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Quelques heures avant de recevoir le Prix du Jury, Sunao Katabuchi accordait une interview à Move On.
Vous dites que l’animation vous permet de coller le plus près possible à l’Histoire, ce qui est paradoxal parce que le public sait que l’animation est un artifice.
Je peux vous répondre par un exemple. Dans le film, Dans un recoin de ce monde, tous les appareils volants, tous les avions ont été déterminés de façon très précise, et en poussant la recherche encore plus loin que celle que nous avons faite, il serait possible de retrouver le nom des pilotes, et en poussant plus loin encore de retrouver pour chacun ce qu’il a fait pendant son enfance, quand il était plus jeune. Ce qui m’intéresse, c’est qu’à l’extérieur du film, du cadre, on a un monde réel et je me suis dit que la manière de rendre ceci le plus fidèlement possible est le dessin. Lorsque je dessinais le personnage de Suzu, les arrière-plans, les appareils, tout ce qu’on voit dans le film, tout faisait partie de la même dimension.
Le recoin que l’on retrouve dans le titre de votre film et dans celui du manga dont vous vous êtes inspiré, ce recoin, le monde entier y vient à travers l’Histoire, les sentiments.
Vous l’avez peut-être remarqué, dans le film comme dans l’œuvre originale, on ne parle que de ce que vit Suzu. Quand on raconte une histoire, on peut adopter le « point de vue de Dieu » [omniscient], être au-dessus de ce qui se passe et tout raconter de ce point de vue. Dans notre histoire, ce n’est pas du tout le cas, ou très rarement. D’un autre côté, on peut dire que, en dehors de ce que voit Suzu, le spectateur est tenu à l’écart de ce qui se passe. Je pense que c’est ça, la vraie réalité, ce qu’on voit à travers les yeux du personnage. Le spectateur n’a accès qu’aux informations que le personnage principal lui fournit. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, on se rend compte que, autour de Suzu, le monde se détériore.
Vous parlez de la façon dont les Japonais âgés ont reçu le film ; maintenant vous avez pas mal de retours, comment les spectateurs occidentaux ou français perçoivent-ils ce film ?
Tout ce que j’arrive à imaginer se limite aux spectateurs japonais et à leur perception du film, mais par extension, je pense qu’il y a beaucoup de points communs avec la perception qu’on en a dans les pays étrangers. Ce qui change, c’est qu’au Japon certains spectateurs ont reconnu ce qui se passe dans le film. La plupart d’entre eux, lorsqu’ils voient Suzu découper son kimono pour en faire un nouveau vêtement pensent que ça se passait comme ça, mais en réalité ce n’est pas du tout de cette manière qu’on procédait à l’époque. Seules les grands-mères âgées de 70/80 ans se rendent compte que Suzu se trompe dans son découpage, ce qui explique qu’elles aient été les seules personnes à rire dans les salles.
Pour la plupart des personnes, pour nous, pour les générations suivantes, en fait, qu’on soit Japonais ou d’un pays étranger, tout ce que fait Suzu est d’un temps révolu et on le découvre parce que ça nous est complètement étranger. Voilà qui explique pourquoi, à travers le personnage de Suzu, j’ai voulu qu’on revive ce qui se passait à l’époque.
Il y a en France ce qu’on appelle le devoir de mémoire. Est-ce qu’il y a un équivalent au Japon ?
On ne parle pas de devoir de mémoire au Japon, et d’une manière générale, ce qui concerne la guerre est relativement prédéfini et s’appuie essentiellement sur la forme. Je pense que le plus important, plus important que les connaissances, est de savoir ce que les gens de l’époque ont ressenti et d’arriver à digérer ce qui s’est passé.
En plus du côté historique très précis, ce qui frappe, ce sont les émotions qui sont transmises et une véritable tendresse pour les personnages.
Je vais vous retranscrire les mots de Fumiyo Kouno, l’auteur du manga. Elle m’a raconté que le 15 août 1945, lorsque le Japon a capitulé, beaucoup de Japonais en ont pleuré, et Mme Kouno m’a dit qu’elle n’avait pas compris pourquoi les gens avaient pleuré à l’époque. Tout ce qui nous reste pour comprendre ce qui a poussé ces gens à pleurer lorsque la capitulation a été annoncée, c’est notre imagination finalement. Mais si on ne s’appuie que sur elle, si on n’a pas les connaissances nécessaires, on peut prendre ces pleurs comme l’expression d’un sentiment de nationalisme. Il faut aller au-delà de cette interprétation et voir ce que Suzu extériorise.
Est-ce que le choix des couleurs est très personnel ? Il y a des scènes dures, mais sur l’ensemble du film, il y a une forme de douceur.
J’avais envie de donner une teinte au film, qui nous rappelle ce qu’on aurait pu ressentir en touchant la peau de Suzu. Bien entendu , on ne peut pas avoir de contact direct, on ne peut pas toucher de qui se passe dans une œuvre de fiction, de cinéma, mais j’avais envie…je me demandais ce qu’on pourrait ressentir lorsqu’elle se touche les joues, la peau. Est-ce que c’est chaud, doux, mou ? J’ai décidé de choisir une couleur de peau qui permette d’imaginer facilement ce qu’on peut ressentir. Ce point de départ m’a permis de composer les autres couleurs. Normalement ça ne se remarque pas, mais si vous revoyez le film, vous remarquerez que Suzu brunit en été, sauf le dernier été, lorsque la guerre s’arrête. Je me suis demandé quelle personne elle serait à ce moment-là, à cet instant précis. J’avais envie de me dire que Suzu n’était pas simplement un personnage posé dans un cadre. C’est à partir de là que j’ai choisi la teinte que je donnerais à mon film.
Puisque c’est de l’animation, on ne s’identifie pas comme avec le cinéma « classique » mais on est le plus proche possible du personnage.
C’est justement pour que les spectateurs ressentent les choses de cette manière que j’ai fait autant de recherches et que j’ai essayé d’être dans la plus grande proximité de la réalité.
Si vous allez au Japon aujourd’hui, vous avez la possibilité de vous rendre sur les lieux que Suzu a connus. Si les spectateurs japonais ont un avantage, c’est qu’ils ont la possibilité de se rendre sur place pour vérifier où était Suzu.
L’imagination peut être efficace.
Oui, mais j’aimerais que des Américains, des Occidentaux se rendent sur place.
Une question plus large. Vous avez travaillé à des courts métrages, à des longs métrages, à des jeux vidéo, à des séries télévisées, ce sont des branches différentes d’une même activité ou bien des activités totalement différentes ?
J’aime fondamentalement les images. Je donne également des cours à l’université. Chaque année mes élèves produisent des films, ceci vous donne une idée de mon intérêt pour l’image, même pour les images expérimentales .Leurs productions m’incitent à produire moi aussi des images.
Une dernière question, est-ce que vous appréciez la gastronomie savoyarde ?
Je saurais difficilement vous dire ce que j’ai mangé toute la semaine. Mais on a eu l’occasion d’ aller dans différents restaurants d’Annecy, on a mangé beaucoup de fromage et également des poissons, de l’omble chevalier.
Vous dites que l’animation vous permet de coller le plus près possible à l’Histoire, ce qui est paradoxal parce que le public sait que l’animation est un artifice.
Je peux vous répondre par un exemple. Dans le film, Dans un recoin de ce monde, tous les appareils volants, tous les avions ont été déterminés de façon très précise, et en poussant la recherche encore plus loin que celle que nous avons faite, il serait possible de retrouver le nom des pilotes, et en poussant plus loin encore de retrouver pour chacun ce qu’il a fait pendant son enfance, quand il était plus jeune. Ce qui m’intéresse, c’est qu’à l’extérieur du film, du cadre, on a un monde réel et je me suis dit que la manière de rendre ceci le plus fidèlement possible est le dessin. Lorsque je dessinais le personnage de Suzu, les arrière-plans, les appareils, tout ce qu’on voit dans le film, tout faisait partie de la même dimension.
Le recoin que l’on retrouve dans le titre de votre film et dans celui du manga dont vous vous êtes inspiré, ce recoin, le monde entier y vient à travers l’Histoire, les sentiments.
Vous l’avez peut-être remarqué, dans le film comme dans l’œuvre originale, on ne parle que de ce que vit Suzu. Quand on raconte une histoire, on peut adopter le « point de vue de Dieu » [omniscient], être au-dessus de ce qui se passe et tout raconter de ce point de vue. Dans notre histoire, ce n’est pas du tout le cas, ou très rarement. D’un autre côté, on peut dire que, en dehors de ce que voit Suzu, le spectateur est tenu à l’écart de ce qui se passe. Je pense que c’est ça, la vraie réalité, ce qu’on voit à travers les yeux du personnage. Le spectateur n’a accès qu’aux informations que le personnage principal lui fournit. Au fur et à mesure que l’histoire progresse, on se rend compte que, autour de Suzu, le monde se détériore.
Vous parlez de la façon dont les Japonais âgés ont reçu le film ; maintenant vous avez pas mal de retours, comment les spectateurs occidentaux ou français perçoivent-ils ce film ?
Tout ce que j’arrive à imaginer se limite aux spectateurs japonais et à leur perception du film, mais par extension, je pense qu’il y a beaucoup de points communs avec la perception qu’on en a dans les pays étrangers. Ce qui change, c’est qu’au Japon certains spectateurs ont reconnu ce qui se passe dans le film. La plupart d’entre eux, lorsqu’ils voient Suzu découper son kimono pour en faire un nouveau vêtement pensent que ça se passait comme ça, mais en réalité ce n’est pas du tout de cette manière qu’on procédait à l’époque. Seules les grands-mères âgées de 70/80 ans se rendent compte que Suzu se trompe dans son découpage, ce qui explique qu’elles aient été les seules personnes à rire dans les salles.
Pour la plupart des personnes, pour nous, pour les générations suivantes, en fait, qu’on soit Japonais ou d’un pays étranger, tout ce que fait Suzu est d’un temps révolu et on le découvre parce que ça nous est complètement étranger. Voilà qui explique pourquoi, à travers le personnage de Suzu, j’ai voulu qu’on revive ce qui se passait à l’époque.
Il y a en France ce qu’on appelle le devoir de mémoire. Est-ce qu’il y a un équivalent au Japon ?
On ne parle pas de devoir de mémoire au Japon, et d’une manière générale, ce qui concerne la guerre est relativement prédéfini et s’appuie essentiellement sur la forme. Je pense que le plus important, plus important que les connaissances, est de savoir ce que les gens de l’époque ont ressenti et d’arriver à digérer ce qui s’est passé.
En plus du côté historique très précis, ce qui frappe, ce sont les émotions qui sont transmises et une véritable tendresse pour les personnages.
Je vais vous retranscrire les mots de Fumiyo Kouno, l’auteur du manga. Elle m’a raconté que le 15 août 1945, lorsque le Japon a capitulé, beaucoup de Japonais en ont pleuré, et Mme Kouno m’a dit qu’elle n’avait pas compris pourquoi les gens avaient pleuré à l’époque. Tout ce qui nous reste pour comprendre ce qui a poussé ces gens à pleurer lorsque la capitulation a été annoncée, c’est notre imagination finalement. Mais si on ne s’appuie que sur elle, si on n’a pas les connaissances nécessaires, on peut prendre ces pleurs comme l’expression d’un sentiment de nationalisme. Il faut aller au-delà de cette interprétation et voir ce que Suzu extériorise.
Est-ce que le choix des couleurs est très personnel ? Il y a des scènes dures, mais sur l’ensemble du film, il y a une forme de douceur.
J’avais envie de donner une teinte au film, qui nous rappelle ce qu’on aurait pu ressentir en touchant la peau de Suzu. Bien entendu , on ne peut pas avoir de contact direct, on ne peut pas toucher de qui se passe dans une œuvre de fiction, de cinéma, mais j’avais envie…je me demandais ce qu’on pourrait ressentir lorsqu’elle se touche les joues, la peau. Est-ce que c’est chaud, doux, mou ? J’ai décidé de choisir une couleur de peau qui permette d’imaginer facilement ce qu’on peut ressentir. Ce point de départ m’a permis de composer les autres couleurs. Normalement ça ne se remarque pas, mais si vous revoyez le film, vous remarquerez que Suzu brunit en été, sauf le dernier été, lorsque la guerre s’arrête. Je me suis demandé quelle personne elle serait à ce moment-là, à cet instant précis. J’avais envie de me dire que Suzu n’était pas simplement un personnage posé dans un cadre. C’est à partir de là que j’ai choisi la teinte que je donnerais à mon film.
Puisque c’est de l’animation, on ne s’identifie pas comme avec le cinéma « classique » mais on est le plus proche possible du personnage.
C’est justement pour que les spectateurs ressentent les choses de cette manière que j’ai fait autant de recherches et que j’ai essayé d’être dans la plus grande proximité de la réalité.
Si vous allez au Japon aujourd’hui, vous avez la possibilité de vous rendre sur les lieux que Suzu a connus. Si les spectateurs japonais ont un avantage, c’est qu’ils ont la possibilité de se rendre sur place pour vérifier où était Suzu.
L’imagination peut être efficace.
Oui, mais j’aimerais que des Américains, des Occidentaux se rendent sur place.
Une question plus large. Vous avez travaillé à des courts métrages, à des longs métrages, à des jeux vidéo, à des séries télévisées, ce sont des branches différentes d’une même activité ou bien des activités totalement différentes ?
J’aime fondamentalement les images. Je donne également des cours à l’université. Chaque année mes élèves produisent des films, ceci vous donne une idée de mon intérêt pour l’image, même pour les images expérimentales .Leurs productions m’incitent à produire moi aussi des images.
Une dernière question, est-ce que vous appréciez la gastronomie savoyarde ?
Je saurais difficilement vous dire ce que j’ai mangé toute la semaine. Mais on a eu l’occasion d’ aller dans différents restaurants d’Annecy, on a mangé beaucoup de fromage et également des poissons, de l’omble chevalier.