Vu en avant-première au Cinéma Les Nemours à Annecy grâce à l’association Plan Large, « Les Particules » sera sur les écrans à partir du 5 juin 2019.
Un film indéfinissable qui embarque le spectateur dans une relation originale avec la réalité ; poétique, simple et complexe à la fois. Un voyage expérimental étrange et beau dont nous parle Blaise Harrison.
On retrouve les particules dès le générique. Comment vous est venu le thème du film ?
À l’origine, j’avais envie de parler de l’adolescence. Le thème des particules est venu dans un deuxième temps, des souvenirs du Pays de Gex où j’ai grandi. Je voulais filmer ce territoire, cette région, l’adolescence et l’inquiétude que provoquent les grandes questions qui peuvent nous submerger à cet âge, quand on voit le monde se transformer autour de nous.
Je me demandais comment représenter ces difficultés, ces troubles, cette angoisse d’être au monde, et je me suis rappelé l’accélérateur de particules qui traverse toute la région cent mètres sous terre. Il me permettait d’introduire du fantastique dans le film, un genre qui correspond à mes goûts personnels, qui naisse du réel et soit plausible. Ce monstre souterrain, enfoui, dissimulé, à la présence fascinante, angoissante, est à cheval sur la science fiction, la physique quantique qui pose des questions totalement folles sur le monde dans lequel on évolue. J’ai trouvé qu’il était un bon moyen de parler des angoisses qui peuvent s’emparer de nous.
Un film indéfinissable qui embarque le spectateur dans une relation originale avec la réalité ; poétique, simple et complexe à la fois. Un voyage expérimental étrange et beau dont nous parle Blaise Harrison.
On retrouve les particules dès le générique. Comment vous est venu le thème du film ?
À l’origine, j’avais envie de parler de l’adolescence. Le thème des particules est venu dans un deuxième temps, des souvenirs du Pays de Gex où j’ai grandi. Je voulais filmer ce territoire, cette région, l’adolescence et l’inquiétude que provoquent les grandes questions qui peuvent nous submerger à cet âge, quand on voit le monde se transformer autour de nous.
Je me demandais comment représenter ces difficultés, ces troubles, cette angoisse d’être au monde, et je me suis rappelé l’accélérateur de particules qui traverse toute la région cent mètres sous terre. Il me permettait d’introduire du fantastique dans le film, un genre qui correspond à mes goûts personnels, qui naisse du réel et soit plausible. Ce monstre souterrain, enfoui, dissimulé, à la présence fascinante, angoissante, est à cheval sur la science fiction, la physique quantique qui pose des questions totalement folles sur le monde dans lequel on évolue. J’ai trouvé qu’il était un bon moyen de parler des angoisses qui peuvent s’emparer de nous.
Blaise Harrison, Thomas Daloz qui joue le personnage principal, Isabelle Vossart de l'association Plan Large. Photo ® Didier Devos
Vous disiez « …on voit le monde se transformer… » alors que ce sont les personnages qui se transforment aussi.
C’est ça. Est-ce le monde qui change ou le personnage qui est en train de changer ? Il grandit et voit son environnement d’un œil nouveau, ses amis qui changent eux aussi. Tout se reconfigure dans le groupe, de nouvelles questions se posent. Des amours inattendues apparaissent. Le monde sécurisant de l’enfance s’altère et on n’est plus sûr de rien. La physique des particules me permet d’exprimer ce bouleversement.
Lucrèce et les anciens pensaient que l’univers était formé d’une pluie d’atomes dont les rencontres formaient les êtres. Nous serions des accidents. C’est un peu ce que montre votre film, des rencontres, des trajectoires, des divorces, le hasard d’un accident avec une biche juste évité et un autre qui se produit juste après. Des probabilités. Un jeu permanent.
"Les accidents", c’est marrant parce que c’est comme ça que j’ai envisagé la fabrication du film.
J’avais envie d’essayer des choses, de mettre ensemble des éléments, des gens, des matières sans savoir ce que cela allait donner. Les physiciens travaillent comme ça, ils mènent des expériences en espérant obtenir quelque chose et la réussite peut venir d’un résultat inattendu.
C’est ça. Est-ce le monde qui change ou le personnage qui est en train de changer ? Il grandit et voit son environnement d’un œil nouveau, ses amis qui changent eux aussi. Tout se reconfigure dans le groupe, de nouvelles questions se posent. Des amours inattendues apparaissent. Le monde sécurisant de l’enfance s’altère et on n’est plus sûr de rien. La physique des particules me permet d’exprimer ce bouleversement.
Lucrèce et les anciens pensaient que l’univers était formé d’une pluie d’atomes dont les rencontres formaient les êtres. Nous serions des accidents. C’est un peu ce que montre votre film, des rencontres, des trajectoires, des divorces, le hasard d’un accident avec une biche juste évité et un autre qui se produit juste après. Des probabilités. Un jeu permanent.
Les particules, c’est tout ce qui nous constitue, tout et rien. Il est très déstabilisant de se dire qu’on n’est sûr de rien. La physique et les avancées des découvertes nous disent que ce qui nous semble acquis est en fait de plus en plus mystérieux et énigmatique. On le ressent très fortement à l’adolescence, un âge très sensible à la relation au monde.
"Les accidents", c’est marrant parce que c’est comme ça que j’ai envisagé la fabrication du film.
J’avais envie d’essayer des choses, de mettre ensemble des éléments, des gens, des matières sans savoir ce que cela allait donner. Les physiciens travaillent comme ça, ils mènent des expériences en espérant obtenir quelque chose et la réussite peut venir d’un résultat inattendu.
Il y a l’idée d’aventure, quelque chose qui peut advenir.
J’ai envisagé ce film sous cet angle dès l’écriture jusqu’à la fin de la post production. A chaque étape j’ai essayé des choses.
Paradoxalement vous montrez un accélérateur de particules et le temps du film est très lent.
C’est l’une des données qui m’intéressent beaucoup au cinéma. J’utilise les ralentis, la perception de certains moments qui s’étirent comme à l’adolescence quand on n’a rien à faire, on s’ennuie, le temps se dilate et il se passe des choses à l’intérieur. Ce phénomène peut être dû aussi aux drogues, aux champignons hallucinogènes. On aimerait saisir le temps mais on n’y arrive pas. La durée me permet de faire exister des choses qui sortent un peu du récit, de rendre le spectateur sensible à des éléments qui ne sont pas liés à la dramaturgie ou à l’histoire mais qui viennent la nourrir, nourrir le sentiment d’étrangeté, d’inquiétude comme dans la vie. On attend quelque chose ou quelqu’un et notre regard est attiré ailleurs. J’ai imaginé la construction et le montage du film de cette manière.
Ce qui fait qu’on se demande si on a bien vu. Est-ce dû à la déformation d’une vitre…
C’est bien ce que je voulais, montrer que le monde perçu par le personnage principal se dérègle très progressivement, pas de manière spectaculaire, comme ces nuées d’oiseaux, le champ qui se déforme. A cause de la vitre ? peut-on se demander. Jusqu’à ce que le personnage bascule dans un monde déréglé sans que l’on sache ce qui en est la cause. Que devient alors la notion de réel ? Le monde que montre l’accélérateur de particules, la drogue, la folie. Il fallait trouver un dosage, un équilibre très fin.
L’ambiguïté que vous maintenez grâce à ce subtil équilibre ouvre sur un besoin permanent d’interprétation pour le spectateur.
Plus le film avance plus on entre dans l’univers mental du personnage et dans le vertige qui s’empare de lui.
On a l’impression qu’il prend des champignons mais qu’il n’en a pas besoin. Ils ne sont que la concrétisation visible de ce qui se passe en lui, qu’on peut percevoir comme une expérience chamanique que l’on retrouve chez Rimbaud. Une forme d’animisme que traduit le mélange des différents points de vue menant de l’infiniment grand à l’infiniment petit, d’un champ de boue au ciel. C’est un poème, un chant.
C’est une bonne façon de vivre le film car je veux faire appel au ressenti plus qu’à l’intellect. Pendant l’adolescence, on est plus sensible à un monde qu’on découvre ; c’est à partir des sensations que j’ai envie de raconter mon histoire. Je ne cherche pas à apporter des réponses au grand mystère de l’existence mais à partager une expérience un peu folle, mystérieuse, métaphysique, ce qui nécessite que le spectateur lâche prise. Le fil narratif est très simple, c’est une histoire d’amour, mais viennent s’y greffer des interrogations…
Vous faites dire à l’un des scientifiques du CERN que la science permet de découvrir la beauté qui se cache au fond de la nature.
Les physiciens cherchent la formule qui permet de décrire le fonctionnement de l’univers, la théorie du tout. Ce doit être une formule simple, comme E=mc2. Comme ils sont aussi poètes et philosophes, ils recherchent la beauté.
C’est aussi ce que j’ai cherché, faire se mélanger les genres, le documentaire, la fiction, le film fantastique, le teen movie, le film scientifique.
Je me suis amusé à montrer les particules comme des brandons venant de la nature, évoluant en pixels numériques. L’organique se transforme en numérique.
Vous jouez avec les catégories, avec la norme. L’un de vos personnages parle de digression. Au fond, tout votre film pourrait être une digression. Vous créez sans arrêt des liens toujours ouverts.
Ça ne m’a jamais intéressé de suivre un chemin qui aille d’un point A à un point B, tout droit sans qu’il soit nourri. Il faut parfois le déconstruire pour raccrocher certaines choses. C’est le fonctionnement de la mémoire qui n’est pas toujours linéaire pour reconstruire un souvenir.
J’ai envisagé ce film sous cet angle dès l’écriture jusqu’à la fin de la post production. A chaque étape j’ai essayé des choses.
Paradoxalement vous montrez un accélérateur de particules et le temps du film est très lent.
C’est l’une des données qui m’intéressent beaucoup au cinéma. J’utilise les ralentis, la perception de certains moments qui s’étirent comme à l’adolescence quand on n’a rien à faire, on s’ennuie, le temps se dilate et il se passe des choses à l’intérieur. Ce phénomène peut être dû aussi aux drogues, aux champignons hallucinogènes. On aimerait saisir le temps mais on n’y arrive pas. La durée me permet de faire exister des choses qui sortent un peu du récit, de rendre le spectateur sensible à des éléments qui ne sont pas liés à la dramaturgie ou à l’histoire mais qui viennent la nourrir, nourrir le sentiment d’étrangeté, d’inquiétude comme dans la vie. On attend quelque chose ou quelqu’un et notre regard est attiré ailleurs. J’ai imaginé la construction et le montage du film de cette manière.
Ce qui fait qu’on se demande si on a bien vu. Est-ce dû à la déformation d’une vitre…
C’est bien ce que je voulais, montrer que le monde perçu par le personnage principal se dérègle très progressivement, pas de manière spectaculaire, comme ces nuées d’oiseaux, le champ qui se déforme. A cause de la vitre ? peut-on se demander. Jusqu’à ce que le personnage bascule dans un monde déréglé sans que l’on sache ce qui en est la cause. Que devient alors la notion de réel ? Le monde que montre l’accélérateur de particules, la drogue, la folie. Il fallait trouver un dosage, un équilibre très fin.
L’ambiguïté que vous maintenez grâce à ce subtil équilibre ouvre sur un besoin permanent d’interprétation pour le spectateur.
Plus le film avance plus on entre dans l’univers mental du personnage et dans le vertige qui s’empare de lui.
On a l’impression qu’il prend des champignons mais qu’il n’en a pas besoin. Ils ne sont que la concrétisation visible de ce qui se passe en lui, qu’on peut percevoir comme une expérience chamanique que l’on retrouve chez Rimbaud. Une forme d’animisme que traduit le mélange des différents points de vue menant de l’infiniment grand à l’infiniment petit, d’un champ de boue au ciel. C’est un poème, un chant.
C’est une bonne façon de vivre le film car je veux faire appel au ressenti plus qu’à l’intellect. Pendant l’adolescence, on est plus sensible à un monde qu’on découvre ; c’est à partir des sensations que j’ai envie de raconter mon histoire. Je ne cherche pas à apporter des réponses au grand mystère de l’existence mais à partager une expérience un peu folle, mystérieuse, métaphysique, ce qui nécessite que le spectateur lâche prise. Le fil narratif est très simple, c’est une histoire d’amour, mais viennent s’y greffer des interrogations…
Au fond, l’amour est le véritable accélérateur de particules.
Exactement.
Vous faites dire à l’un des scientifiques du CERN que la science permet de découvrir la beauté qui se cache au fond de la nature.
Les physiciens cherchent la formule qui permet de décrire le fonctionnement de l’univers, la théorie du tout. Ce doit être une formule simple, comme E=mc2. Comme ils sont aussi poètes et philosophes, ils recherchent la beauté.
C’est aussi ce que j’ai cherché, faire se mélanger les genres, le documentaire, la fiction, le film fantastique, le teen movie, le film scientifique.
Je me suis amusé à montrer les particules comme des brandons venant de la nature, évoluant en pixels numériques. L’organique se transforme en numérique.
Vous jouez avec les catégories, avec la norme. L’un de vos personnages parle de digression. Au fond, tout votre film pourrait être une digression. Vous créez sans arrêt des liens toujours ouverts.
Ça ne m’a jamais intéressé de suivre un chemin qui aille d’un point A à un point B, tout droit sans qu’il soit nourri. Il faut parfois le déconstruire pour raccrocher certaines choses. C’est le fonctionnement de la mémoire qui n’est pas toujours linéaire pour reconstruire un souvenir.
[La musique et le son du film traduisent parfaitement cette vision du cinéma et du monde, ainsi que le recours à des acteurs non professionnels laissés très libres de leur jeu.
Si l’on exprime le mystère de la vie et de la nature, le mieux est d’être le plus naturel possible.
La conversation avec Blaise Harrison est passionnante, passionnée, ouverte et elle pétille de ces particules qui forment l’intelligence]
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