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M. Avrane, j’ai votre livre sous les yeux Maisons… Quand l’inconscient habite les lieux, dont le sous-titre est très parlant ; mais je ne sais pas si on peut partir de la fin de votre livre, cette bande de Moebius précédée de ces lignes « Les murs de la maison inconsciente, celle qui nous abrite autant que nous l’abritons, sont à l’image d’une bande de Moebius, l’intérieur et l’extérieur ne se distinguent pas. » L’essence de votre livre est là.
La maison est une enveloppe, le lieu où depuis toujours les hommes se protègent et elle est cela uniquement parce qu’elle est ouverte sur l’extérieur. La maison est autant les murs qui la fabriquent, qui l’entourent, que l’extérieur de ces murs. Il n’y a de maison que dans la mesure où on peut y entrer et en sortir ; les murs ne sont pas qu’une limite, ils sont aussi ce qui permet d’être dehors.
Une nouveauté de ce siècle a été renforcée par le confinement : on a vu à quel point l’extérieur peut entrer dans la maison. Jusqu’à maintenant c’était les fenêtres qui donnaient sur l’extérieur, maintenant c’est un autre intérieur qui vient à l’intérieur de notre maison.
Vous évoquez à un moment l’arrivée de l’intime au 19° siècle avant lequel la transparence de l’individu était totale. On a l’impression que la maison, depuis le château fort, par exemple, n’a cessé de s’alléger.
La naissance de l’intime a pris une forme exacerbée au 19° siècle mais elle est liée à la sortie du Moyen Age, à partir du moment où les hommes ont pu vivre seuls, sans être nécessairement inclus dans un groupe alors qu’auparavant l’isolement était réservé aux malades ou aux ermites. Ce mouvement de l’intime qui survient au Moyen Age se traduit dans la maison. Il est possible de s’y isoler sans que ce soit montré du doigt ou interdit.
Le premier isolement a été le lit clos, puis la chambre close, puis on s’est mis à fabriquer des couloirs au 19° siècle. On se réfugiait dans les châteaux forts, qu’on n’habitait pas tout le temps. Ils comportaient différents niveaux mais pas de pièces, pas de chambre parentale, même si certains lieux étaient réservés au suzerain et d’autres aux soldats.
Le lit était partagé : toute une famille, des gens de passage pouvaient dormir dans le même lit parce que c’était le seul meuble.
Vous parlez de la promiscuité et de la transparence qui ont disparu et vous écrivez avec humour « Le refoulement est à l’œuvre, il s’inscrit dans les murs. Les patients de Freud peuvent commencer à consulter. »
On imagine mal, avant l’adoption des couloirs, un patient traversant la chambre d’un enfant qui dort ou bien la pièce où une famille est en train de déjeuner pour aller consulter un médecin. Il faut bien des pièces qui aient leur indépendance pour que le psychanalyste puisse consulter. Il ne peut pas y avoir non plus de consultation sans que la notion de l’intime existe. La structure de la maison, son évolution, est liée à cette intimité.
Dans son Histoire de la lecture Alberto Manguel précise que pendant longtemps seule la lecture à voix haute était autorisée. On retrouve là aussi l’absence ou bien la possibilité de l’intime. La lecture silencieuse est une sorte de maison intime.
Oui, l’un des mouvements de l’intimité est la possibilité de lire autrement qu’à voix haute, ce qui implique une bonne maîtrise de la lecture et ce qui signifie que de plus en plus de personnes savent lire. La lecture devient une maison en soi dans la mesure où elle est un lieu où il est possible de se réfugier.
Qu’en est-il de la maison d’un SDF ?
On les appelle des SDF parce que l’on considère aujourd’hui que ce qui les définit est qu’ils n’ont pas de domicile fixe. Il n’y a pas si longtemps, c’était des clochards, il y a eu les chemineaux. Ils reconstituent une maison de fortune avec des cartons, un caddy de supermarché. Ils sont sans domicile fixe mais promènent d’une certaine manière leur maison avec eux. Ils créent un espace, on ne va pas marcher sur leur carton, même s’il est vide, même en leur absence.
Acheter le livre
La maison est une enveloppe, le lieu où depuis toujours les hommes se protègent et elle est cela uniquement parce qu’elle est ouverte sur l’extérieur. La maison est autant les murs qui la fabriquent, qui l’entourent, que l’extérieur de ces murs. Il n’y a de maison que dans la mesure où on peut y entrer et en sortir ; les murs ne sont pas qu’une limite, ils sont aussi ce qui permet d’être dehors.
Une nouveauté de ce siècle a été renforcée par le confinement : on a vu à quel point l’extérieur peut entrer dans la maison. Jusqu’à maintenant c’était les fenêtres qui donnaient sur l’extérieur, maintenant c’est un autre intérieur qui vient à l’intérieur de notre maison.
Vous évoquez à un moment l’arrivée de l’intime au 19° siècle avant lequel la transparence de l’individu était totale. On a l’impression que la maison, depuis le château fort, par exemple, n’a cessé de s’alléger.
La naissance de l’intime a pris une forme exacerbée au 19° siècle mais elle est liée à la sortie du Moyen Age, à partir du moment où les hommes ont pu vivre seuls, sans être nécessairement inclus dans un groupe alors qu’auparavant l’isolement était réservé aux malades ou aux ermites. Ce mouvement de l’intime qui survient au Moyen Age se traduit dans la maison. Il est possible de s’y isoler sans que ce soit montré du doigt ou interdit.
Le premier isolement a été le lit clos, puis la chambre close, puis on s’est mis à fabriquer des couloirs au 19° siècle. On se réfugiait dans les châteaux forts, qu’on n’habitait pas tout le temps. Ils comportaient différents niveaux mais pas de pièces, pas de chambre parentale, même si certains lieux étaient réservés au suzerain et d’autres aux soldats.
Le lit était partagé : toute une famille, des gens de passage pouvaient dormir dans le même lit parce que c’était le seul meuble.
Vous parlez de la promiscuité et de la transparence qui ont disparu et vous écrivez avec humour « Le refoulement est à l’œuvre, il s’inscrit dans les murs. Les patients de Freud peuvent commencer à consulter. »
On imagine mal, avant l’adoption des couloirs, un patient traversant la chambre d’un enfant qui dort ou bien la pièce où une famille est en train de déjeuner pour aller consulter un médecin. Il faut bien des pièces qui aient leur indépendance pour que le psychanalyste puisse consulter. Il ne peut pas y avoir non plus de consultation sans que la notion de l’intime existe. La structure de la maison, son évolution, est liée à cette intimité.
Dans son Histoire de la lecture Alberto Manguel précise que pendant longtemps seule la lecture à voix haute était autorisée. On retrouve là aussi l’absence ou bien la possibilité de l’intime. La lecture silencieuse est une sorte de maison intime.
Oui, l’un des mouvements de l’intimité est la possibilité de lire autrement qu’à voix haute, ce qui implique une bonne maîtrise de la lecture et ce qui signifie que de plus en plus de personnes savent lire. La lecture devient une maison en soi dans la mesure où elle est un lieu où il est possible de se réfugier.
Qu’en est-il de la maison d’un SDF ?
On les appelle des SDF parce que l’on considère aujourd’hui que ce qui les définit est qu’ils n’ont pas de domicile fixe. Il n’y a pas si longtemps, c’était des clochards, il y a eu les chemineaux. Ils reconstituent une maison de fortune avec des cartons, un caddy de supermarché. Ils sont sans domicile fixe mais promènent d’une certaine manière leur maison avec eux. Ils créent un espace, on ne va pas marcher sur leur carton, même s’il est vide, même en leur absence.
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Est-ce qu’on peut considérer que la première maison est le ventre maternel ?
Il existe une thématique qui part du ventre maternel et qui dit que la maison est un retour au ventre maternel. Je dirais que, ce qui me paraît essentiel, c’est la sortie du ventre maternel. Le moment que tous les humains ont vécu pour arriver dans une maison qui est le corps de la mère, ses bras, éventuellement ceux du père ou de la sage femme. La première enveloppe est constituée des bras qui bercent, plus tard le berceau, la chambre…Tout un mouvement va conduire le petit bébé à comprendre que son propre corps n’est pas celui de la mère, à comprendre aussi que le sein ou le biberon ne lui appartient pas. C’est la première constitution de ce qui plus tard sera sa maison et qui forme le goût qu’il aura pour tel ou tel lieu.
Dans la façon d’habiter une maison se rejoignent l’intime, le culturel le social, l’histoire héritée.
Et on n’habite pas seul, le plus souvent, on partage le lieu où l’on habite, lieu que l’on n’a pas fabriqué exprès pour nous mais qui existait avant notre arrivée. On habite aussi avec le passé de la maison, même si on effectue des réaménagements. Les maisons de famille ont tendance à disparaître mais on vit toujours avec des ancêtres, même si ce ne sont pas les siens. On habite avec ceux d’avant et avec nos contemporains avec lesquels on partage la maison.
On a même éprouvé le besoin d’inventer des histoires de fantômes. Il y a aussi des maisons qui n’ont pas été construites pour être habitées, comme le Palais du Facteur Cheval.
Il fait partie de ces maisons imaginaires comme en ont créé des peintres hollandais ou bien Le Piranèse, qui sont habitées par un corps imaginé. Il est peut-être plus intéressant, concernant le Palais du Facteur Cheval, de s’imaginer être à l’intérieur qu’y être réellement. Chacun a sans doute en soi une construction imaginaire, une maison plus ou moins idéale dans laquelle il n’ira jamais parce que c’est la maison des rêves.
Il existe une thématique qui part du ventre maternel et qui dit que la maison est un retour au ventre maternel. Je dirais que, ce qui me paraît essentiel, c’est la sortie du ventre maternel. Le moment que tous les humains ont vécu pour arriver dans une maison qui est le corps de la mère, ses bras, éventuellement ceux du père ou de la sage femme. La première enveloppe est constituée des bras qui bercent, plus tard le berceau, la chambre…Tout un mouvement va conduire le petit bébé à comprendre que son propre corps n’est pas celui de la mère, à comprendre aussi que le sein ou le biberon ne lui appartient pas. C’est la première constitution de ce qui plus tard sera sa maison et qui forme le goût qu’il aura pour tel ou tel lieu.
Dans la façon d’habiter une maison se rejoignent l’intime, le culturel le social, l’histoire héritée.
Et on n’habite pas seul, le plus souvent, on partage le lieu où l’on habite, lieu que l’on n’a pas fabriqué exprès pour nous mais qui existait avant notre arrivée. On habite aussi avec le passé de la maison, même si on effectue des réaménagements. Les maisons de famille ont tendance à disparaître mais on vit toujours avec des ancêtres, même si ce ne sont pas les siens. On habite avec ceux d’avant et avec nos contemporains avec lesquels on partage la maison.
On a même éprouvé le besoin d’inventer des histoires de fantômes. Il y a aussi des maisons qui n’ont pas été construites pour être habitées, comme le Palais du Facteur Cheval.
Il fait partie de ces maisons imaginaires comme en ont créé des peintres hollandais ou bien Le Piranèse, qui sont habitées par un corps imaginé. Il est peut-être plus intéressant, concernant le Palais du Facteur Cheval, de s’imaginer être à l’intérieur qu’y être réellement. Chacun a sans doute en soi une construction imaginaire, une maison plus ou moins idéale dans laquelle il n’ira jamais parce que c’est la maison des rêves.
Est-ce que notre bonheur dépend de la relation entre notre maison réelle et notre maison imaginaire ?
Le bonheur consiste à faire coïncider le plus possible nos deux maisons mais aussi à faire coïncider le plus possible notre maison imaginaire avec celles des personnes qui partagent notre maison. Pour qu’une maison soit celle du bonheur, elle doit pouvoir se partager. Pour cela, il faut que chacun puisse renoncer à un peu de son narcissisme pour accepter celui de l’autre. Le contre exemple que je prends dans mon livre est Le chat de Maigret. Quand personne ne veut céder sur quoi que ce soit, on ne fait plus que vivre dans un lieu qui perd son âme.
Vive les architectures imaginaires ! Les architectes vont-ils adapter leurs créations à la suite du confinement ? On a vu le mélange de l’espace intime, de l’espace familial, de l’espace professionnel l’intrusion des enfants… l’ensemble n’a pas toujours été bien vécu.
Il l’a été en fonction de ce qui se passait avant pour chacun. Pour un psychanalyste ce n’est pas un problème parce qu’il vit confiné toute l’année. C’est un métier assez sédentaire, surtout pour ceux qui travaillent chez eux et qui forment le plus grand nombre.
Dans la maison où vit une famille, il y a un équilibre qui n’est pas uniquement matériel : il ne s’agit pas uniquement de faire la cuisine. Cet équilibre est au sein de chacun dans la mesure où chacun a l’habitude d’être seul ou de rencontrer les autres à tel ou tel moment. Le déséquilibre entraîné par le confinement a pu créer des difficultés. Les chats domestiques ont eu beaucoup de mal à supporter que leurs maîtres soient tout le temps là.
Si j’ai bien compris, vous conseillez à tout le monde de devenir psychanalyste pour être heureux ? (rires).
Non, mais à ceux qui ne le font pas d’aller consulter un psychanalyste, c’est autre chose.
La maison est comme notre corps. Pour bien vivre, il faut bien habiter son corps. Ce n’est pas l’histoire de le trouver beau ou pas, mais d’être à l’aise avec lui. Pour bien vivre, il faut être bien dans sa maison. Il ne faut pas hésiter à changer les habits de sa maison comme on change ceux de son corps.
Le bonheur consiste à faire coïncider le plus possible nos deux maisons mais aussi à faire coïncider le plus possible notre maison imaginaire avec celles des personnes qui partagent notre maison. Pour qu’une maison soit celle du bonheur, elle doit pouvoir se partager. Pour cela, il faut que chacun puisse renoncer à un peu de son narcissisme pour accepter celui de l’autre. Le contre exemple que je prends dans mon livre est Le chat de Maigret. Quand personne ne veut céder sur quoi que ce soit, on ne fait plus que vivre dans un lieu qui perd son âme.
Vive les architectures imaginaires ! Les architectes vont-ils adapter leurs créations à la suite du confinement ? On a vu le mélange de l’espace intime, de l’espace familial, de l’espace professionnel l’intrusion des enfants… l’ensemble n’a pas toujours été bien vécu.
Il l’a été en fonction de ce qui se passait avant pour chacun. Pour un psychanalyste ce n’est pas un problème parce qu’il vit confiné toute l’année. C’est un métier assez sédentaire, surtout pour ceux qui travaillent chez eux et qui forment le plus grand nombre.
Dans la maison où vit une famille, il y a un équilibre qui n’est pas uniquement matériel : il ne s’agit pas uniquement de faire la cuisine. Cet équilibre est au sein de chacun dans la mesure où chacun a l’habitude d’être seul ou de rencontrer les autres à tel ou tel moment. Le déséquilibre entraîné par le confinement a pu créer des difficultés. Les chats domestiques ont eu beaucoup de mal à supporter que leurs maîtres soient tout le temps là.
Si j’ai bien compris, vous conseillez à tout le monde de devenir psychanalyste pour être heureux ? (rires).
Non, mais à ceux qui ne le font pas d’aller consulter un psychanalyste, c’est autre chose.
La maison est comme notre corps. Pour bien vivre, il faut bien habiter son corps. Ce n’est pas l’histoire de le trouver beau ou pas, mais d’être à l’aise avec lui. Pour bien vivre, il faut être bien dans sa maison. Il ne faut pas hésiter à changer les habits de sa maison comme on change ceux de son corps.