vérité vous teniez compte du point de vue des autres.
Pas tout de suite. Quand j’ai commencé à travailler sur le tome un de « Couleur de peau : miel » je me suis posé la question d’avertir ma famille. J’ai laissé tomber pour éviter des interventions et même pour éviter une autocensure, pour ne pas édulcorer. Je me suis posé plus particulièrement la question au moment de la pomme pourrie. Je me suis demandé comment ma mère prendrait la restitution de cet épisode hyper violent. Je l’ai fait en me disant « On verra. » J’ai toujours pensé que c’était très prétentieux de parler de soi, alors l’une des contraintes que je me suis fixées en entamant cette autobiographie a été de la réaliser avec le plus de sincérité possible, sans édulcorer. L’histoire de la pomme pourrie a été un élément marquant dans ma vie, qui a résonné longtemps en moi.
Je savais qu’il y aurait une progression. Dans le tome deux, elle me dit à sa manière qu’elle m’aime, ce qui me fait prendre conscience que je n’étais pas une « pomme pourrie ». J’attendais de ma mère qu’elle me dise son amour.
J’étais un enfant menteur parce que j’avais peur de mes parents, parce que je n’étais pas en confiance. Si je n’avais pas eu cette relation conflictuelle avec ma mère adoptive, je n’aurais peut-être pas triché à l’école, je n’aurais peut-être pas autant menti. Je n’aurais pas eu peur d’elle. Quand on est dans le dialogue, quand les parents sont à l’écoute de leur enfant, quand ils sont capables de lui dire qu’ils l’aiment, ce qui n’est pas toujours évident, l’enfant se sent en confiance. Il en a besoin pour grandir. Je me disais « Mes parents ne m’aiment pas. »Ils m’aimaient profondément mais ils ne me le disaient pas. La parole est importante. Je dis souvent aux adoptants qu’ils doivent dire à leur enfant qu’ils l’aiment car lui ne le sait pas. Ce qui n’est pas dit reste abstrait. Je ne mens plus.
Si, vous êtes artiste. (rires)
Je ne mens pas sur mes sentiments. Je raconte les choses avec sincérité tout en sachant que dans le cinéma, dans la bande dessinée il y a une part de retranscription subjective. Mais le propos est sincère.
Vous êtes très sensible à cette notion de sincérité. Si vous avez cherché si longtemps à être vous-même, ce n’est pas pour mentir.
La vie est trop courte pour se mentir à soi-même, pour mentir aux autres. Il faut se montrer tel qu’on est même s’il n’est pas évident de s’accepter tel qu’on est. Une fois que c’est fait, il faut en être fier.
Quand vous falsifiiez vos bulletins, vous commentez « Un vrai travail d’artiste. »
Il y a un vrai travail d’artiste. J’avais régulièrement des F que je transformais en B, des S ou parfois des I (Faible, Satisfaisant ou Insuffisant) ou des B que je transformais en TB. Ça ne se voyait pas. Je mentais pour ne pas me faire enguirlander par mes parents mais je n’éprouvais aucune culpabilité. Je le faisais pour avoir la paix.
Quand vous allez voir votre mère et que vous lui demandez ce qu’elle pense de vos livres, elle répond « Tu racontes la vérité. » D’habitude, on dit la vérité, on ne la raconte pas.
Elle me l’a dit comme ça. Je n’y ai pas tellement réfléchi, mais c’est vrai, je raconte à travers mon propre regard et donc avec une part de subjectivité .Toute ma famille est consciente de ça.
Il est utile que pour vous construire et trouver votre vérité vous teniez compte du point de vue des autres.
Pas tout de suite. Quand j’ai commencé à travailler sur le tome un de « Couleur de peau : miel » je me suis posé la question d’avertir ma famille. J’ai laissé tomber pour éviter des interventions et même pour éviter une autocensure, pour ne pas édulcorer. Je me suis posé plus particulièrement la question au moment de la pomme pourrie. Je me suis demandé comment ma mère prendrait la restitution de cet épisode hyper violent. Je l’ai fait en me disant « On verra. » J’ai toujours pensé que c’était très prétentieux de parler de soi, alors l’une des contraintes que je me suis fixées en entamant cette autobiographie a été de la réaliser avec le plus de sincérité possible, sans édulcorer. L’histoire de la pomme pourrie a été un élément marquant dans ma vie, qui a résonné longtemps en moi.
Je savais qu’il y aurait une progression. Dans le tome deux, elle me dit à sa manière qu’elle m’aime, ce qui me fait prendre conscience que je n’étais pas une « pomme pourrie ». J’attendais de ma mère qu’elle me dise son amour.
Pour revenir à la notion de vérité, Picasso disait « S’il n’y avait qu’une seule vérité, on ne pourrait pas faire cent toiles sur le même thème. » On n’atteint jamais la vérité.
Si tant est qu’on sache ce qu’est la vérité. J’ai l’impression de creuser toujours le même sillon parce que je suis à la recherche de quelque chose. Je n’aurai peut-être plus besoin de dessiner lorsque j’aurai comblé le vide laissé par l’abandon.
Dans les différentes mythologies, dans les contes, il est fréquent que des enfants soient abandonnés, ou confiés à d’autres parents pour les sauver. C’est un thème universel que vous abordez à travers l’adoption et votre propre histoire.
On peut connaître ses parents biologiques et se poser les mêmes questions.
Ce qui est frappant dans votre histoire, c’est la culpabilité que vous éprouvez à avoir été abandonné. Comme si vous aviez commis une faute qui aurait justifié votre abandon.
Je disais souvent que si j’avais été abandonné, c’est que j’avais été méchant. On n’abandonne pas un enfant gentil. Quand on ne sait pas, on a recours à l’imagination…qui peut aussi être bénéfique. Je me suis réfugié dans l’imaginaire, j’ai rêvé ma mère biologique parce que j’avais une relation conflictuelle avec ma mère adoptive. Si je n’avais pas eu ce conflit avec ma mère adoptive, je n’aurais peut-être pas eu besoin de rêver ma mère biologique.
Quel rôle joue « Babybox » par rapport à « Couleur de peau : miel » ?
Couleur de peau : miel » était inscrit sur ma fiche d’adoption. Je trouve que c’est très poétique, ça me définit bien. Encore maintenant, je me vois comme un étranger. Je sais que je suis différent. On dit souvent que la différence vient du regard des autres ; s’ils me le font sentir, ce qui arrive de temps en temps, ça me gêne moins. J’ai l’impression d’être chez moi et en même temps étranger où que j’aille.
« Chez moi et étranger ». Même dans votre film, on retrouve cette hybridation à travers les matériaux, le temps : archives officielles, films souvenirs, images de vous adulte, auteur…c’est votre manière de réaliser votre puzzle personnel.
C’est cohérent par rapport à ce que je suis ; je me vois comme un métissage culturel. L’hybridation des techniques me correspond très bien. Je me sens asiatique et en même temps pas du tout. Quand je vais en Corée ou en Asie, je ressens ce décalage. Je me sens Franco Belge mais je vois un Asiatique quand je me regarde dans un miroir. Ce qui me posait un problème avant n’en est plus du tout un. Ça fait partie de mon identité, de ce que je suis, de ce que j’assume. J’ai eu du mal à l’accepter mais c’est maintenant devenu une force.
Claire, le personnage principal de « Babybox » s’est teint les cheveux en rouge. C’est une couleur que j’aime bien, j’aime les coquelicots et si Claire ne sait pas très bien pourquoi elle choisit cette couleur, c’est une manière d’affirmer son identité ni coréenne, ni française mais un mélange des deux. On découvre au fil de la lecture que cette couleur est rattachée au souvenir d’un moment partagé avec sa maman qui voulait lui dire quelque chose d’important…
Le secret que Claire va découvrir elle-même.
Rouge, c’est aussi la couleur du sang, du coquelicot…
Considéré comme une mauvaise herbe, et la couleur des règles menstruelles puisqu’il y a une expression pour les désigner qui utilise le mot « coquelicot ». C’est donc la féminité, la mère.
Cette couleur est vraiment chargée de significations. De ma mère adoptive j’ai hérité du sens de la métaphore. « Une pomme pourrie dans un seau de pommes mûres », ça m’a fait énormément de mal, mais quelle image forte ! J’aime utiliser des métaphores dans mes albums, les racines, les arbres…
Les champs comme lieu de naissance, des sexes féminins fleuris…
Ce qui permet des niveaux de lecture différents.
Notre rencontre a lieu au collège des Balmettes d’Annecy où vous êtes en résidence artistique pour rencontrer des collégiens et travailler avec eux. Vous évoquez le masque dans votre travail, la nécessité de voir ce qu’il y a derrière. Ils sont au moment de l’adolescence, ça doit les concerner.
Dans mon travail, ils découvrent qu’on peut parler de soi, de ses problèmes. Ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls. Les adolescents pensent que personne ne peut comprendre leurs problèmes. « Lui a osé raconter son histoire, il ose dire les choses. »
Hier, à la demande de leur professeur d’arts plastiques, les élèves ont commencé à apporter des objets personnels que nous utiliserons dans un film d’animation. Face caméra, chacun a expliqué son choix et il apparaît que derrière chaque objet il y a une charge émotionnelle. Un bonnet qui, comme un masque, permet de se cacher et rassure, par exemple…
J’ai beaucoup souffert de ne pas pouvoir parler. Ils ont assisté ce matin à la projection de mon film et m’ont parlé de la scène de suicide.
Je leur dis que le silence tue, qu’il amène à l’autodestruction.
Si tant est qu’on sache ce qu’est la vérité. J’ai l’impression de creuser toujours le même sillon parce que je suis à la recherche de quelque chose. Je n’aurai peut-être plus besoin de dessiner lorsque j’aurai comblé le vide laissé par l’abandon.
Dans les différentes mythologies, dans les contes, il est fréquent que des enfants soient abandonnés, ou confiés à d’autres parents pour les sauver. C’est un thème universel que vous abordez à travers l’adoption et votre propre histoire.
On peut connaître ses parents biologiques et se poser les mêmes questions.
Ce qui est frappant dans votre histoire, c’est la culpabilité que vous éprouvez à avoir été abandonné. Comme si vous aviez commis une faute qui aurait justifié votre abandon.
Je disais souvent que si j’avais été abandonné, c’est que j’avais été méchant. On n’abandonne pas un enfant gentil. Quand on ne sait pas, on a recours à l’imagination…qui peut aussi être bénéfique. Je me suis réfugié dans l’imaginaire, j’ai rêvé ma mère biologique parce que j’avais une relation conflictuelle avec ma mère adoptive. Si je n’avais pas eu ce conflit avec ma mère adoptive, je n’aurais peut-être pas eu besoin de rêver ma mère biologique.
Quel rôle joue « Babybox » par rapport à « Couleur de peau : miel » ?
Couleur de peau : miel » était inscrit sur ma fiche d’adoption. Je trouve que c’est très poétique, ça me définit bien. Encore maintenant, je me vois comme un étranger. Je sais que je suis différent. On dit souvent que la différence vient du regard des autres ; s’ils me le font sentir, ce qui arrive de temps en temps, ça me gêne moins. J’ai l’impression d’être chez moi et en même temps étranger où que j’aille.
« Chez moi et étranger ». Même dans votre film, on retrouve cette hybridation à travers les matériaux, le temps : archives officielles, films souvenirs, images de vous adulte, auteur…c’est votre manière de réaliser votre puzzle personnel.
C’est cohérent par rapport à ce que je suis ; je me vois comme un métissage culturel. L’hybridation des techniques me correspond très bien. Je me sens asiatique et en même temps pas du tout. Quand je vais en Corée ou en Asie, je ressens ce décalage. Je me sens Franco Belge mais je vois un Asiatique quand je me regarde dans un miroir. Ce qui me posait un problème avant n’en est plus du tout un. Ça fait partie de mon identité, de ce que je suis, de ce que j’assume. J’ai eu du mal à l’accepter mais c’est maintenant devenu une force.
Claire, le personnage principal de « Babybox » s’est teint les cheveux en rouge. C’est une couleur que j’aime bien, j’aime les coquelicots et si Claire ne sait pas très bien pourquoi elle choisit cette couleur, c’est une manière d’affirmer son identité ni coréenne, ni française mais un mélange des deux. On découvre au fil de la lecture que cette couleur est rattachée au souvenir d’un moment partagé avec sa maman qui voulait lui dire quelque chose d’important…
Le secret que Claire va découvrir elle-même.
Rouge, c’est aussi la couleur du sang, du coquelicot…
Considéré comme une mauvaise herbe, et la couleur des règles menstruelles puisqu’il y a une expression pour les désigner qui utilise le mot « coquelicot ». C’est donc la féminité, la mère.
Cette couleur est vraiment chargée de significations. De ma mère adoptive j’ai hérité du sens de la métaphore. « Une pomme pourrie dans un seau de pommes mûres », ça m’a fait énormément de mal, mais quelle image forte ! J’aime utiliser des métaphores dans mes albums, les racines, les arbres…
Les champs comme lieu de naissance, des sexes féminins fleuris…
Ce qui permet des niveaux de lecture différents.
Notre rencontre a lieu au collège des Balmettes d’Annecy où vous êtes en résidence artistique pour rencontrer des collégiens et travailler avec eux. Vous évoquez le masque dans votre travail, la nécessité de voir ce qu’il y a derrière. Ils sont au moment de l’adolescence, ça doit les concerner.
Dans mon travail, ils découvrent qu’on peut parler de soi, de ses problèmes. Ils découvrent qu’ils ne sont pas seuls. Les adolescents pensent que personne ne peut comprendre leurs problèmes. « Lui a osé raconter son histoire, il ose dire les choses. »
Hier, à la demande de leur professeur d’arts plastiques, les élèves ont commencé à apporter des objets personnels que nous utiliserons dans un film d’animation. Face caméra, chacun a expliqué son choix et il apparaît que derrière chaque objet il y a une charge émotionnelle. Un bonnet qui, comme un masque, permet de se cacher et rassure, par exemple…
J’ai beaucoup souffert de ne pas pouvoir parler. Ils ont assisté ce matin à la projection de mon film et m’ont parlé de la scène de suicide.
Je leur dis que le silence tue, qu’il amène à l’autodestruction.
Vous évoquez aussi les maladies et les suicides chez les enfants adoptés.
Moi, comme j’étais original, j’ai choisi le « suicide au Tabasco. » (rires). Je trouve important que les jeunes aient la possibilité de s’exprimer. Pas uniquement les jeunes, d’ailleurs. La lecture de « Couleur de peau : miel » a libéré des choses, comme un récit miroir qui a trouvé un écho. On me contacte très souvent pour me remercier parce que les lecteurs savent qu’ils ne sont pas seuls. Bien d’autres se sont déjà posé les mêmes questions et on peut trouver leurs témoignages dans les bibliothèques. Ça peut aider.
Comment êtes-vous perçu en Corée ?
Les cinq fois où je m’y suis rendu, j’ai toujours été invité par les Coréens pour aller parler de mon travail, de mon film, ou bien dans les bibliothèques et médiathèques de Séoul puisque mon album a été traduit en coréen. L’adoption internationale coréenne est la partie obscure de leur Histoire. Ils n’aiment pas trop en parler, mais plutôt de leur culture, du rayonnement de la Corée. Mon travail permettra peut-être aux Coréens de ne pas oublier cette partie de leur Histoire. Ça passe très bien parce que, comme avec ma famille adoptive, je ne suis pas dans le règlement de comptes.
Pendant longtemps j’ai eu honte de mon pays d’origine qui abandonnait ses enfants, c’est pour cette raison que je me suis rattaché à la culture japonaise. J’avais besoin d’être fier d’être asiatique. C’était plus valorisant que d’être Coréen, mais, comme je l’ai déjà dit, il ne faut pas se mentir.
Moi, comme j’étais original, j’ai choisi le « suicide au Tabasco. » (rires). Je trouve important que les jeunes aient la possibilité de s’exprimer. Pas uniquement les jeunes, d’ailleurs. La lecture de « Couleur de peau : miel » a libéré des choses, comme un récit miroir qui a trouvé un écho. On me contacte très souvent pour me remercier parce que les lecteurs savent qu’ils ne sont pas seuls. Bien d’autres se sont déjà posé les mêmes questions et on peut trouver leurs témoignages dans les bibliothèques. Ça peut aider.
Comment êtes-vous perçu en Corée ?
Les cinq fois où je m’y suis rendu, j’ai toujours été invité par les Coréens pour aller parler de mon travail, de mon film, ou bien dans les bibliothèques et médiathèques de Séoul puisque mon album a été traduit en coréen. L’adoption internationale coréenne est la partie obscure de leur Histoire. Ils n’aiment pas trop en parler, mais plutôt de leur culture, du rayonnement de la Corée. Mon travail permettra peut-être aux Coréens de ne pas oublier cette partie de leur Histoire. Ça passe très bien parce que, comme avec ma famille adoptive, je ne suis pas dans le règlement de comptes.
Pendant longtemps j’ai eu honte de mon pays d’origine qui abandonnait ses enfants, c’est pour cette raison que je me suis rattaché à la culture japonaise. J’avais besoin d’être fier d’être asiatique. C’était plus valorisant que d’être Coréen, mais, comme je l’ai déjà dit, il ne faut pas se mentir.
D’ailleurs, quand vous êtes en Corée, même si votre esprit résiste, se pose des questions, le corps adhère à la nourriture, il retrouve naturellement ses origines.
Ah ben oui ! On revient à la couleur de Babybox. Quand vous mangez coréen , la couleur qui ressort de tous les plats est le rouge. C’est la couleur du kimchi, la couleur du piment. La nourriture prend énormément de place en Corée. On ne va pas forcément vous demander si vous vous allez bien mais plutôt si vous avez mangé. La nourriture est un lien social.
À suivre puisque Jung reviendra au collège des Balmettes afin de poursuivre son travail avec les collégiens.
"Couleur de peau:miel" est publié chez Quadrants, "Babybox" chez Noctambule
Ah ben oui ! On revient à la couleur de Babybox. Quand vous mangez coréen , la couleur qui ressort de tous les plats est le rouge. C’est la couleur du kimchi, la couleur du piment. La nourriture prend énormément de place en Corée. On ne va pas forcément vous demander si vous vous allez bien mais plutôt si vous avez mangé. La nourriture est un lien social.
À suivre puisque Jung reviendra au collège des Balmettes afin de poursuivre son travail avec les collégiens.
"Couleur de peau:miel" est publié chez Quadrants, "Babybox" chez Noctambule
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