C’est donc à BD Fugue que nous l’avons rencontré.
Une anecdote me semble intéressante pour te présenter. Tu as participé à un concours pour Spirou mais ta production était hors format.
Je n’ai pas participé au concours. Je pensais que le format imposé ,de quatre pages, ne servait à rien ; j’en ai fait quarante que j’ai envoyées hors concours. Un concours est d’ailleurs un prétexte, je pensais que,fondamentalement , s’ils trouvaient bien mon travail, ils le publieraient. Mais c’est quand même le concours qui m’a motivé.
Je partais de cette anecdote parce que, à la lecture de tes livres, on a l’impression que tu es toujours hors catégories, border line et que c’est l’esprit d’aventure qui prime. Tu aimes tester les limites.
C’est vrai pour le boulot mais aussi dans la vie. C’est devenu une philosophie, comme si on jouait sur un terrain de foot dont on ne connaît pas les limites exactes, ce qui fait qu’on joue toujours vers le centre. On a la trouille d’être hors jeu, de quitter les limites et d’être sanctionné. J’ai compris que ça vaut la peine d’aller voir où sont nos limites quitte à les assouplir quand on les a trouvées, ou bien à les respecter. Je ne fais pas l’apologie de la transgression mais celle de la découverte de notre terrain de jeu dans son plein potentiel.
Avant ce fameux concours, je m’étais limité moi-même, en faisant par exemple une prépa ici au lycée Berthollet. Je ne la regrette pas mais c’était une fausse route parce que je n’avais pas suffisamment réfléchi à ce que je voulais faire.
Maintenant je pense qu’il vaut mieux tenter, quitte à se planter, et que quand on a testé une partie des limites il en reste plein d’autres à essayer. C’est sans fin.
C’est vraiment l’expression de l’intelligence. On parle d’intelligence en arborescence, qui fonctionne dans un foisonnement de liens plutôt que de manière linéaire. C’est aussi l’expression de l’esprit d’aventure.
J’aime cette idée d’arborescence. L’intelligence est plus organique qu’on ne le pense, elle est foisonnante, oui, elle part dans toutes les directions et ne s’organise pas autour de la notion d’utilité, même si à un moment il faut la canaliser pour ne pas s’abstraire totalement de l’idée d’utilitarisme. Ce sont chez moi des thématiques de fond. Demain je fais une master class à l’ENAAI de Chambéry et je vais parler de ce dont nous discutons : avant de penser en termes d’utilité, il faut penser à se cultiver. Quand on a accumulé une densité d’informations sur le monde, à travers des rencontres avec les gens, quand le sol est riche, il n’y a plus de souci de la page blanche. Pour revenir à une métaphore végétale, quand le contexte est foisonnant, si ce n’est pas une branche, c’est l’autre.
Il faut donc avoir suffisamment de culture pour avoir le maximum d’idées et ensuite, trier. Il faut savoir prendre le sécateur pour réduire l’arborescence de départ et produire quelque chose qui semble linéaire parce que c’est grosso modo ce qu’attend le lecteur. Sauf peut-être avec mon dernier album qui, effectivement, est une véritable arborescence.
Oui, on en arrive à ce livre « Le dernier Atlas » et à la notion de polysémie. L’Atlas chaîne de montagnes, la relation à la mythologie, au Titan qui porte l’univers…c’est très ouvert. Et puis, le nom du héros, Ismaël, désigne un bâtard renié par Abraham. Dans ton livre c’est un voyou avec une conscience, un arabe qui n’a jamais vécu en Algérie, on est toujours dans un entre-deux.
C’est aussi le prénom d’un jeune mousse qui veut monter à bord du bateau qui va poursuivre Moby Dick. Avec Gwenn, mon co-scénariste, on aime bien ce qu’on appelle des échos- référence à l’album « Les derniers jours d’un immortel »-, des références à condition qu’elles ne soient pas trop téléphonées mais qu’elles proposent un sens caché pour qui veut le voir. La règle d’or est cependant que le premier degré de lecture soit satisfaisant.
Chacun va pouvoir trouver son niveau de lecture. C’est du Roland Barthes et du feuilletage de sens.
Un peu ça, oui. L’idée d’entre-deux est très juste et présente dans mon œuvre depuis longtemps. Dans la série « Seuls », il s’agit d’enfants qui ne sont ni vivants ni morts.
Dans « Le dernier Atlas » on est dans le thème de la migration, ce sont des Algériens qui ne savent pas appartenir à une terre. J’aime beaucoup cette notion d’entre-deux parce qu’elle est extrêmement inconfortable et donc propice à la créativité. Elle pousse à une troisième voie, à l’ouverture.
Une anecdote me semble intéressante pour te présenter. Tu as participé à un concours pour Spirou mais ta production était hors format.
Je n’ai pas participé au concours. Je pensais que le format imposé ,de quatre pages, ne servait à rien ; j’en ai fait quarante que j’ai envoyées hors concours. Un concours est d’ailleurs un prétexte, je pensais que,fondamentalement , s’ils trouvaient bien mon travail, ils le publieraient. Mais c’est quand même le concours qui m’a motivé.
Je partais de cette anecdote parce que, à la lecture de tes livres, on a l’impression que tu es toujours hors catégories, border line et que c’est l’esprit d’aventure qui prime. Tu aimes tester les limites.
C’est vrai pour le boulot mais aussi dans la vie. C’est devenu une philosophie, comme si on jouait sur un terrain de foot dont on ne connaît pas les limites exactes, ce qui fait qu’on joue toujours vers le centre. On a la trouille d’être hors jeu, de quitter les limites et d’être sanctionné. J’ai compris que ça vaut la peine d’aller voir où sont nos limites quitte à les assouplir quand on les a trouvées, ou bien à les respecter. Je ne fais pas l’apologie de la transgression mais celle de la découverte de notre terrain de jeu dans son plein potentiel.
Avant ce fameux concours, je m’étais limité moi-même, en faisant par exemple une prépa ici au lycée Berthollet. Je ne la regrette pas mais c’était une fausse route parce que je n’avais pas suffisamment réfléchi à ce que je voulais faire.
Maintenant je pense qu’il vaut mieux tenter, quitte à se planter, et que quand on a testé une partie des limites il en reste plein d’autres à essayer. C’est sans fin.
C’est vraiment l’expression de l’intelligence. On parle d’intelligence en arborescence, qui fonctionne dans un foisonnement de liens plutôt que de manière linéaire. C’est aussi l’expression de l’esprit d’aventure.
J’aime cette idée d’arborescence. L’intelligence est plus organique qu’on ne le pense, elle est foisonnante, oui, elle part dans toutes les directions et ne s’organise pas autour de la notion d’utilité, même si à un moment il faut la canaliser pour ne pas s’abstraire totalement de l’idée d’utilitarisme. Ce sont chez moi des thématiques de fond. Demain je fais une master class à l’ENAAI de Chambéry et je vais parler de ce dont nous discutons : avant de penser en termes d’utilité, il faut penser à se cultiver. Quand on a accumulé une densité d’informations sur le monde, à travers des rencontres avec les gens, quand le sol est riche, il n’y a plus de souci de la page blanche. Pour revenir à une métaphore végétale, quand le contexte est foisonnant, si ce n’est pas une branche, c’est l’autre.
Il faut donc avoir suffisamment de culture pour avoir le maximum d’idées et ensuite, trier. Il faut savoir prendre le sécateur pour réduire l’arborescence de départ et produire quelque chose qui semble linéaire parce que c’est grosso modo ce qu’attend le lecteur. Sauf peut-être avec mon dernier album qui, effectivement, est une véritable arborescence.
Oui, on en arrive à ce livre « Le dernier Atlas » et à la notion de polysémie. L’Atlas chaîne de montagnes, la relation à la mythologie, au Titan qui porte l’univers…c’est très ouvert. Et puis, le nom du héros, Ismaël, désigne un bâtard renié par Abraham. Dans ton livre c’est un voyou avec une conscience, un arabe qui n’a jamais vécu en Algérie, on est toujours dans un entre-deux.
C’est aussi le prénom d’un jeune mousse qui veut monter à bord du bateau qui va poursuivre Moby Dick. Avec Gwenn, mon co-scénariste, on aime bien ce qu’on appelle des échos- référence à l’album « Les derniers jours d’un immortel »-, des références à condition qu’elles ne soient pas trop téléphonées mais qu’elles proposent un sens caché pour qui veut le voir. La règle d’or est cependant que le premier degré de lecture soit satisfaisant.
Chacun va pouvoir trouver son niveau de lecture. C’est du Roland Barthes et du feuilletage de sens.
Un peu ça, oui. L’idée d’entre-deux est très juste et présente dans mon œuvre depuis longtemps. Dans la série « Seuls », il s’agit d’enfants qui ne sont ni vivants ni morts.
Dans « Le dernier Atlas » on est dans le thème de la migration, ce sont des Algériens qui ne savent pas appartenir à une terre. J’aime beaucoup cette notion d’entre-deux parce qu’elle est extrêmement inconfortable et donc propice à la créativité. Elle pousse à une troisième voie, à l’ouverture.
(La suite de l'interview en cliquant sur le volet suivant)
"Le dernier Atlas" Fabien Vehlmann présentait son dernier livre à BD Fugue Annecy le 11 avril 2019 ©Paul Rassat
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On parlait d’écho, il y a dans le livre une référence au film « Le roi et l’oiseau » et à Paul Grimault. Là aussi on rejoint l’entre-deux, le monde du haut et celui du bas, la poésie et la politique…et puis le thème du robot. C’est l’entre-deux encore et l’hybridation.
Tu as raison. Cette référence nous permettait aussi de nous inscrire dans une lignée. Que des robots géants soient anthropoïdes n’est pas logique. Si on veut s’élever vers l’espace, on ne construit pas un oiseau de fer géant mais une fusée, mais nous avions cette volonté artistique de nous inscrire dans cette lignée qui commence avec « Le roi et l’oiseau », se poursuit avec Miyazaki…se poursuit avec » Le géant de fer » de Brad Bird. Nous voulions montrer que nous avons eu en France cet imaginaire qui est associé aujourd’hui aux USA ou au Japon, une sorte de démesure spectaculaire à laquelle « Le roi et l’oiseau » ajoutait de la poésie, la dimension d’une fable politique.
« Le dernier Atlas » est lui aussi une fable politique. Depuis 2003, j’avais cette idée de robot trouvé dans une décharge et avec Gwenn, nous avons trouvé que ça nous permettrait de parler de cette France des trente soi disant glorieuses, cette France que De Gaulle voulait nucléaire, rayonnant dans le monde par le nom de ses auteurs français, un phare dans la nuit, un guide dans l’universalisme…et le fait qu’on retrouve ce robot dans une décharge en Inde en dit beaucoup. En une image, on synthétise la mondialisation.
C’est un télescopage.
Et on aime bien trouver des images aussi fortes qui permettent, en parlant d’une possible invasion extra terrestre, de parler de la colonisation. Quelle meilleure image que celle-ci pour parler de la colonisation ! C’est littéralement une invasion extra terrestre, soi disant pour le bien de la population indigène.
Le plus drôle est qu’il y a eu, il n’y a pas si longtemps, il y a dix ou quinze ans un débat sur l’utilité de la colonisation, parmi les députés. Certains voulaient en faire reconnaître les bienfaits.
Il y a peut-être eu des bénéfices collatéraux. Une de mes amis disait « Oui, c’est vrai, on a construit des routes dans les pays colonisés…pour mieux leur piquer les matériaux dont nous avions besoin. »
Un grand récit avec un robot n’avait de sens pour Gwenn et moi que dans la mesure où il permet de recouper les grandes thématiques que nous voulions aborder, l’immigration, la politique énergétique, l’écologie.
On revient à l’hybridation parce que le livre réunit l’Histoire, l’actualité internationale, celle qui concerne plus particulièrement l’Algérie, qui est très riche en ce moment et découle de ce que le livre évoque, ainsi que des choses peut-être un peu plus cachées comme les enjeux du pétrole, les services secrets et les coups tordus…
Derrière les grands moments de géo stratégie, on retrouve la volonté d’accaparement de l’énergie ou de l’eau qu’on habille des oripeaux de l’universalisme pour se donner un vernis de bonne conscience. Aujourd’hui, on dirait qu’on va aider à rétablir la démocratie.
Pour revenir à la guerre d’Algérie, le pétrole a été trouvé en 56, alors que les « événements » avaient déjà commencé. On ne peut pas s’empêcher de se demander ce qui se serait passé si on l’avait découvert quinze ans plus tôt.
Tu as raison. Cette référence nous permettait aussi de nous inscrire dans une lignée. Que des robots géants soient anthropoïdes n’est pas logique. Si on veut s’élever vers l’espace, on ne construit pas un oiseau de fer géant mais une fusée, mais nous avions cette volonté artistique de nous inscrire dans cette lignée qui commence avec « Le roi et l’oiseau », se poursuit avec Miyazaki…se poursuit avec » Le géant de fer » de Brad Bird. Nous voulions montrer que nous avons eu en France cet imaginaire qui est associé aujourd’hui aux USA ou au Japon, une sorte de démesure spectaculaire à laquelle « Le roi et l’oiseau » ajoutait de la poésie, la dimension d’une fable politique.
« Le dernier Atlas » est lui aussi une fable politique. Depuis 2003, j’avais cette idée de robot trouvé dans une décharge et avec Gwenn, nous avons trouvé que ça nous permettrait de parler de cette France des trente soi disant glorieuses, cette France que De Gaulle voulait nucléaire, rayonnant dans le monde par le nom de ses auteurs français, un phare dans la nuit, un guide dans l’universalisme…et le fait qu’on retrouve ce robot dans une décharge en Inde en dit beaucoup. En une image, on synthétise la mondialisation.
C’est un télescopage.
Et on aime bien trouver des images aussi fortes qui permettent, en parlant d’une possible invasion extra terrestre, de parler de la colonisation. Quelle meilleure image que celle-ci pour parler de la colonisation ! C’est littéralement une invasion extra terrestre, soi disant pour le bien de la population indigène.
Le plus drôle est qu’il y a eu, il n’y a pas si longtemps, il y a dix ou quinze ans un débat sur l’utilité de la colonisation, parmi les députés. Certains voulaient en faire reconnaître les bienfaits.
Il y a peut-être eu des bénéfices collatéraux. Une de mes amis disait « Oui, c’est vrai, on a construit des routes dans les pays colonisés…pour mieux leur piquer les matériaux dont nous avions besoin. »
Un grand récit avec un robot n’avait de sens pour Gwenn et moi que dans la mesure où il permet de recouper les grandes thématiques que nous voulions aborder, l’immigration, la politique énergétique, l’écologie.
On revient à l’hybridation parce que le livre réunit l’Histoire, l’actualité internationale, celle qui concerne plus particulièrement l’Algérie, qui est très riche en ce moment et découle de ce que le livre évoque, ainsi que des choses peut-être un peu plus cachées comme les enjeux du pétrole, les services secrets et les coups tordus…
Derrière les grands moments de géo stratégie, on retrouve la volonté d’accaparement de l’énergie ou de l’eau qu’on habille des oripeaux de l’universalisme pour se donner un vernis de bonne conscience. Aujourd’hui, on dirait qu’on va aider à rétablir la démocratie.
Pour revenir à la guerre d’Algérie, le pétrole a été trouvé en 56, alors que les « événements » avaient déjà commencé. On ne peut pas s’empêcher de se demander ce qui se serait passé si on l’avait découvert quinze ans plus tôt.
(La suite de l'interview en cliquant sur le volet suivant)