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Move-On Magazine

Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux


Rencontre baroque, détendue et enrichissante avec Till Rabus


| Publié le Jeudi 13 Septembre 2018 |

L'artiste en pied - Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
L'artiste en pied - Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
La Fondation Salomon pour l’art contemporain organise cette exposition qui se tient du 13 septembre au 2 décembre 2018

Till, vous découvrez l’Abbaye ?
Non, j’avais été invité, il y a dix ans, à participer à une exposition commune sur le thème de la métamorphose par Jean-Marc Salomon qui soutient beaucoup d’artistes émergents. Puisqu’il organise un cycle  sur le thème du baroque, il a pensé à mon travail et m’a proposé une exposition monographique. C’est une première pour moi et j’en suis enchanté.

Est-ce que ça change votre approche, la façon dont vous envisagez l’exposition ?
Je travaille habituellement en séries pour exposer dans une galerie et une chacune a sa propre cohérence. Ici il faut procéder autrement ; mais le lieu permet d’isoler mes séries et le résultat, l’assemblage d’œuvres nées de périodes différentes m’étonne.  Un artiste a toujours peur de ne pas être cohérent dans sa démarche, dans sa pratique artistique, et là, je trouve que ça se tient, on retrouve un univers.

Vous vous reconnaissez ? Parce qu’on peut se demander, de manière générale, dans quelle mesure une œuvre d’art n’est pas une espèce d’autoportrait très libre.
J’en suis persuadé.

Vous vous représentez donc en poulet ou en insecte ? (rires).
Non, mais le monde des idées est formé à partir des événements qu’on vit au quotidien ; il s’enrichit pour moi de mes lectures, du cinéma, de l’histoire de l’art. L’environnement dans lequel j’évolue a son importance. Tous les décors que vous voyez dans mes toiles viennent d’endroits très proches de mon atelier.

Est-ce que ça signifie que vous vous nourrissez avec les éléments qui composent vos « Arcimburger » ou bien votre » Nature morte au poulet » ?
Non, mais ces commerces ne sont pas loin de chez moi. Je joue aussi beaucoup avec des objets de récupération, d’autres que je trouve chez moi, des produits de supermarché, des éléments qui proviennent de mon environnement immédiat.

Nature morte au poulet - Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Nature morte au poulet - Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Est-ce que c’est une démarche qui s’est mise en place naturellement ou bien qui correspond à une décision ? A une soudaine prise de conscience politique ?
C’est un parcours naturel. Je dois dire que, très tôt, je n’ai pas eu envie de représenter la figure humaine. C’est une démarche de solitaire un peu introverti. Je n’ai pas envie de travailler avec d’autres personnes, en leur demandant de poser, par exemple, ou d’être assistant. Je souhaite faire les choses de A à Z, dans une espèce de solitude. C’est sans doute pour cette raison que mes toiles ne représentent pas de figures humaines.

On ne les voit pas, mais elles y sont. Tout y est éminemment humain.
Oui, dans une sorte d’abandon et de solitude.

D’humour et d’ironie aussi.
De tout ce qui est exposé ici se dégage une sorte de mélancolie, un côté un peu sombre que j’essaye de contrebalancer avec l’ironie et l’humour. Je recherche cette ambivalence.

Qu’on retrouve dans « Créature d’appartement n°1 » qui fait l’affiche de l’exposition.
C’est une maison abandonnée de laquelle émane une ambiance apocalyptique. On ne peut pas à proprement parler de surréalisme à propos de ma démarche parce que je me contente d’assembler de manière différente des objets bien réels. Je ne m’échappe pas dans des mondes parallèles, dans l’onirisme. Moi, je reste très brut, c’est simplement la manière dont les objets sont placés qui donne cette dimension surréaliste. Je travaille d’ailleurs de manière très organisée, de telle heure à telle heure, après avoir emmené mes enfants à l’école.
 

Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Vous êtes à la fois monsieur tout le monde et capable de nous transporter dans cet univers artistique, poétique. Comment passez-vous d’un monde à l’autre ?
Ça se fait sur la durée. Pour « Créature d’appartement n°1 », il faut environ deux mois et demi de travail pour la recherche du lieu, des objets ; le reste se fait en atelier en écoutant souvent la radio. J’ai beaucoup de plaisir à peindre mais je ne reste pas en permanence confronté au sujet, je suis davantage sur des détails techniques de peinture.

L’idée de transformation qui traverse vos œuvres rejoint le baroque, bien sûr, mais c’est un baroque très moderne (rires).
L’esthétique de mes tableaux provient de tous les objets que je trouve. Dans celui-ci, ce sont des chandeliers, une soupière. Pour mes « Transformers », je me fournis dans les encombrants que les gens déposent dans la rue pour enlèvement. C’est une mine d’or pour moi, tous les premiers du mois je désencombre et compose avec les éléments que je trouve.
Les figurines de Disney ont été trouvées, découpées, recomposées et réassemblées pour former ces « Cadavres exquis. »
 

Créature d'appartement N°1 (avec fauteuil cabré!) Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Créature d'appartement N°1 (avec fauteuil cabré!) Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Vous voyez qu’on revient au surréalisme, à travers toutes les formes d’associations, d’idées, d’objets…à l’idée de consommation et de consumation. Votre « Nature morte au poulet » pourrait aussi être une parodie de vanités telles qu’on les peignait au 17°siècle. On retrouve l’ironie que vous mentionniez.
J’ai été inspiré par une nature morte qui se trouve au Kunstmuseum de Bâle .Elle représente un poisson éviscéré avec un citron à côté. Je me suis demandé ce que ça donnerait aujourd’hui en faisant mes courses au supermarché , en laissant les « ingrédients » dans leur emballage et en gardant la disposition du tableau d’origine. J’ai réalisé une série de trois natures mortes, avec un poisson, puis un poulet et un poulpe.

Le plaisir est dans le détournement.
Et surtout dans l’idée que je fais de la peinture à l’huile très classique, comme on la faisait au 17°siècle. C’est très agréable à pratiquer, j’ai une certaine facilité à retrouver les bonnes couleurs, à créer les volumes.

La peinture flamande permettait de faire l’inventaire et de rendre compte des richesses ; les nôtres sont donc le Coca, le Ketchup, la mayonnaise en tube !
Puisque nous plaisantons, vous avez un prénom et un nom prédestinés. Till, l’Espiègle et Rabus, qui peut vouloir dire étymologiquement « celui qui trompe ». On est dans l’espièglerie, la mise en scène, la recomposition…le baroque.
Je pensais que Rabus venait de l’allemand, le corbeau. L’écusson de la famille Rabus est justement un corbeau sur un casque de chevalier.

Nous sommes dans le détournement, au peut choisir le sens qui nous arrange…
Mes parents ont décidé de me prénommer Till après avoir lu le conte.

Nous sommes maintenant devant votre série d’« Insectes », représentations composites. Le thème de l’hybridation est cher à Jean-Marc Salomon.
Je suis vraiment parti de la représentation des insectes épinglés dans des boîtes pour être exposés.

Au-delà des insectes, le monde que vous représentez est parfois en décomposition.
Nous parlions de vanités. Il s’agit aussi de flirter avec la mort en passant par l’ironie. Pour cette exposition, le choix des œuvres a aussi été déterminé par le fait qu’il y aura des visites scolaires et qu’on évite d’exposer des  tableaux à connotation sexuelle.

Mais comment pouvez-vous peindre des œuvres érotiques qui ne représentent pas d’êtres humains ?
Œuvres que vous pouvez admirer sur le site www.tillrabus.ch. La série « Patchwork Hôtel associe phantasmes et prouesses gymniques, Monster et Two ballons parlent d’eux-mêmes, Desire parodie la corne d’abondance et la boulimie de désirs…]
J’ai réalisé, par exemple, des natures mortes que m’ont inspiré des œuvres exposées à Amsterdam, au Rijkmuseum. Des choses fabuleuses, des perroquets sur des perchoirs… qui m’ont inspiré des scènes érotiques ou pornographiques composées exclusivement de fruits, d’animaux.

Crash N°1 (détail) Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Crash N°1 (détail) Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Tout peut vous être source d’inspiration.
Pour la série « Epouvantail », je suis parti d’un moment où le train dans lequel je voyageais s’est arrêté en me plaçant dans un face à face inopiné avec un épouvantail installé dans un jardin. Ensuite, j’ai trouvé d’autres lieux où placer mes réalisations pour jouer avec cette thématique, une forêt, un pré.
 

Crash N°2 (détail) Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Crash N°2 (détail) Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Dans la série « Crash » vous mêlez les formes purement géométriques et d’autres naturelles, végétales, animales. C’est la rencontre violente de l’humain et de la nature ?
La série « Crash » représente le poids de l’abstraction sur la figuration (rires). La masse de l’abstraction arrive violemment et écrase, éparpille tout. J’ai choisi ces trois couleurs qui évoquent les couleurs primaires, rouge, jaune, bleu.

Qui éclatent vraiment.
C’était le but.

Vous vous amusez beaucoup en travaillant !
Oui, je m’amuse aussi en réalisant mes compositions d’objets, mes installations.

On a un peu l’impression que vous revenez en enfance en combinant comme avec des Lego.
J’étais complètement fan de Lego quand j’étais petit. L’idée du bricolage est très importante pour moi. J’ai la chance d’avoir une maison familiale dans laquelle je peux bricoler depuis vingt ans, je fais tout moi-même, la menuiserie, le carrelage, je monte des murs.

Il y a une continuité entre toutes vos activités.
Oui. Je viens de construire un sauna au fond de mon jardin.

Avec des murs décorés ?
Un sauna uniquement fonctionnel.
[Nous revenons à l’entrée de l’exposition pour deux « Arcimburger »]
Je me suis inspiré ici des tableaux qu’Arcimboldo réalisait avec des fruits, des légumes, parfois avec des objets, pour représenter les quatre saisons et aussi des portraits de manière assez ironique. J’ai cherché comme lui à faire jaillir tous les éléments d’un sachet en retournant le tableau.  
 

Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Alors que nous continuons à discuter d’associations, de synesthésie… Xavier Chevalier, régisseur de la Fondation Salomon, qui règle la scénographie, nous fait remarquer que l’exposition Till Rabus est la première qui, à L’Abbaye d’Annecy-le-Vieux, ne montre que des tableaux, toutes les précédentes associant peinture, sculpture, video… La richesse des œuvres de Till Rabus est telle qu’on ne le remarque pas.

   Et ensuite, Xavier précise que la galerie qui expose habituellement Till est aussi celle de AES+F  dont la Fondation Salomon avait montré « Inverso Mundus » au Haras d’Annecy.

   Des liens se créent aussitôt et nous renvoient à une nouvelle lecture des toiles de Till Rabus, lecture inspirée du thème du carnaval, détournement par excellence, thème qui, comme le montre M. Bakhtine, traverse et anime toute l’histoire culturelle de l’Occident, de Rabelais à Zola et à bien d’autres. Lisez ou relisez « Boule de Suif », de Maupassant. Vous y retrouverez tous les thèmes du carnaval : défilés, déguisements, débordements, excès, violence ritualisée, inversions en tous genres,(sexes, haut et bas…) expulsion… tous ces thèmes sont dans « Inverso Mundus » et se retrouvent chez Till Rabus. Le carnaval est une image inversée de la société pendant quelques jours, dont le roi, choisi parmi les plus défavorisés, est jugé et expulsé à la fin d’une période d’excès et de dérèglement festifs.

   Si vous n’êtes pas convaincu que ce thème du carnaval, si fondamental pour la culture occidentale traverse l’œuvre de Till Rabus, un petit détour vers son site vous en convaincra.
Quand une œuvre crée par elle-même des liens que le spectateur continue de tisser et qui le relient à des thèmes fondamentaux, c’est qu’elle vit en chacun de nous.

   Till n’a pas à s’inquiéter pour la cohérence de son travail.
Dernier clin d’œil  : recourir à l’hyper réalisme pour décomposer, recomposer, détourner notre vieux monde renaissant, n’est-ce pas fondamentalement de l’humour baroque ? Ou du baroque humoristique ? ( en retournant les termes comme Till retourne les emballages de fast food).
 

 

Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag

Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag
Till Rabus expose à l’Abbaye. Espace d’art contemporain. Annecy-le-Vieux @MoveOnMag

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