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Move-On Magazine

Rencontre avec Philippe Piguet


Historien, enseignant et critique d’art, Philippe Piguet est commissaire d’expositions indépendant, directeur artistique de Drawing Now Paris, le Salon du dessin contemporain, et de SOON, le Salon de l’œuvre Originale Numérotée. Il est chargé de la programmation de la Chapelle de la Visitation de Thonon-les-Bains et collabore régulièrement aux revues L’œil depuis 1985 et /ArtAbsolument/ depuis 2002.


| Publié le Samedi 5 Septembre 2015 |

Philippe Piguet ©D.R.
Philippe Piguet ©D.R.
Vous affirmez que tout art est contemporain de son époque. D’où peut-être la difficulté pour le public à comprendre.
Oui mais la formule qui consiste à dire que tout art est contemporain de son époque est tellement simple à entendre qu’elle signifie que, encore aujourd’hui, l’impressionnisme est contemporain de son époque, mais qu’il ne l’est pas d’aujourd’hui. Si un artiste vient vers moi et me dit « Je crois que ça va vous intéresser, ce que je fais » et qu’il me montre des tableaux de qualité impressionniste, je vais lui dire que ça ne me concerne pas. On n’est pas entre 1874 et 1886, période des huit premières expositions impressionnistes.

En quoi l’art contemporain d’aujourd’hui est-il de son époque ? La vidéo, par exemple, n’existait pas en 1874... Donc, entre autres, interviennent les moyens techniques.
Bien entendu, mais ils agissent les uns sur les autres. Vous imaginez bien que l’apparition de la photographie a eu une interaction déterminante sur la peinture. La psychanalyse aussi. Le structuralisme sur la peinture et la sculpture parce que sont alors apparus des mouvements qui se sont interrogés sur la nature même de leur discipline et ont fait œuvre de cette interrogation comme l’a fait en littérature Le Nouveau Roman. Butor, Robbe-Grillet ont interrogé la nature du roman. Les artistes ont interrogé ce qu’est une œuvre d’art.

C’est une question infinie.
C’est là que l’art est intéressant. Ce n’est pas du tout une proposition de création fermée. Cette proposition est totalement ouverte.

Il semble qu’il y a parfois, pour le public amateur, une mise en avant de la technique et pas suffisamment d’inspiration. L’inspiration est un concept romantique. Le contenu, alors ?
Un individu vit dans le monde, il absorbe des éléments… mais il y a différents publics et la question est la même que pour l’apprentissage d’une langue. Certains publics manient parfaitement la langue anglaise, d’autres pas du tout. Il faut placer l’art dans le registre du langage. Pour Picasso, l’art est langage. De la même manière qu’on apprend une langue, on apprend l’art. Il n’est pas donné de manière innée, même pas à des artistes. Le développement de la médiation culturelle témoigne bien de la prise de conscience que tout ceci est affaire de culture. Il y faut un apprentissage, la connaissance d’un certain nombre d’éléments, de codes, comme il en est de la conduite d’une voiture. Pourquoi tout le monde y arrive ? Parce que cela relève d’un besoin qui apporte une forme d’indépendance, de liberté. Il faut convaincre les gens que l’art leur apporte indépendance et liberté.

On peut avoir l’impression que l’art « classique » reposait sur des références historiques, religieuses plus propices à un apprentissage de type scolaire.
Les données du problème ont changé. Je reviens à ce que je disais, l’apparition du structuralisme, de la psychanalyse, de l’existentialisme a entraîné un flot de questionnements. Le problème qui semble particulier à la France est qu’il n’y a pas un enseignement de l’histoire de l’art… mais il y a curieusement des cours de dessin. On a tenté de m’apprendre à peindre et à dessiner avant même de me parler d’art ! C’est ridicule ! La création se passe ailleurs. Il faut parler d’art aux enfants. Commençons par la grotte Chauvet, on arrivera ensuite aux Grecs et à l’art contemporain.

Cette absence de formation fait peut-être que pour beaucoup l’art contemporain se réduit à des polémiques, des scandales, aux très grandes manifestations et au côté spectaculaire...
Et à l’argent depuis peu. On reproche à l’art de toucher à l’argent comme si les artistes allaient vivre de l’air du temps.

Puisque vous intervenez souvent sur la région, que dire de l’art contemporain en Savoie ?
La Fondation Salomon a fait un travail exemplaire de pédagogie puisque non seulement elle a cherché à montrer ce qui se fait aujourd’hui dans des secteurs différents, la peinture, la sculpture, le dessin, des installations, la vidéo, des environnements mais elle a toujours eu le soin d’épauler ces démarches par des conférences (j’en avais la responsabilité). L’action de la Fondation Salomon n’est pas tombée du ciel car il y avait déjà un tissu d’acteurs dans des structures associatives. La Fondation a fait monter, par ses exigences, un niveau déjà présent. Je suis responsable depuis 7 ans d’un espace d’art contemporain à Thonon-les-Bains, qui existe parce que les gens ont suivi le travail réalisé à la Fondation. La situation de l’art contemporain a donc évolué en Haute-Savoie depuis dix ans.

Vous êtes un collectionneur. En témoigne l‘exposition réalisée à l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux (juin/août 2015) avec une sélection de 70 de vos œuvres. On entend souvent parler de collectionneurs qui gardent leurs œuvres pour eux mais, pour vous, votre plaisir est plutôt de les présenter, de les montrer et de les partager.
Le phénomène de l’art contemporain s’est beaucoup développé en France  depuis 30 ans grâce à une action qui a d’abord été politique et étatique. Dans les années 80, le ministère de Jack Lang a été déterminant. Il a permis l’existence de nombreux réseaux d’art. Les centres d’art, les fonds régionaux d’art contemporain ont tout déclenché…et ont entraîné l’apparition de nouveaux collectionneurs. Cette effervescence a fait que, dans les années 90, les collectionneurs se sont ouverts aux autres. En fait, il n’y en a plus beaucoup qui se recroquevillent sur eux-mêmes.

Est-ce que ce ne serait pas dû aussi à la nature de l’art contemporain qui est davantage tourné vers le partage, vers la vie ?
Peut-être, en partie. L’élan donné il y a trente ans par le ministère Lang et les moyens que l’Etat lui a donnés a propulsé l’art contemporain au rang d’élément dynamique de la société. Il est présent dans la vie civile, les pubs, dans les réseaux. Et puis, notre société va vers la dématérialisation ; nous avons  donc besoin d’un peu plus de concret, de choses concrètes, incarnées, davantage propices à l’échange. Tout ceci est favorable à la création, et puisque nous sommes aujourd’hui, favorable à la création contemporaine.
 
 

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