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Move-On Magazine

La Bouitte, Hameau de St Marcel / Les Meilleur, autodidactes de la vie de Père en Fils !


Le principe de précaution ?
Très peu pour eux qui vivent de désir et de liberté.

Nous sommes passés à La Bouitte en juillet 2019.
Six mois de décantation et de mûrissement pour ce reportage !


| Publié le Samedi 18 Janvier 2020 |

La Bouitte de nuit ©dr
La Bouitte de nuit ©dr
Comment évoquer La Bouitte en évitant de demeurer au niveau descriptif ? Celui-ci a son utilité mais il ne permettrait pas de rendre compte de cette immersion inédite proposée par le lieu et les gens qui y entretiennent la vie. Enfiler des superlatifs ? comme la pratique habituelle l’impose ? Oui, il y aura des superlatifs, des louanges… qui n’épuiseront pas l’esprit de La Bouitte. Car d’esprit il s’agit.

La Bouitte est un sanctuaire, au sens de "séjour privilégié". Une petite maison -étymologiquement- au grand cœur qui s’accorde à la vie alentour pour la restituer, lieu de circulation de l’énergie vitale qui restaure l’Histoire, les corps et l’esprit des hôtes, restaurateurs à tous les sens du terme.

Dans ce chant à la vie, les hôtes sont les Meilleur. La famille Meilleur de Père en Fils, accompagnés de leurs épouses Marie-Louise et Delphine car comme me le disait un chef « Il n’y a pas de grande maison sans grande dame ». Et déjà pointe la génération suivante qui s’initie au chant familial.

René & Maxime Meilleur - Le baroque en toute simplicité ©S. de Bourgies
René & Maxime Meilleur - Le baroque en toute simplicité ©S. de Bourgies
Des hôtes, oui, parce que le mot désigne aussi bien celui qui reçoit que celui qui est reçu et que l’on perçoit la coexistence de ces deux dimensions dès les premiers mots échangés avec René, le père, et Maxime : ils vous accueillent et semblent ravis d’être là, dans un plus que chez eux partagé généreusement avec le personnel et les hôtes de passage.

L’aventure a commencé il y a 40 ans lorsque René et Marie-Louise se sont installés au pied de parcours de ski hors piste ; 40 ans plus tard, l’esprit d’aventure souffle toujours parce que la curiosité de René est toujours aussi vive, ouverte à ce qui peut advenir, renforcée sans doute par la conversation permanente qu’il entretient avec son fils Maxime et par celle des deux chefs avec la nature.Dans son livre "De la conversation "Théodore Zeldin écrit «  La conversation ne se contente pas de battre les cartes : elle en crée de nouvelles. Et c’est là ce qui me passionne. De la rencontre de deux esprits naît une étincelle… Je ne pense pas qu’il faille être bavard pour converser, ni même particulièrement vif d’esprit… Ce qui importe, c’est d’être disposé à penser par soi-même et à dire ce qu’on pense… »

Au fond, ce que Maxime Meilleur appelle le BSP, le bon sens paysan qui repose sur une conversation permanente avec la nature.
Les deux chefs sont des autodidactes, d’où vraisemblablement cette relation profonde et vraie avec les produits et avec la matière. Produits dans l’assiette, matière et matériaux qui composent une maison qui a grandi au fil du temps, bâtie d’abord des mains de René avant que ne soient raboutés des volumes qui créent ainsi une circulation particulière enrichie de couloirs, de décrochements, de surprises et parfois du plaisir de se perdre.
« Ne demande ton chemin à personne ; tu risquerais de ne plus pouvoir te perdre » écrivait Gottfried Benne. Te perdre pour mieux te trouver.
Et Jean-François Revel de résonner alors à travers cette phrase « Seuls les bons professeurs forment les bons autodidactes ».

La Bouitte côté restaurant ©dr
La Bouitte côté restaurant ©dr
Pour l’appliquer aux Meilleur, il faut retourner le propos car ce sont ces deux autodidactes qui ont choisi la nature comme professeur afin de pouvoir affirmer la leur. Et le hors piste continue afin de créer sa trace, de marcher le premier là où personne ne s’est encore aventuré.
Dans la neige et dans le monde de la gastronomie.
Maxime a été un biathlète de haut niveau qui a vite choisi l’aventure gastronomique à partager avec son père et avec ses hôtes. Quand il vous parle de balades dans les environs, en montagne, il est évident qu’il les a au cœur et dans les jambes.

Le mouvement, ici, est permanent. La Bouitte est le lien, la conversation entre l’extérieur et l’intérieur, entre les montagnes, les plantes, la qualité de la respiration de la nature et ce nid devenu un concentré de saveurs, d’Histoire, de bienveillance, qui au détour d’un couloir vous ouvre ici ou là une porte, un point de vue, une sorte de tableau vivant sur l’environnement.

La Bouitte - Coffre de mariage ©dr
La Bouitte - Coffre de mariage ©dr
René et Maxime parlent volontiers du temps que leur consacrent leurs hôtes ; mais ce n’est que le résultat de cette conversation, de l’entremêlement de temps différents  qui constitue l’harmonie du lieu : le temps accumulé dans la pierre et le bois utilisés pour sculpter la bâtisse, le temps de l’Histoire que restituent les objets exposés. Aux troupeaux de clarines qui animent silencieusement La Bouitte répond le tintement des clarines du petit matin accompagné du murmure d’un ruisseau. Statues de bois, moules à beurre restituent lentement le savoir faire d’artisans et d’artistes. Les collections d’assiettes et de poteries font briller des siècles d’application, de patience et de métier.

Dans La Bouitte respire un concentré du territoire de Savoie, un hommage permanent.
« Risquer sa vie c’est d’abord, peut-être ne pas mourir. Mourir de notre vivant, sous toutes les formes du renoncement, de la dépression blanche, du sacrifice. affirme Anne Dufourmantelle .
Et ce que détermine le risque n’est pas seulement l’avenir, mais aussi le passé, en arrière de notre horizon d’attente, dans lequel il révèle une réserve insoupçonnée de liberté. »
Ainsi dans le risque se rencontre la liberté, le désir qui désarme l’idée de répétition et ouvre à l’aventure.
Anne Dufourmantelle nomme "ligne de risque" cette conversation entre passé, présent et avenir qui repose sur le désir.

René et Maxime revendiquent cette liberté, cet esprit d’aventure qui permettent au désir créatif d’opérer et à la trace personnelle de continuer de progresser ; alors les Meilleur s’améliorent. Ce cheminement continu permet à la maison habitée d’objets de ne pas ressembler à un musée mais à une prière spirituelle.
« Comme de longs échos qui de loin se confondent…
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ».
Le bois  des statues, des coffres, des moules divers, de centaines d’objets répond à celui des forêts. La pierre des sols à celle des montagnes. Le feu de la cuisine répond à celui qui a cuit les poteries ou fondu les clarines. La terre de ces mêmes poteries est tirée de la nature. Le spa est un hommage à l’eau et à la neige des montagnes. Les compositions gastronomiques souvent aériennes sont en harmonie avec l’éther des cimes.
   Tous les éléments liés au temps concourent à transformer un séjour à La Bouitte en une rencontre avec l’esprit du lieu, une concentration de sensations, un temps vécu différemment et une rencontre avec soi-même en une immersion spirituelle.
Un lieu où savoir faire et savoir être concordent.

Pomme de pin à la manière d’un baba, imbibée au citron, coulis au sirop de sapin ©M. Cellard
Pomme de pin à la manière d’un baba, imbibée au citron, coulis au sirop de sapin ©M. Cellard
René Meilleur évoque volontiers le sanctuaire de "Notre Dame de la Vie" situé un peu en contrebas de La Bouitte. Il ne vous enjoint pas d’y faire un tour mais il en parle encore au moment où vous lui faites vos adieux ; on se dit alors qu’une halte s’impose et l’on comprend !

"Les parfums, les couleurs et les sons se répondent" comme se répondent les deux sanctuaires, celui du 20° siècle et celui du 17°. Comme se répondent le baroque qui vibre dans l’une des salles de La Bouitte et celui de Notre Dame de la Vie, hommages au mouvement, à la Savoie et au spirituel, exvotos à la vie de part et d’autre. À Notre Dame qui abrite réellement des exvotos et à La Bouitte qui est en soi un exvoto, un témoignage qui porte la gratitude et l’espoir, le passé et l’avenir sur cette ligne de risque que constitue le présent  de ceux qui souhaitent vivre pleinement.

Pour Lucie Cabanes, spécialiste de l’art au Musée Château d’Annecy, le baroque traduit l’idée de mouvement à la fois dans la force et dans la douceur, par l’utilisation de beaux matériaux, comme l’or, dans les réalisations les plus riches et relève pratiquement du kitch dans les réalisations plus populaires. Ces deux axes cohabitent à Notre Dame, le second représenté par les exvotos si naïvement expressifs. On les retrouve dans les réalisations gastronomiques de La Bouitte au sein desquelles les produits nobles voisinent avec les herbes ou les fleurs des environs. Le printemps et l’été y offrent des bouquets différents qui contribuent au bouquet des assiettes évoluant comme la carte au fil des saisons.
René et Maxime se défendent d’être des artistes, et pourtant !
On apprend du Prévert à l’école ou au collège sans toujours en comprendre le sens.
« Pour faire le portrait d’un oiseau » en est un bon exemple. La cage y représente la technique, l’oiseau y est l’image de l’inspiration.
« …peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
La poussière du soleil
Et le bruit des bêtes de l’herbe dans la chaleur de l’été
Et puis attendre que l’oiseau se mette à chanter… »

Les Meilleurs possèdent ce qui est nécessaire à la réalisation d’œuvres d’art : l’inspiration, la technique et le cœur, c’est pourquoi leurs assiettes chantent.
Et surprennent, naturellement.
En plus de la carte, le restaurant propose des menus 3, 4, 5 ou 8 surprises. Surprises, oui ! Et menus identiques servis pour toute une table parce qu’on ne joue pas une symphonie pour le premier rang d’une salle et une autre pour le 2° ; parce qu’un repas se partage.

Depuis La Bouitte © G. Lansard
Depuis La Bouitte © G. Lansard
A l’époque où les cookies permettent de nous considérer comme du bétail dont on renforcerait la traçabilité afin de mieux contrôler nos goûts et de nous vendre ce que nous aimons déjà, de freiner ainsi toute évolution, La Bouitte joue sur la surprise, l’idée de risque et d’aventure si chère à l’enfance curieuse de tout.

Certains se souviennent peut-être de ces surprises d’autrefois, ces cônes de papier renfermant un cadeau surprise, qu’on achetait principalement dans des boulangeries. Les bonnes odeurs de pain chaud et de pâtisseries accroissaient le plaisir de la surprise que l’on déballait avec impatience et curiosité.

Le principe est le même à La Bouitte ; aux surprises qu’offrent les différents points de vue de la maison sur la montagne environnante, à celles que ménagent les randonnées en montagne s’ajoutent les surprises qu’a plaisir à imaginer le tandem de chefs. La force des jus et des sauces, les accords sucré/acidulé, les friselis aériens de gentiane, de l’eau d’abricot, de verveine… le travail estompé par l’esthétique de la présentation comme pour cet omble chevalier d’Éric Jacquier.

L’enfance est, comme en musique, l’une des clefs qui ouvre ici sur un monde enchanté. En témoigne l’interprétation de la polenta et plus profondément encore ce dessert au lait tout de blanc vêtu avec sa pointe de caramel. Douceur et pureté de l’enfance servies dans un plat dont les motifs évoquent les traces laissées par le lait que l’on faisait autrefois bouillir car on l’achetait non pasteurisé à la fruitière. Plat réalisé par Paola Pittau à Bourg-Saint-Maurice.
Bouchée d’enfance encore que cette rissole au safran inspirée par la grand-mère et servie parmi les mignardises, sorte de madeleine qui fait fondre de douceur le temps, le dissipe en un moment d’intense sensualité. A l’opposé de la surprenante mais si agréable huître Gillardeau proposée au petit déjeuner, roborative initiative venue de la remarque de clients étrangers.

Le souci du détail et de la sincérité se retrouve jusque dans les couverts. Intrigués par la forme des cuillers, nous demandons à Maxime d’où elles viennent, pourquoi ce bord plat, si pratique pour trancher sans écraser les mets délicats, que l’on ne voit pas ailleurs. Tout simplement parce qu’elles ont été moulées sur celles de "la grand-mère" polies ainsi par l’usage. Et Maxime de nous montrer alors le motif en forme de sarette présent en bout de manche pour évoquer la traditionnelle coiffe de Savoie.
Tout ceci, motifs, objets et documents exposés ne constitue pas une ornementation folklorique, tout comme les assiettes ne présentent rien d’inutile : tout correspond à une nécessité intérieure, intrinsèque et non à des contingences qui ne feraient pas sens.
 

Salle baroque à La Bouitte ©dr
Salle baroque à La Bouitte ©dr
A l’heure ou fleurissent les polémiques sur le Guide Michelin, un extrait de la BD « Le Goût d’Emma » embrasse parfaitement les enjeux de la gastronomie.

A l’un des inspecteurs du Guide qui défend un restaurant classique à coup de superlatifs et de références au classicisme, Emma répond:
« Le restaurant que je souhaite vous présenter est atypique et chaleureux… Le cuisinier et propriétaire est un chef à forte personnalité… un auteur. Il ne cuisine que ce qu’il aime et connaît de meilleur… Le restaurant se trouve dans la maison où le chef est né. C’est son territoire. Les murs sont chargés d’histoire, de souvenirs… J’ai rarement dans ma vie mangé une cuisine aussi puissante, dépouillée, allant directement à l’essentiel. »
 
Cette ligne de force et d’intransigeance se retrouve dans tout l’établissement des Meilleur, de l’accueil à la cuisine jusqu’au spa. Celui-ci s’appelle « La Bèla Vya », nom qui rappelle « Notre Dame de la Vie » . Il propose des soins à base de produits locaux et naturels : lait d’ânesse, foin, miel, plantes aromatiques. Et pourquoi pas des simples, ces herbes aux vertus guérissantes ? Car c’est bien le mot qui nous permet de résumer la cuisine des Meilleur et d’établir le lien avec le Bistrot ouvert récemment « Simple et Meilleur », restaurant, bar à tapas et bar lounge .

Pierre Angelvy nous y accueille: un lieu radicalement différent mais dans le même esprit que La Bouitte. D’ailleurs la conversation est permanente entre les deux établissements et entre les chefs.
Victor Leboucher, 26 ans est passé 2 ans chez Régis Marcon après son apprentissage, parti en Normandie, passé chez Michaël Arnoux, chef doublement étoilé aux Morainières de Jongieux, a pris un peu de recul en voyageant pour venir ensuite se poser au Bistrot « Simple et Meilleur ».

Il y pratique une cuisine adaptée aux saisons, apprécie les herbes et les fleurs qu’il a appris à utiliser au mieux chez Régis Marcon et  développe ici un lien fort à la nature.

Pour 34 euros, par exemple, il élabore ce menu éloigné des clichés de montagne de style raclette, fondue.
  • Salade de tomates, pastèque, fraises, herbes, « sérac de Serge, juste en face » , panko japonais et eau de tomate. Un concentré de fraîcheur et de goût.
  • Poitrine de cochon cuite 10 heures, fondante et croustillante, avec autant de contrastes et de complémentarité dans la composition que ceux du premier plat. Du sucré et de l’acidulé.
  • Petits légumes rôtis fournis par Eric Roy.
  • Ile flottante cuite vapeur. Flottante, fondante, vanillée à souhait.

Coupole de Notre Dame de la Vie Saint-Martin de Belleville @dr
Coupole de Notre Dame de la Vie Saint-Martin de Belleville @dr
Tout en haut, en mezzanine, un espace est consacré aux soirées d’après ski, avec cheminée et peaux de mouton.
Un autre niveau accueille un bar à tapas en hiver. Un chef y prépare une cuisine minute. Charcuterie et huîtres y ont leur place pour grignoter et boire un coup.
Retour à des choses simples, à la convivialité, avec deux terrasses dont l’une permettant de profiter du soleil. Important pour les skieurs qui souhaitent se réchauffer.
 
Le bar lounge, lui, est conçu dans une ambiance canapés, diffusion de matches, happy hour, DJ et musique deep house.
On peut y partager des planches après avoir glissé sur d’autres pour accéder directement de la piste au bar.
 
Ce Bistrot, nous confie Marie-Louise Meilleur, est le dernier défi… en date après le restaurant d’altitude ouvert il y a 5 ans.
« Avant, j’avais un chef, maintenant j’en ai deux. Ils ont toujours quelque chose en tête. »
René nous l’avait fait savoir. Si un jour il ne s’occupe plus de La Bouitte, il se remettra à la peinture. « La 3° étoile ? Non, elle ne nous a pas apporté de stress particulier, plutôt une liberté supplémentaire. »
Avoir toujours quelque chose en tête, l’esprit d’aventure et de risque… Oui, de vrais autodidactes de la vie avec la nature pour seule professeure.
Qu’ils continuent de faire le meilleur usage de cette liberté.
Ski en hiver, balades et randonnées les autres saisons, créativité par tout temps.
 

La Bouitte côté pistes ©dr
La Bouitte côté pistes ©dr

LA BOUITTE
La-Bouitte.com
Hameau de St Marcel
73440 Saint-Martin de Belleville
+33479089677

SIMPLE & MEILLEUR
Bistrot de montagne
Simple-Meilleur.com
Place Notre Dame
Quartier de Caseblanche
73440 Saint-Martin-de-Belleville
Tel. : +33 4 86 80 02 91

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