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Move-On Magazine

Radio Elvis, romantisme, synesthésie, poésie, élans de vie !


Entretien avec Pierre Guénard, de Radio Elvis, en concert au Brise Glace d’Annecy le 28 mars 2019


| Publié le Vendredi 15 Mars 2019 |

Le groupe Radio Elvis (c)-Fanny-Latour-Lambert-@-Walter-Schupfer-Management-R-
Le groupe Radio Elvis (c)-Fanny-Latour-Lambert-@-Walter-Schupfer-Management-R-
Pierre, vous chantez en français, quelle incongruité !
Vous trouvez ? Tous les grands succès d’aujourd’hui sont en français.

Il n’y a pas si longtemps, beaucoup disaient que l’anglais est plus musical.
Depuis dix ans, le français revient pas mal. D’ailleurs, j’ai toujours chanté en français et je n’ai jamais été concerné par ce débat. J’écoutais du rock dans les deux langues. Les deux sont bien.

Vous vous revendiquez de Bashung, mais il est possible de voir du Rimbaud, du Hugo dans les paroles de vos chansons, dans certaines images.
C’est possible mais involontaire parce que j’étais plutôt mauvais élève ; j’ai un parcours d’autodidacte plus  que d’étudiant.
Sur Internet, quand on cherche les paroles de vos chansons, on tombe sur le mot « magnifiqueur ».
Normalement, c’est en deux mots. La transcription n’est pas exacte, mais j’aime bien. C’est comme ça que je fonctionne et ça ne me gêne pas que les gens entendent d’autres mots. On entend ce qu’on a envie d’entendre finalement. Quand j’écris, j’essaye de faire sonner les mots de manière différente de l’usage habituel. Dans sa langue maternelle, il faut se décaler de l’usage quotidien pour la réinventer, explorer tout ce qu’elle comporte et que l’on n’utilise pas. C’est ce que j’ai beaucoup fait sur le premier disque, au détriment de la narration. J’étais davantage dans l’exercice de style, dans le plaisir de faire sonner les mots, comme l’arabe ou comme le japonais.

   Dans le second album, j’ai conservé cette tendance mais en me dirigeant plus vers la narration en jouant plus sur les rimes que je fuyais auparavant pour être plutôt dans l’assonance…

Vous devenez plus classique ?
C’est peut-être parce que j’écoute beaucoup de hip hop en ce moment, beaucoup Souchon aussi. Plus jeune je pense que j’étais dans un esprit de contradiction, maintenant je trouve que la contrainte de la rime est enrichissante, qu’elle apporte des punch lines.

(c)-Fanny-Latour-Lambert-@-Walter-Schupfer-Management-R-
(c)-Fanny-Latour-Lambert-@-Walter-Schupfer-Management-R-
Vous dites que vous aimez explorer, et justement, quand vous reprenez des paroles, pour les refrains, on a l’impression que vous êtes plus dans le test, l’exploration que dans la répétition. Vous éprouvez les mots.
J’ai constaté que certains n’aiment pas les refrains, mais leur principe est d’être répétés.

Mais sans effet mécanique chez vous.
Oui, c’est plutôt une progression qui dégage des sens différents. Quand j’écris, tout vient naturellement, je n’y réfléchis pas .

On peut répéter « Je t’aime » mais ce n’est jamais pareil. On évoque aussi votre côté romantique…
Qui est pour moi l’art de la déclaration. Il y a un peu un effet d’annonce là-dedans, une mise en scène.

Vous revisitez des thèmes connus mais vous en parlez autrement.
Je ne sais pas si ça relève du romantisme. J’ai juste envie de parler du temps qui passe, des traces qu’on laisse, de celles qu’on ne laisse pas.

Vous me direz si vous comptez vous suicider prochainement parce qu’on peut relever dans vos chansons les thèmes de l’absence, de l’abandon, de la mort, de la solitude, de la pourriture, le désespoir, la trahison…qui mènent malgré tout vers une forme d’optimisme ?
Parler des choses qui ne vont pas est une manifestation de la joie de vivre. Parler de la mort, c’est parler de la vie.

Peut-être que le romantisme est bien dans ce que vous venez de préciser. Avec un effet prémonitoire puisque le mot « révélation » apparaît dans l’une de vos chansons.
Dans « Solarium ».C’était ma période mystique (rires).
« Synesthésie » renvoie vraiment à la profondeur poétique, à Baudelaire, à Rimbaud, au mélange des sensations.
Manu, le guitariste du groupe, est synesthète, ce qui n’est pas courant, mais c’est un peu comme ça que j’écris, j’associe des mots à des couleurs, à des sensations, je leur donne plusieurs sens. Il se trouve que « synesthésie » est un joli mot et qu’il y avait le plaisir et la difficulté de le placer dans une chanson, comme Nougaro le fait en plaçant « magnanime » dans sa chanson « Marie-Christine ».

On rejoint là le parcours d’autodidacte qui fait qu’on est un peu hors cases, qu’on aime créer des liens, des associations de mots, de sens, jouer.
Oui, je pense que le parcours vers le premier album puis vers « Ces garçons-là », est vraiment celui d’un autodidacte. Le premier disque m’a apporté la reconnaissance intellectuelle. Je voulais montrer que j’ai appris des choses, qu’il est possible de s’en sortir tout seul, que la tête fonctionne bien. Et maintenant, je voudrais montrer qui je suis vraiment sans jouer à l’intellectuel. Je ne lis pas plus que la moyenne des gens, mais j’apprends en lisant.

   J’admire Tiphaine, qui va beaucoup plus loin que moi dans la langue mais je cherche plus désormais à toucher les gens. Beaucoup me disent qu’ils se reconnaissent dans « Ces garçons-là ». Des personnes très différentes, qui peuvent se placer du côté du bourreau ou de la victime ; moi-même, je ne sais pas trop si j’ai été victime ou bourreau.

Se poser ce genre de question montre que la « réalité » est bien plus complexe, multiple que ce que la moyenne des gens soupçonnent.
J’adore notre époque mais je la déteste aussi parce qu’on est toujours dans la généralité, dans une seule vérité. On fonctionne toujours dans l’émotion, qui est faite, d’après moi, pour les chansons, pour l’art. Il ne faut jamais réfléchir sous le coup de l’émotion. Quand on reparle aujourd’hui de la guerre d’Algérie, de la seconde guerre mondiale, on se rend compte qu’il y a une multiplicité de vérités, autant que d’hommes sur Terre. Notre époque juge beaucoup. Trop.

Vos réflexions montrent que vous avez encore beaucoup de choses à dire à travers vos chansons.
J’espère parce que je crois que les vrais problèmes commencent quand on est capable de vivre de son art, quand on n’a plus besoin d’écrire une bonne chanson pour en vivre, pour manger. C’est là qu’on voit s’il reste des choses à dire.
   Et puis j’ai compris que l’inspiration ne tombe pas du ciel, qu’elle se travaille.

Quelques mots sur Terrenoire qui seront en première partie de votre concert au Brise Glace ?
Nous avons joué récemment à Angoulême avec eux. J’ai beaucoup apprécié leur présence. Je les ai trouvés très délicats. Ils arrivent à faire de la musique électro en parlant d’eux, de leurs problèmes sans être trop nombrilistes. Leurs propos et leur musique sont habités d’une vraie douceur.
 
 

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