BD Fugue Annecy recevait Cyril Pedrosa pour une séance de dédicaces.
Move On y était et voici notre entretien avec Cyril
Sur les 238 pages de « L’âge d’or » le dessin , les illustrations et les couleurs forment une explosion permanente. Comment faites-vous ?
J’essaye à chaque livre d’explorer un espace particulier de ce que je sais faire pour être au plus près de ce qui correspond le mieux à l’histoire. Mes livres sont donc différents dans l’esthétique mais avec des points communs qui tiennent à ma culture, à mes limites, à ce que je ne sais pas faire…
Ce qui veut dire que vous apprenez toujours ?
Oui, heureusement. Et j’espère que ça va durer le plus longtemps possible parce que ça évite de s’ennuyer.
Vous vous adaptez tellement bien à la narration que « L’âge d’or » comporte des pages entières sans dialogue.
Avec Roxane, nous avons commencé par écrire tout le récit. L’histoire se déroule sur deux volumes. Une fois l’histoire terminée, Roxane m’a encouragé à aller voir du côté de la représentation médiévale, à revenir aux sources, les enluminures, les retables, les tapisseries…qui n’apparaissent peut-être pas comme des références directes dans le livre mais qui ont été des guides, la broderie et l’enluminure en particulier. Quant à l’idée de grandes images, elle vient de certains vitraux. C’était un moyen de narration visuelle qui permettait de partager avec des gens qui ne savaient pas lire.
Au début de la lecture on s’amuse à chercher des références éventuelles, celles que vous citez mais aussi l’expressionnisme, Klimt…et puis on lâche prise et on se laisse porter, ce qui signifie que ça fonctionne très bien.
C’est l’idée ; il ne faut pas que ces références soient trop présentes. Nous avions envie que les gens plongent le plus possible dans l’histoire mais sans trop savoir ce qui pourrait éventuellement les mettre en difficulté. Nous voulions que ce soit très facile d’accès. Une histoire d’aventure très premier degré qui permette d’être très réceptif à ce que nous racontons. Il fallait que ce soit graphiquement très séduisant et un peu inattendu. Ce sont des équilibres à trouver.
C’est accessible et l’histoire peut aussi se lire à plusieurs niveaux. On peut y retrouver Jean-Jacques Rousseau, l’égalité, le communisme, la mythologie, le conte, les sociétés idéales du 18° siècle, les phalanstères, l’égalité hommes femmes…
Oui, tout ceci y est. Au départ, nous voulions parler d’utopie. Comme beaucoup de gens, nous sommes désolés de cette situation qui fait qu’on ne peut plus dire « On aimerait autre chose que ce monde-là », sans être la risée générale. On vous répond aussitôt que ce n’est pas possible, que les utopies ont toutes échoué.
On est dans un monde rationnel.
Et ce monde est comme ça !Le monde, c’est ça !Avec Roxane, nous pensons qu’il n’est pas déraisonnable qu’il puisse être autrement. C’est ce qui nous a incités à faire une fiction qui parle de ça, du fait que nous avons l’impression de vivre dans un monde éternel, dont il est naturel qu’il soit ainsi mais que ce n’est pas le cas.
Les notions de conte, de mythologie, de légende, elles, semblent éternelles. En tout cas elles nous dépassent et c’est dans cette dimension-là que nous plonge votre dessin.
Nous avons essayé d’amener de la féérie, oui. Pas de la mystique mais de l’enchantement. C’est aussi une manière de parler modestement du pouvoir de la fiction, de montrer que l’imaginaire, quoi qu’on en dise, produit de l’action.
C’est ce qui devrait nous porter au-delà des chiffres et des statistiques.
Qu’on y soit heureux ou non, le monde dans lequel nous vivons est le fruit d’un imaginaire collectif. Croire que la consommation est source de bonheur, c’est un imaginaire qui s’est construit.
On retrouve aussi dans « L’âge d’or » des thèmes très contemporains, effectivement. Vous parlez de la consommation, il y a aussi les relations hommes/femmes, le pouvoir…
On ne peut pas s’extraire totalement de l’époque dans laquelle on vit. Quand on produit de la fiction il est important d’être à l’écoute de ce qui se passe, de ce qui nous traverse, d’en dire quelque chose à notre manière, avec notre subjectivité.
L’histoire que vous racontez est réussie, mais, pour l’instant, j’ai l’impression que le dessin l’est encore plus, ce qui crée un décalage, une attente pour le 2° volume.
La suite va être merveilleuse. J’aurais préféré que l’histoire soir racontée en une seule fois, mais je me suis rendu compte en la dessinant qu’elle aurait donné un pavé bien trop gros. Et puis il était difficile de me lancer dans un travail de 4 à 5 ans d’une traite, le prix d’un livre de 500 pages aurait été prohibitif.
Nous avons donc décidé de couper l’histoire en deux, ce qui, vous avez raison, crée beaucoup de frustration mais nous nous sommes arrêtés à une césure naturelle et très importante de l’histoire telle que nous l’avions conçue au départ. On retrouvera les personnages des années plus tard.
Move On y était et voici notre entretien avec Cyril
Sur les 238 pages de « L’âge d’or » le dessin , les illustrations et les couleurs forment une explosion permanente. Comment faites-vous ?
J’essaye à chaque livre d’explorer un espace particulier de ce que je sais faire pour être au plus près de ce qui correspond le mieux à l’histoire. Mes livres sont donc différents dans l’esthétique mais avec des points communs qui tiennent à ma culture, à mes limites, à ce que je ne sais pas faire…
Ce qui veut dire que vous apprenez toujours ?
Oui, heureusement. Et j’espère que ça va durer le plus longtemps possible parce que ça évite de s’ennuyer.
Vous vous adaptez tellement bien à la narration que « L’âge d’or » comporte des pages entières sans dialogue.
Avec Roxane, nous avons commencé par écrire tout le récit. L’histoire se déroule sur deux volumes. Une fois l’histoire terminée, Roxane m’a encouragé à aller voir du côté de la représentation médiévale, à revenir aux sources, les enluminures, les retables, les tapisseries…qui n’apparaissent peut-être pas comme des références directes dans le livre mais qui ont été des guides, la broderie et l’enluminure en particulier. Quant à l’idée de grandes images, elle vient de certains vitraux. C’était un moyen de narration visuelle qui permettait de partager avec des gens qui ne savaient pas lire.
Au début de la lecture on s’amuse à chercher des références éventuelles, celles que vous citez mais aussi l’expressionnisme, Klimt…et puis on lâche prise et on se laisse porter, ce qui signifie que ça fonctionne très bien.
C’est l’idée ; il ne faut pas que ces références soient trop présentes. Nous avions envie que les gens plongent le plus possible dans l’histoire mais sans trop savoir ce qui pourrait éventuellement les mettre en difficulté. Nous voulions que ce soit très facile d’accès. Une histoire d’aventure très premier degré qui permette d’être très réceptif à ce que nous racontons. Il fallait que ce soit graphiquement très séduisant et un peu inattendu. Ce sont des équilibres à trouver.
C’est accessible et l’histoire peut aussi se lire à plusieurs niveaux. On peut y retrouver Jean-Jacques Rousseau, l’égalité, le communisme, la mythologie, le conte, les sociétés idéales du 18° siècle, les phalanstères, l’égalité hommes femmes…
Oui, tout ceci y est. Au départ, nous voulions parler d’utopie. Comme beaucoup de gens, nous sommes désolés de cette situation qui fait qu’on ne peut plus dire « On aimerait autre chose que ce monde-là », sans être la risée générale. On vous répond aussitôt que ce n’est pas possible, que les utopies ont toutes échoué.
On est dans un monde rationnel.
Et ce monde est comme ça !Le monde, c’est ça !Avec Roxane, nous pensons qu’il n’est pas déraisonnable qu’il puisse être autrement. C’est ce qui nous a incités à faire une fiction qui parle de ça, du fait que nous avons l’impression de vivre dans un monde éternel, dont il est naturel qu’il soit ainsi mais que ce n’est pas le cas.
Les notions de conte, de mythologie, de légende, elles, semblent éternelles. En tout cas elles nous dépassent et c’est dans cette dimension-là que nous plonge votre dessin.
Nous avons essayé d’amener de la féérie, oui. Pas de la mystique mais de l’enchantement. C’est aussi une manière de parler modestement du pouvoir de la fiction, de montrer que l’imaginaire, quoi qu’on en dise, produit de l’action.
C’est ce qui devrait nous porter au-delà des chiffres et des statistiques.
Qu’on y soit heureux ou non, le monde dans lequel nous vivons est le fruit d’un imaginaire collectif. Croire que la consommation est source de bonheur, c’est un imaginaire qui s’est construit.
On retrouve aussi dans « L’âge d’or » des thèmes très contemporains, effectivement. Vous parlez de la consommation, il y a aussi les relations hommes/femmes, le pouvoir…
On ne peut pas s’extraire totalement de l’époque dans laquelle on vit. Quand on produit de la fiction il est important d’être à l’écoute de ce qui se passe, de ce qui nous traverse, d’en dire quelque chose à notre manière, avec notre subjectivité.
L’histoire que vous racontez est réussie, mais, pour l’instant, j’ai l’impression que le dessin l’est encore plus, ce qui crée un décalage, une attente pour le 2° volume.
La suite va être merveilleuse. J’aurais préféré que l’histoire soir racontée en une seule fois, mais je me suis rendu compte en la dessinant qu’elle aurait donné un pavé bien trop gros. Et puis il était difficile de me lancer dans un travail de 4 à 5 ans d’une traite, le prix d’un livre de 500 pages aurait été prohibitif.
Nous avons donc décidé de couper l’histoire en deux, ce qui, vous avez raison, crée beaucoup de frustration mais nous nous sommes arrêtés à une césure naturelle et très importante de l’histoire telle que nous l’avions conçue au départ. On retrouvera les personnages des années plus tard.
Pour revenir à ce que nous disions, on tourne les pages avec l’impression, par moments, de n’être pas tout à fait dans un livre. Votre référence aux vitraux y est sans doute pour quelque chose.
Ça amène une manière de raconter un peu différente. Habituellement c’est l’ellipse, ce qu’on ne dessine pas, qui détermine la narration. Là, les personnages se déplacent dans une continuité de décor, ce qui change le rapport à l’ellipse et à la temporalité.
La relation au temps est importante. Sur une même page, vous décomposez ou prolongez le mouvement d’un personnage. Le dessin est lui-même la narration, autant que les dialogues.
C’est le truc le plus difficile : comment raconter le temps avec des images fixes en sachant que le temps va dépendre de la manière dont le lecteur va passer d’une image à l’autre, dont il va construire ce qui manque entre deux images et de la manière dont on le dirige. J’ai essayé de répondre à ceci de manière originale, ce qui entraîne une utilisation de l’espace un peu différente. Parfois j’utilise la perspective traditionnelle…
Parfois elle est « explosée », en anamorphose.
Oui, ou bien il y a plusieurs lignes d’horizon dans une même image. On retrouve tout ça dans la pré-Renaissance, cette période de codification de la perspective.
Ce qui est intéressant, c’est d’avoir des méthodes, des repères pour en jouer, les détourner.
C’est ça. Il est toujours enrichissant de trouver un nouvel espace, de nouveaux moyens pour échapper à l’aspect répétitif. Il est stimulant d’aller ailleurs.
Vous jouez sur la relation espace/temps avec les changements d’échelle. Quand vos personnages sont tout petits, on les voit se projeter dans l’immensité de l’espace.
C’est très intéressant à réaliser. Tant mieux si ça se retrouve à la lecture.
Par moments vos personnages sont comme au sein d’un écrin, une grotte au début, des sortes de nids végétaux parfois.
Je n’y avais pas pensé mais c’est sans doute parce que les dessins de ce livre ont beaucoup à voir avec l’ornement, les motifs floraux, l’ornementation géométrique qui créent une sorte d’enluminure. La difficulté est de trouver le bon équilibre entre un dessin nourrissant et un dessin indigeste. Une très bonne illustration ne fait pas forcément de la bonne bande dessinée.
Ce qui montre que ça fonctionne bien, c’est l’impression tout au long de la lecture qu’il y a un rythme qui nous porte.
Tous les auteurs font attention à la scansion de leurs séquences, à quel moment on tourne la page, pourquoi une scène sur une double page…parce que c’est la rythmique de la lecture.
Ça amène une manière de raconter un peu différente. Habituellement c’est l’ellipse, ce qu’on ne dessine pas, qui détermine la narration. Là, les personnages se déplacent dans une continuité de décor, ce qui change le rapport à l’ellipse et à la temporalité.
La relation au temps est importante. Sur une même page, vous décomposez ou prolongez le mouvement d’un personnage. Le dessin est lui-même la narration, autant que les dialogues.
C’est le truc le plus difficile : comment raconter le temps avec des images fixes en sachant que le temps va dépendre de la manière dont le lecteur va passer d’une image à l’autre, dont il va construire ce qui manque entre deux images et de la manière dont on le dirige. J’ai essayé de répondre à ceci de manière originale, ce qui entraîne une utilisation de l’espace un peu différente. Parfois j’utilise la perspective traditionnelle…
Parfois elle est « explosée », en anamorphose.
Oui, ou bien il y a plusieurs lignes d’horizon dans une même image. On retrouve tout ça dans la pré-Renaissance, cette période de codification de la perspective.
Ce qui est intéressant, c’est d’avoir des méthodes, des repères pour en jouer, les détourner.
C’est ça. Il est toujours enrichissant de trouver un nouvel espace, de nouveaux moyens pour échapper à l’aspect répétitif. Il est stimulant d’aller ailleurs.
Vous jouez sur la relation espace/temps avec les changements d’échelle. Quand vos personnages sont tout petits, on les voit se projeter dans l’immensité de l’espace.
C’est très intéressant à réaliser. Tant mieux si ça se retrouve à la lecture.
Par moments vos personnages sont comme au sein d’un écrin, une grotte au début, des sortes de nids végétaux parfois.
Je n’y avais pas pensé mais c’est sans doute parce que les dessins de ce livre ont beaucoup à voir avec l’ornement, les motifs floraux, l’ornementation géométrique qui créent une sorte d’enluminure. La difficulté est de trouver le bon équilibre entre un dessin nourrissant et un dessin indigeste. Une très bonne illustration ne fait pas forcément de la bonne bande dessinée.
Ce qui montre que ça fonctionne bien, c’est l’impression tout au long de la lecture qu’il y a un rythme qui nous porte.
Tous les auteurs font attention à la scansion de leurs séquences, à quel moment on tourne la page, pourquoi une scène sur une double page…parce que c’est la rythmique de la lecture.
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