Collaboration Horizontale / Carole Maurel (illustratrice /coloriste) et Navie (scénariste) / © Paul Rassat
BD Fugue Annecy organisait samedi 18 février 2017 une rencontre entre les auteures de Collaboration Horizontale et les lecteurs.
Comme Move On a particulièrement apprécié ce livre, nous avons passé un moment avec Carole Maurel et Navie.
L’histoire que vous racontez se passe pendant la 2° guerre mondiale. Vous faites preuve d’un souci de reconstitution très poussé mais on sent au-delà une sensibilité particulière.
Navie : Je suis très sensible, si j’écris des histoires c’est que je suis très intéressée par les êtres humains, par la question du fascisme, du racisme et la façon dont on y arrive. Je ne vois pas grand intérêt à parler des faits pour les faits. J’ai besoin de parler d’une histoire à travers les gens. Il est impossible que mon approche ne se sente pas à la lecture.
Dans Collaboration Horizontale, le point de vue de chaque personnage est exprimé et rendu à travers son univers particulier à la fois par le texte et par l’image. Est-ce que c’est une approche féminine ou une approche liée à votre sensibilité d’artistes ?
Carole Maurel : Ce n’est pas exclusivement féminin. Il n’y a pas de sensibilité masculine ou féminine.
Navie : Il n’y a pas de qualités ou de défauts masculins ou féminins, mais une sensibilité humaine. Nous sommes imparfaits, nous avons tous un cœur et nous exprimons différemment. Les dessins de Carole expriment une vraie sensibilité.
Le dessin n’est pas simplement l’illustration d’un propos, il y a une rencontre, un enrichissement mutuel entre la narration et le dessin. Vous travaillez comment ?
Navie : En fait, c’est un heureux hasard qu’on se soit rencontrées sur ce projet et que ça ait fonctionné. Carole et moi sommes très différentes mais nous avons un terreau commun, une sensibilité artistique. Comme nous n’habitons pas la même ville, je me suis rendue compte qu’elle comprenait les textes que je lui envoyais et je comprenais en retour ses dessins qui pouvaient aller plus loin, dans des cheminements tortueux…ses dessins aussi me faisaient aller plus loin.
Vous vous êtes enrichies l’une l’autre. On a l’impression que c’est davantage que de la BD.
Navie : Oui, on n’est pas sur le terrain de la description, de l’action. C’est vraiment une approche intuitive.
Carole : On a eu beaucoup de chance parce que dans ces cas-là, soit on peut tomber complètement à côté des intentions du scénariste, soit ça fonctionne.
Navie : C’est d’autant plus surprenant que je ne connaissais pas le travail de Carole auparavant, mais je sentais qu’on faisait ensemble quelque chose de sincère.
Cette sincérité est perceptible quand, comme vous, on passe par des personnages pour toucher l’Humain.
Carole : L’aspect historique, aussi intéressant soit-il, est un prétexte ; je me serais ennuyée s’il n’y avait eu que ça.
Ce qui est important aussi, c’est que ce contexte historique est une période trouble qui exige que chacun choisisse, se redéfinisse, prenne parti, se cache ou réagisse…
Navie : Humainement, c’est passionnant parce que ce sont des périodes de vie où le quotidien doit continuer alors que tout est hors norme. Comment continuer à être ordinaire quand tout est extraordinaire. Continuer à être humain avec de petites bassesses, de petits plaisirs, on continue de cancaner, de jouir. Comment continuer de vivre ?
Votre titre est intéressant. Au premier degré Collaboration Horizontale correspond à l’appellation « normale », mais votre héroïne est le personnage qui se tient le plus debout de l’histoire, même si elle tombe amoureuse.
Navie : Ça se voit bien dans le dessin de Carole quand elle regarde droit devant elle le jour de la Libération et quand elle dit à son fils qu’il va falloir être courageux. Les femmes ont été davantage que les hommes confrontées à l’humiliation, à des situations où il leur fallait garder la tête haute. Toutes les créatrices actuelles ont envie de mettre la lumière sur des femmes oubliées. Collaboration horizontale était l’expression employée dans les années 50 pour parler de la collaboration sentimentale. C’est très premier degré, très cru ; ça pourrait presque passer pour un terme juridique mais c’est tellement macho. Marie-couche-toi là !
Carole : C’est presque une expression PMU.
Au fond, le problème est plus large ; quand la société va mal, ça rejaillit encore plus sur les faibles ou ceux qu’on considère comme tels et les femmes en font partie.
Navie : Il faut aussi que les hommes participent au changement, ça ne peut pas venir que des femmes. Il ne faut pas cataloguer notre album comme girly, un truc de femmes, de gonzesses. Il faut que les hommes soient touchés, qu’ils puissent s’identifier aux personnages féminins.
Votre démarche est pertinente parce que vous ne défendez pas un féminisme primaire.
Navie et Carole (presque en chœur) Nous n’avons pas l’une et l’autre le même féminisme, ni celui de la voisine d’à côté, même si nous avons des combats communs.
Navie : Il faut créer de l’empathie plutôt que prendre les choses de front, et puis c’est aussi une démarche d’artistes.
Empathie. C’est un mot intéressant. Vous montrez aussi le côté allemand à travers votre personnage masculin. Et une lettre d’amour écrite sur une feuille à l’en-tête nazi est une manière particulièrement touchante de dépasser les conditionnements habituels.
Navie : Ce jeune homme est allemand, mais il n’est en réalité ni nazi, ni antisémite. Il a 19/20 ans et il est pris dans cette vie irrationnelle. Il est amoureux.
Carole : J’ai fait des recherches pour retrouver l’en-tête nazi mais je n’ai pas trouvé grand-chose…mais maintenant que vous le dites, l’en-tête souligne bien l’ambivalence. Ce n’est pas manichéen.
À la fin du livre, votre héroïne dit "Nous allions payer nos libertés". Au pluriel.
Navie : Ça me fait plaisir qu’on puisse parler de la BD en relevant ce genre de petite chose. Habituellement les gens parlent de la BD dans sa globalité. J’aime jouer avec les mots. Parler de libertés le jour de la Libération, d’avoir pris des libertés avec des corps qui sont un territoire masculin appartenant à leurs maris, à leurs frères…notre héroïne était consentante, elle, amoureuse. Il y a un vrai parallèle à établir entre la France et les femmes, la collaboration…
Comme Move On a particulièrement apprécié ce livre, nous avons passé un moment avec Carole Maurel et Navie.
L’histoire que vous racontez se passe pendant la 2° guerre mondiale. Vous faites preuve d’un souci de reconstitution très poussé mais on sent au-delà une sensibilité particulière.
Navie : Je suis très sensible, si j’écris des histoires c’est que je suis très intéressée par les êtres humains, par la question du fascisme, du racisme et la façon dont on y arrive. Je ne vois pas grand intérêt à parler des faits pour les faits. J’ai besoin de parler d’une histoire à travers les gens. Il est impossible que mon approche ne se sente pas à la lecture.
Dans Collaboration Horizontale, le point de vue de chaque personnage est exprimé et rendu à travers son univers particulier à la fois par le texte et par l’image. Est-ce que c’est une approche féminine ou une approche liée à votre sensibilité d’artistes ?
Carole Maurel : Ce n’est pas exclusivement féminin. Il n’y a pas de sensibilité masculine ou féminine.
Navie : Il n’y a pas de qualités ou de défauts masculins ou féminins, mais une sensibilité humaine. Nous sommes imparfaits, nous avons tous un cœur et nous exprimons différemment. Les dessins de Carole expriment une vraie sensibilité.
Le dessin n’est pas simplement l’illustration d’un propos, il y a une rencontre, un enrichissement mutuel entre la narration et le dessin. Vous travaillez comment ?
Navie : En fait, c’est un heureux hasard qu’on se soit rencontrées sur ce projet et que ça ait fonctionné. Carole et moi sommes très différentes mais nous avons un terreau commun, une sensibilité artistique. Comme nous n’habitons pas la même ville, je me suis rendue compte qu’elle comprenait les textes que je lui envoyais et je comprenais en retour ses dessins qui pouvaient aller plus loin, dans des cheminements tortueux…ses dessins aussi me faisaient aller plus loin.
Vous vous êtes enrichies l’une l’autre. On a l’impression que c’est davantage que de la BD.
Navie : Oui, on n’est pas sur le terrain de la description, de l’action. C’est vraiment une approche intuitive.
Carole : On a eu beaucoup de chance parce que dans ces cas-là, soit on peut tomber complètement à côté des intentions du scénariste, soit ça fonctionne.
Navie : C’est d’autant plus surprenant que je ne connaissais pas le travail de Carole auparavant, mais je sentais qu’on faisait ensemble quelque chose de sincère.
Cette sincérité est perceptible quand, comme vous, on passe par des personnages pour toucher l’Humain.
Carole : L’aspect historique, aussi intéressant soit-il, est un prétexte ; je me serais ennuyée s’il n’y avait eu que ça.
Ce qui est important aussi, c’est que ce contexte historique est une période trouble qui exige que chacun choisisse, se redéfinisse, prenne parti, se cache ou réagisse…
Navie : Humainement, c’est passionnant parce que ce sont des périodes de vie où le quotidien doit continuer alors que tout est hors norme. Comment continuer à être ordinaire quand tout est extraordinaire. Continuer à être humain avec de petites bassesses, de petits plaisirs, on continue de cancaner, de jouir. Comment continuer de vivre ?
Votre titre est intéressant. Au premier degré Collaboration Horizontale correspond à l’appellation « normale », mais votre héroïne est le personnage qui se tient le plus debout de l’histoire, même si elle tombe amoureuse.
Navie : Ça se voit bien dans le dessin de Carole quand elle regarde droit devant elle le jour de la Libération et quand elle dit à son fils qu’il va falloir être courageux. Les femmes ont été davantage que les hommes confrontées à l’humiliation, à des situations où il leur fallait garder la tête haute. Toutes les créatrices actuelles ont envie de mettre la lumière sur des femmes oubliées. Collaboration horizontale était l’expression employée dans les années 50 pour parler de la collaboration sentimentale. C’est très premier degré, très cru ; ça pourrait presque passer pour un terme juridique mais c’est tellement macho. Marie-couche-toi là !
Carole : C’est presque une expression PMU.
Au fond, le problème est plus large ; quand la société va mal, ça rejaillit encore plus sur les faibles ou ceux qu’on considère comme tels et les femmes en font partie.
Navie : Il faut aussi que les hommes participent au changement, ça ne peut pas venir que des femmes. Il ne faut pas cataloguer notre album comme girly, un truc de femmes, de gonzesses. Il faut que les hommes soient touchés, qu’ils puissent s’identifier aux personnages féminins.
Votre démarche est pertinente parce que vous ne défendez pas un féminisme primaire.
Navie et Carole (presque en chœur) Nous n’avons pas l’une et l’autre le même féminisme, ni celui de la voisine d’à côté, même si nous avons des combats communs.
Navie : Il faut créer de l’empathie plutôt que prendre les choses de front, et puis c’est aussi une démarche d’artistes.
Empathie. C’est un mot intéressant. Vous montrez aussi le côté allemand à travers votre personnage masculin. Et une lettre d’amour écrite sur une feuille à l’en-tête nazi est une manière particulièrement touchante de dépasser les conditionnements habituels.
Navie : Ce jeune homme est allemand, mais il n’est en réalité ni nazi, ni antisémite. Il a 19/20 ans et il est pris dans cette vie irrationnelle. Il est amoureux.
Carole : J’ai fait des recherches pour retrouver l’en-tête nazi mais je n’ai pas trouvé grand-chose…mais maintenant que vous le dites, l’en-tête souligne bien l’ambivalence. Ce n’est pas manichéen.
À la fin du livre, votre héroïne dit "Nous allions payer nos libertés". Au pluriel.
Navie : Ça me fait plaisir qu’on puisse parler de la BD en relevant ce genre de petite chose. Habituellement les gens parlent de la BD dans sa globalité. J’aime jouer avec les mots. Parler de libertés le jour de la Libération, d’avoir pris des libertés avec des corps qui sont un territoire masculin appartenant à leurs maris, à leurs frères…notre héroïne était consentante, elle, amoureuse. Il y a un vrai parallèle à établir entre la France et les femmes, la collaboration…
Articles similaires...
-
Demain la lune sera rouge de Nelly Sanoussi : une dystopie féministe puissante
-
C'était Juste Une Blague de Caroline Peiffer : un roman coup de poing sur le harcèlement scolaire
-
Saint-Cyr-sur-Mer, Vue avec le cœur - Un livre qui capture l’essence de la Provence
-
Le Monde de Gigi de William Maurer : un conte moderne plein de magie
-
Marguerite Laleyé sonde les méandres de « L’Autre Terre »
Retrouvez cette bande dessinée chez notre partenaire BD Fugue :