Il serait possible de proposer un résumé, un synopsis, voire un pitch du film, mais ce qui compte en est l’esprit. Un titre comme « Nos combats » nous aurait orientés vers l’idéologie, la politique. Mais ces batailles, ce sont les nôtres, celles de chacun de ceux que le monde du travail actuel transforme en objets interchangeables au service de la vente d’objets commerciaux, de services. Notre société transforme les métiers en emplois, les gens en employés et les conséquences en rejaillissent dans toutes les dimensions de nos vies.
On en oublie que les acteurs à l’écran sont dans des emplois et exercent un métier tellement « Nos batailles » est la vie de chacun, sans fard, sans apprêt. Romain Duris, Laetitia Dosch, Laure Calamy, Lucie Debay et tous les autres ne « jouent » pas, ils « sont » justes.
***
Guillaume Senez, « Nos batailles »est le plus souvent présenté comme un film social, ce qui est très réducteur. C’est aussi un film existentiel, sur la transmission, le secret, le sens de la vie, la solitude, la solidarité et bien d’autres thèmes.
Oui, c’est un film dense. J’admire la complexité au cinéma. Evidemment je suis un homme de gauche, j’ai des choses à dire sur le monde du travail, sur le capitalisme, sur l’ubérisation de la société, mais je ne voulais pas faire un film sur le monde du travail, ni un film social .Je souhaite d’abord transmettre une émotion, donner un regard sur le monde du travail, ou plutôt sur ses répercussions sur la famille, sur l’équipe ; quand on rentre le soir, on porte notre sac à dos de problèmes, on vit avec, on mange avec.
Il n’y a d’ailleurs pas de vrais moments d’intimité , au début du film, entre Laura et Olivier.
Il y en a, mais ça part dans tous les sens tellement tout est imbriqué. C’est vraiment lié aux répercussions du travail. Les batailles, ce sont les enfants, la famille. Je pars d’une émotion, je tente de la transmettre au spectateur pour qu’il se demande pourquoi il a été touché, ému…peut-être peut naître alors une réflexion. La démarche est plus forte que si elle était d’ordre démonstratif ou revendicatif. J’adore Ken Loach, les frères Darden, j’ai été nourri de leurs films, mais je pense aussi à d’autres films où l’on nous prend par la main pour nous dire « Regarde, ça c’est bien, ça c’est pas bien… » Les choses sont bien plus complexes et c’est pourquoi je recherche cette complexité.
Vous évitez la sursignification, le fait de trop raconter. Les moments importants de votre film reposent sur le vide et l’absence ; un peu comme un excellent polar : vous faites disparaître une vie, un corps, un objet et vous observez ce qui se passe, toutes les pièces du puzzle bougent. Un polar avec une fin ouverte liée à un message laissé sur un mur.
On n’a pas construit le film comme un polar, mais j’aimais bien l’idée d’une carte qui s’enlève, tout s’effondre, les répercussions sont gigantesques.
Nous disions que le film n’est pas que social, vous parlez d’émotions. La blessure inexplicable de la mère est une donnée importante, elle traverse tout le film, passe au fils Eliott et à la petite fille Rose qui est amenée à prendre symboliquement le rôle de la mère.
C’est exactement ça. Avec Raphaëlle Despléchin nous voulions qu’Olivier, le père de famille, retrouve cette dualité perdue avec la disparition de sa femme. Il essaye de la retrouver avec sa sœur, avec sa mère, avec sa collègue, avec toutes ces femmes qui gravitent autour de lui.
C’est un film de femmes.
Oui, c’est clairement un film de femmes dans lequel Olivier évolue pour partir seul avec ses enfants. On ne sait pas si ça va bien se passer, si elle va revenir.
Nous parlions de fin ouverte, on peut lui associer la notion d’aventure, alors que dans le quotidien lié au travail, l’aventure est absente.
Une femme disparaît et on n’est pas capable de la retrouver alors qu’il existe une traçabilité pour n’importe quelle paire de chaussures qu’on commande. On sait à tout moment où elle se trouve.
Mais au fond, ce qui importe pour moi, c’est qu’il est très difficile d’aider les gens qui nous sont proches, les gens qu’on aime. Olivier aide ses collègues de travail, il arrange les choses, mais il n’arrive pas à écouter ce que sa femme a à lui dire, il ne peut pas entendre ; c’est pareil avec ses enfants.
Vous disiez que vous ne vouliez pas trop dire, sursignifier. Quand Jean-Luc se suicide, au début du film, on ne voit rien. Vous ne montrez rien du départ de Laura…
Pareil pour Agathe, la RH.
Pour la RH, c’est aussi qu’elle fait partie des éléments interchangeables, comme une tablette de travail qui tombe en panne.
J’aime être dans le non dit. J’essaye de faire un cinéma de ressenti, ni dogmatique, ni analytique. Le non dit permet au spectateur de se projeter, d’être en empathie. J’essaye d’éviter les choses convenues, dans la dramaturgie, dans les décors, les costumes, la façon de parler, dans la façon de filmer. J’essaye de prendre les chemins qui ne sont pas attendus, c’est aussi ce qui amène cette complexité.
Vous filmez à hauteur des gens.
A hauteur d’homme, exactement, c’est une très bonne définition.
On en oublie que les acteurs à l’écran sont dans des emplois et exercent un métier tellement « Nos batailles » est la vie de chacun, sans fard, sans apprêt. Romain Duris, Laetitia Dosch, Laure Calamy, Lucie Debay et tous les autres ne « jouent » pas, ils « sont » justes.
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Guillaume Senez, « Nos batailles »est le plus souvent présenté comme un film social, ce qui est très réducteur. C’est aussi un film existentiel, sur la transmission, le secret, le sens de la vie, la solitude, la solidarité et bien d’autres thèmes.
Oui, c’est un film dense. J’admire la complexité au cinéma. Evidemment je suis un homme de gauche, j’ai des choses à dire sur le monde du travail, sur le capitalisme, sur l’ubérisation de la société, mais je ne voulais pas faire un film sur le monde du travail, ni un film social .Je souhaite d’abord transmettre une émotion, donner un regard sur le monde du travail, ou plutôt sur ses répercussions sur la famille, sur l’équipe ; quand on rentre le soir, on porte notre sac à dos de problèmes, on vit avec, on mange avec.
Il n’y a d’ailleurs pas de vrais moments d’intimité , au début du film, entre Laura et Olivier.
Il y en a, mais ça part dans tous les sens tellement tout est imbriqué. C’est vraiment lié aux répercussions du travail. Les batailles, ce sont les enfants, la famille. Je pars d’une émotion, je tente de la transmettre au spectateur pour qu’il se demande pourquoi il a été touché, ému…peut-être peut naître alors une réflexion. La démarche est plus forte que si elle était d’ordre démonstratif ou revendicatif. J’adore Ken Loach, les frères Darden, j’ai été nourri de leurs films, mais je pense aussi à d’autres films où l’on nous prend par la main pour nous dire « Regarde, ça c’est bien, ça c’est pas bien… » Les choses sont bien plus complexes et c’est pourquoi je recherche cette complexité.
Vous évitez la sursignification, le fait de trop raconter. Les moments importants de votre film reposent sur le vide et l’absence ; un peu comme un excellent polar : vous faites disparaître une vie, un corps, un objet et vous observez ce qui se passe, toutes les pièces du puzzle bougent. Un polar avec une fin ouverte liée à un message laissé sur un mur.
On n’a pas construit le film comme un polar, mais j’aimais bien l’idée d’une carte qui s’enlève, tout s’effondre, les répercussions sont gigantesques.
Nous disions que le film n’est pas que social, vous parlez d’émotions. La blessure inexplicable de la mère est une donnée importante, elle traverse tout le film, passe au fils Eliott et à la petite fille Rose qui est amenée à prendre symboliquement le rôle de la mère.
C’est exactement ça. Avec Raphaëlle Despléchin nous voulions qu’Olivier, le père de famille, retrouve cette dualité perdue avec la disparition de sa femme. Il essaye de la retrouver avec sa sœur, avec sa mère, avec sa collègue, avec toutes ces femmes qui gravitent autour de lui.
C’est un film de femmes.
Oui, c’est clairement un film de femmes dans lequel Olivier évolue pour partir seul avec ses enfants. On ne sait pas si ça va bien se passer, si elle va revenir.
Nous parlions de fin ouverte, on peut lui associer la notion d’aventure, alors que dans le quotidien lié au travail, l’aventure est absente.
Une femme disparaît et on n’est pas capable de la retrouver alors qu’il existe une traçabilité pour n’importe quelle paire de chaussures qu’on commande. On sait à tout moment où elle se trouve.
Mais au fond, ce qui importe pour moi, c’est qu’il est très difficile d’aider les gens qui nous sont proches, les gens qu’on aime. Olivier aide ses collègues de travail, il arrange les choses, mais il n’arrive pas à écouter ce que sa femme a à lui dire, il ne peut pas entendre ; c’est pareil avec ses enfants.
Vous disiez que vous ne vouliez pas trop dire, sursignifier. Quand Jean-Luc se suicide, au début du film, on ne voit rien. Vous ne montrez rien du départ de Laura…
Pareil pour Agathe, la RH.
Pour la RH, c’est aussi qu’elle fait partie des éléments interchangeables, comme une tablette de travail qui tombe en panne.
J’aime être dans le non dit. J’essaye de faire un cinéma de ressenti, ni dogmatique, ni analytique. Le non dit permet au spectateur de se projeter, d’être en empathie. J’essaye d’éviter les choses convenues, dans la dramaturgie, dans les décors, les costumes, la façon de parler, dans la façon de filmer. J’essaye de prendre les chemins qui ne sont pas attendus, c’est aussi ce qui amène cette complexité.
Vous filmez à hauteur des gens.
A hauteur d’homme, exactement, c’est une très bonne définition.
On retrouve ceci aussi dans la manière dont quelqu’un entre dans le cadre, avec une voix off…
Il y a ce qui existe dans le cadre, mais aussi ce qui existe autour. Laura n’est pas là mais elle existe tout du long. Il y a tout ce travail de hors champ.
Pour revenir aux éléments clés et aux émotions, nous avons parlé de blessure, il est aussi question à plusieurs reprises de rêves, et l’odeur est importante , elle aussi, liée à l’absence. C’est un film proustien(rires)
Sociétal. Un cinéma sociétal. Une sorte d’engagement.
A plusieurs reprises, vous faites dire « Vous comprenez…Je comprends… »alors que ce sont des moments où votre personnage, Olivier, ne peut pas comprendre, où il est perdu.
C’est tout le temps comme ça dans la vie, on ne dit pas toujours ce qu’on pense. Ce que vous dites résume tout à fait la scène avec Michel Berger, les mots ne suffisent plus : le silence, on danse et tout est dit. Ce que vous venez de dire est exactement l’intention de la scène avec la musique de Michel Berger, un tournant du film.
Le silence est parfois plus fort que la parole, mais il y a aussi les secrets, les choses tues, comme les draps souillés cachés par Eliott. Ils sont dissimulés. C’est un film sur la disparition, comme celle de Laura , qui est cachée par le reste de la famille.
C’est un peu comme dans les livres dont vous êtes le héros. Il faut trouver les moyens d’avancer. Je pense que le spectateur est intelligent, qu’il sait faire son chemin.
C’est la grande différence entre les cinéastes et les hommes politiques. (rires)
Churchill écrivait « La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres », vous en faites « C’est nul , la démocratie, mais ça permet de décevoir une minorité de gens. »
Je suis quelqu’un de très pessimiste, de très négatif. Je pense que la démocratie représentative telle qu’on la connaît fonce droit dans le mur. Il faudrait une démocratie participative. Ce n’est pas un film là-dessus, mais cette réflexion transpire du film. Notre rôle d’artiste est aussi de donner un regard sur le monde. Celui que je porte sur le monde de l’entreprise est assez noir. Nous sommes allés sur le terrain, nous avons rencontré des employés, mais si j’avais montré les choses frontalement, le film n’aurait pas eu la même force, en tout cas pas celle que je recherche. Une réflexion imposée a moins de force que si elle naît de vous-même.
Comme dans beaucoup de domaines de la vie, il est essentiel de trouver la bonne distance. Vos personnages se blessent involontairement parce que les conditions de vie ne leur laissent aucun recul.
Olivier parvient à écouter ses enfants ; même si ce n’est pas un happy end, il y a une évolution.
Il y a ce qui existe dans le cadre, mais aussi ce qui existe autour. Laura n’est pas là mais elle existe tout du long. Il y a tout ce travail de hors champ.
Pour revenir aux éléments clés et aux émotions, nous avons parlé de blessure, il est aussi question à plusieurs reprises de rêves, et l’odeur est importante , elle aussi, liée à l’absence. C’est un film proustien(rires)
Sociétal. Un cinéma sociétal. Une sorte d’engagement.
A plusieurs reprises, vous faites dire « Vous comprenez…Je comprends… »alors que ce sont des moments où votre personnage, Olivier, ne peut pas comprendre, où il est perdu.
C’est tout le temps comme ça dans la vie, on ne dit pas toujours ce qu’on pense. Ce que vous dites résume tout à fait la scène avec Michel Berger, les mots ne suffisent plus : le silence, on danse et tout est dit. Ce que vous venez de dire est exactement l’intention de la scène avec la musique de Michel Berger, un tournant du film.
Le silence est parfois plus fort que la parole, mais il y a aussi les secrets, les choses tues, comme les draps souillés cachés par Eliott. Ils sont dissimulés. C’est un film sur la disparition, comme celle de Laura , qui est cachée par le reste de la famille.
C’est un peu comme dans les livres dont vous êtes le héros. Il faut trouver les moyens d’avancer. Je pense que le spectateur est intelligent, qu’il sait faire son chemin.
C’est la grande différence entre les cinéastes et les hommes politiques. (rires)
Churchill écrivait « La démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres », vous en faites « C’est nul , la démocratie, mais ça permet de décevoir une minorité de gens. »
Je suis quelqu’un de très pessimiste, de très négatif. Je pense que la démocratie représentative telle qu’on la connaît fonce droit dans le mur. Il faudrait une démocratie participative. Ce n’est pas un film là-dessus, mais cette réflexion transpire du film. Notre rôle d’artiste est aussi de donner un regard sur le monde. Celui que je porte sur le monde de l’entreprise est assez noir. Nous sommes allés sur le terrain, nous avons rencontré des employés, mais si j’avais montré les choses frontalement, le film n’aurait pas eu la même force, en tout cas pas celle que je recherche. Une réflexion imposée a moins de force que si elle naît de vous-même.
Comme dans beaucoup de domaines de la vie, il est essentiel de trouver la bonne distance. Vos personnages se blessent involontairement parce que les conditions de vie ne leur laissent aucun recul.
Olivier parvient à écouter ses enfants ; même si ce n’est pas un happy end, il y a une évolution.
Affiche du film "Nos batailles" de Guillaume Senez
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