Valère Novarina, qu’attendez-vous d’une œuvre, d’une représentation quand vous êtes spectateur ? Vous êtes, par exemple, allé voir du Mallarmé mis en scène par Emmanuel Houzé.
Son Coup de dé, oui. J’avais un intérêt particulier pour ce travail. Ce que j’attends, en général, ce sont des surprises. Le théâtre en réserve de moins en moins. On monte sans arrêt le même Platonov ; il y a une sorte de sur place dans le répertoire, même s’il peut y avoir de très bons Platonov. On manque d’invention. Certaines pièces de Nerval n’ont jamais été montées, comme des pièces de Roussel, des mélodrames du 19°…ce qui se passe dans l’industrie se passe dans la culture, c’est-à-dire un phénomène de concentration. Il y a un manque d’ouverture au répertoire ancien comme les pièces de Garnier, les pièces médiévales, c’est une sorte de rétrécissement qui rendait d’autant plus agréable de voir ce Coup de dé surprenant dans un endroit surprenant de Saint –Etienne avec un acteur qui m’a beaucoup frappé sur un beau travail de Houzé. Je cherche un renouveau et aussi un dépaysement. Je vais volontiers voir du théâtre oriental, japonais.
A voir votre Vivier des noms, on a l’impression que vous fuyez toute forme de répétition, d’automatisme, de cliché, vous êtes dans une recherche permanente…
Oui , j’ai ressenti ça hier soir (représentation du 2/3/2016 à Bonlieu Scène Nationale). Ce spectacle est une construction assez étrange. Il y a un renouvellement perpétuel de la dramaturgie , de ce qui était posé avant ; on est amené là où on ne devait pas aller normalement.
Il n’y a pas de véritable narration.
C’est une construction très rapide, l’effet en est surprenant.
C’est l’intérêt des œuvres qui ne reposent pas sur la surprise de la narration, sur le suspense mais sur l’inventivité, sur l’épaisseur , la matière…
J’ai été surpris hier par la pièce que je n’avais pas vue depuis un certain temps. Ma qualité principale et peut-être unique est d’être un très bon spectateur de théâtre.
Dans le film que vous a consacré Raphaël O’Byrne, vous citez Wittgenstein « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »
J’ai renversé cette phrase en « Ce dont on ne peut parler, c’est cela qu’il faut dire. »
En réalité, vous renversez tout.
Oui, l’inversion, le renversement, le niement – qui pour moi n’est pas la négation-, le niement qui est un processus de vie et non de mort, la dialectique, la résurrection, ce mouvement de descendre et de remonter aussitôt, un renversement des sens, un ordre sous le chaos.
On a toujours affaire à quelque chose de double, le vide, le plein ,l’intérieur ,l’extérieur/ le mouvement,l’immobilité…
J’ai ressenti hier pour la première fois le lien entre ce que j’écris et ce que je peins, cette tension et cette réversibilité des choses.
Votre pratique de la peinture fait penser à la calligraphie, la montée de l’énergie grâce à la respiration avant que n’intervienne le geste qui libère.
Il y a quelque chose de cet ordre qui consiste à chercher les forces dans l’espace comme dans le langage, à chercher aussi le lieu du renversement. C’est à cet endroit que les langues pensent le plus, dans les mots équivoques. Par exemple l’extraordinaire mot personne [ qui est l’affirmation d’une présence, une personne ainsi que la marque de l’absence « Il n’y a personne »…].
Est-ce que le déséquilibre n’est pas nécessaire à la création, à la connaissance ?
Tout simplement à la marche , au mouvement. J’ai souvent cette impression qu’il faut un déséquilibre pour avancer. Dans le texte de théâtre, par exemple, où il faut chercher toujours la dynamique, donc le verbe grammatical plutôt que l’adjectif, il faut pour ainsi dire « sauter les marches », deux marchent doivent manquer pour créer de la dynamique.
Ce que vous pratiquez est le contraire de ce qu’on enseigne dans notre système scolaire.
Il m’est arrivé une drôle d’aventure. Je présentais l’agrégation, qui comportait un stage, à l’époque. Il fallait remplacer un professeur pendant quelques jours. J’ai dû corriger les rédactions de ses élèves et sans le vouloir , ça a été comme dans l’Evangile « Les premiers seront les derniers. » Ce n’était pas une volonté de provocation de ma part, le premier devenait le dernier et inversement. Ce qui nous ramène au théâtre, qui est un art renversant. C’est l’art du paradoxe comme énergie.
Vos textes reposent sur des aphorismes, des paradoxes, ils déconstruisent pour reconstruire.
Je fuis la mécanisation, l’engluement de la pensée, la stagnation. Dans La chair de l’homme, après de nombreuses propositions de définition, un personnage dit « Dieu est le mouvement. »
Et la parole est la vie ?
La parole est la mise en mouvement des mots. Aujourd’hui surtout , les mots deviennent des idoles ; il faut prendre conscience que la respiration brûle les mots, que la pensée met les mots en mouvement. La pensée est réversible comme l’inspiration et l’expiration. Il n’y a de pensée que si elle est véridique, paradoxale.
Vous dites qu’il y a parfois des affinités très étroites avec une langue qu’on ne comprend pas.
Il faut écouter attentivement les langues qu’on ne comprend pas. J’ai beaucoup écouté le japonais, le hongrois. Le sens de la musique y est différent. L’une des questions qui m’intéressent actuellement est de savoir si la musique fait partie de la pensée, si un genre musical ouvre un espace mental et entraîne un type de pensée. La musique binaire, par exemple, entraînerait à penser manichéen. Il y a un lieu de la pensée qui est peut-être un paysage rythmique.
Ce rythme naît aussi , dans Le vivier des noms des étincelles que produit, par exemple, le télescopage entre la représentation de la scène et une énumération farfelue des actualités.
C’est ce que j’appelle l’esthétique de la douche écossaise, l’esthétique du contraste. J’ai failli enlever cette scène, mais l’enchaînement a sa force.
Le peintre Gérard Fromanger considère qu’au départ la toile est noire, et qu’il l’éclaire en peignant. La lumière est déjà là, il faut la faire émerger. Ceci fait penser aux panneaux qui couvrent la scène et qu’on relève à volonté pour former le décor. Comme les mots, ils sont déjà là, ils nous portent.
Oui, ça commence par le noir, par une écriture à l’aveugle ; la peinture aussi. Mais cette idée que le texte se relève a fini par devenir très concrète parce que, dans mon atelier, pour lire un texte je le mets au mur. C’est comme ça que je le vois. Le langage est dans l’espace .Ceci me rappelle une anecdote, en Grèce. Pendant une répétition, j’entendais sans arrêt dire « kimeno »qu’on m’a traduit par « le texte » et qui signifie aussi « le gisant ». Le texte vient de dessous.
Il semble que vous viviez une forme de synesthésie, de mélange des sensations.
C’est vrai ; le théâtre est la croisée des sens, à l’opposé de la séparation des choses qu’on nous enseigne, surtout en France où il est très mal vu de peindre si vous êtes écrivain. Aux USA, en Italie, en Allemagne, ils n’ont pas ce problème.
Est-ce qu’au fond, chez vous, tout n’est pas affaire de naissance ou de renaissance d’accouchement, de cet élan du premier moment que prolonge la parole ?
Il y a quelque chose comme ça, c’est vrai.
Son Coup de dé, oui. J’avais un intérêt particulier pour ce travail. Ce que j’attends, en général, ce sont des surprises. Le théâtre en réserve de moins en moins. On monte sans arrêt le même Platonov ; il y a une sorte de sur place dans le répertoire, même s’il peut y avoir de très bons Platonov. On manque d’invention. Certaines pièces de Nerval n’ont jamais été montées, comme des pièces de Roussel, des mélodrames du 19°…ce qui se passe dans l’industrie se passe dans la culture, c’est-à-dire un phénomène de concentration. Il y a un manque d’ouverture au répertoire ancien comme les pièces de Garnier, les pièces médiévales, c’est une sorte de rétrécissement qui rendait d’autant plus agréable de voir ce Coup de dé surprenant dans un endroit surprenant de Saint –Etienne avec un acteur qui m’a beaucoup frappé sur un beau travail de Houzé. Je cherche un renouveau et aussi un dépaysement. Je vais volontiers voir du théâtre oriental, japonais.
A voir votre Vivier des noms, on a l’impression que vous fuyez toute forme de répétition, d’automatisme, de cliché, vous êtes dans une recherche permanente…
Oui , j’ai ressenti ça hier soir (représentation du 2/3/2016 à Bonlieu Scène Nationale). Ce spectacle est une construction assez étrange. Il y a un renouvellement perpétuel de la dramaturgie , de ce qui était posé avant ; on est amené là où on ne devait pas aller normalement.
Il n’y a pas de véritable narration.
C’est une construction très rapide, l’effet en est surprenant.
C’est l’intérêt des œuvres qui ne reposent pas sur la surprise de la narration, sur le suspense mais sur l’inventivité, sur l’épaisseur , la matière…
J’ai été surpris hier par la pièce que je n’avais pas vue depuis un certain temps. Ma qualité principale et peut-être unique est d’être un très bon spectateur de théâtre.
Dans le film que vous a consacré Raphaël O’Byrne, vous citez Wittgenstein « Ce dont on ne peut parler, il faut le taire. »
J’ai renversé cette phrase en « Ce dont on ne peut parler, c’est cela qu’il faut dire. »
En réalité, vous renversez tout.
Oui, l’inversion, le renversement, le niement – qui pour moi n’est pas la négation-, le niement qui est un processus de vie et non de mort, la dialectique, la résurrection, ce mouvement de descendre et de remonter aussitôt, un renversement des sens, un ordre sous le chaos.
On a toujours affaire à quelque chose de double, le vide, le plein ,l’intérieur ,l’extérieur/ le mouvement,l’immobilité…
J’ai ressenti hier pour la première fois le lien entre ce que j’écris et ce que je peins, cette tension et cette réversibilité des choses.
Votre pratique de la peinture fait penser à la calligraphie, la montée de l’énergie grâce à la respiration avant que n’intervienne le geste qui libère.
Il y a quelque chose de cet ordre qui consiste à chercher les forces dans l’espace comme dans le langage, à chercher aussi le lieu du renversement. C’est à cet endroit que les langues pensent le plus, dans les mots équivoques. Par exemple l’extraordinaire mot personne [ qui est l’affirmation d’une présence, une personne ainsi que la marque de l’absence « Il n’y a personne »…].
Est-ce que le déséquilibre n’est pas nécessaire à la création, à la connaissance ?
Tout simplement à la marche , au mouvement. J’ai souvent cette impression qu’il faut un déséquilibre pour avancer. Dans le texte de théâtre, par exemple, où il faut chercher toujours la dynamique, donc le verbe grammatical plutôt que l’adjectif, il faut pour ainsi dire « sauter les marches », deux marchent doivent manquer pour créer de la dynamique.
Ce que vous pratiquez est le contraire de ce qu’on enseigne dans notre système scolaire.
Il m’est arrivé une drôle d’aventure. Je présentais l’agrégation, qui comportait un stage, à l’époque. Il fallait remplacer un professeur pendant quelques jours. J’ai dû corriger les rédactions de ses élèves et sans le vouloir , ça a été comme dans l’Evangile « Les premiers seront les derniers. » Ce n’était pas une volonté de provocation de ma part, le premier devenait le dernier et inversement. Ce qui nous ramène au théâtre, qui est un art renversant. C’est l’art du paradoxe comme énergie.
Vos textes reposent sur des aphorismes, des paradoxes, ils déconstruisent pour reconstruire.
Je fuis la mécanisation, l’engluement de la pensée, la stagnation. Dans La chair de l’homme, après de nombreuses propositions de définition, un personnage dit « Dieu est le mouvement. »
Et la parole est la vie ?
La parole est la mise en mouvement des mots. Aujourd’hui surtout , les mots deviennent des idoles ; il faut prendre conscience que la respiration brûle les mots, que la pensée met les mots en mouvement. La pensée est réversible comme l’inspiration et l’expiration. Il n’y a de pensée que si elle est véridique, paradoxale.
Vous dites qu’il y a parfois des affinités très étroites avec une langue qu’on ne comprend pas.
Il faut écouter attentivement les langues qu’on ne comprend pas. J’ai beaucoup écouté le japonais, le hongrois. Le sens de la musique y est différent. L’une des questions qui m’intéressent actuellement est de savoir si la musique fait partie de la pensée, si un genre musical ouvre un espace mental et entraîne un type de pensée. La musique binaire, par exemple, entraînerait à penser manichéen. Il y a un lieu de la pensée qui est peut-être un paysage rythmique.
Ce rythme naît aussi , dans Le vivier des noms des étincelles que produit, par exemple, le télescopage entre la représentation de la scène et une énumération farfelue des actualités.
C’est ce que j’appelle l’esthétique de la douche écossaise, l’esthétique du contraste. J’ai failli enlever cette scène, mais l’enchaînement a sa force.
Le peintre Gérard Fromanger considère qu’au départ la toile est noire, et qu’il l’éclaire en peignant. La lumière est déjà là, il faut la faire émerger. Ceci fait penser aux panneaux qui couvrent la scène et qu’on relève à volonté pour former le décor. Comme les mots, ils sont déjà là, ils nous portent.
Oui, ça commence par le noir, par une écriture à l’aveugle ; la peinture aussi. Mais cette idée que le texte se relève a fini par devenir très concrète parce que, dans mon atelier, pour lire un texte je le mets au mur. C’est comme ça que je le vois. Le langage est dans l’espace .Ceci me rappelle une anecdote, en Grèce. Pendant une répétition, j’entendais sans arrêt dire « kimeno »qu’on m’a traduit par « le texte » et qui signifie aussi « le gisant ». Le texte vient de dessous.
Il semble que vous viviez une forme de synesthésie, de mélange des sensations.
C’est vrai ; le théâtre est la croisée des sens, à l’opposé de la séparation des choses qu’on nous enseigne, surtout en France où il est très mal vu de peindre si vous êtes écrivain. Aux USA, en Italie, en Allemagne, ils n’ont pas ce problème.
Est-ce qu’au fond, chez vous, tout n’est pas affaire de naissance ou de renaissance d’accouchement, de cet élan du premier moment que prolonge la parole ?
Il y a quelque chose comme ça, c’est vrai.
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