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Move-On Magazine

Rencontre avec Jean-Marc Salomon à La Fabric. Collecter puis transmettre


Nous avons suivi Jean-Marc Salomon pendant un an lors de vernissages, de conférences, et puis un jour, il m'a reçu dans son bureau, à La Fabric. Il propose un café et va le préparer lui-même. J'en profite pour regarder les livres sur les rayons de la bibliothèque, les revues d'art. Quand l'entretien débute, je me rends bien sûr compte que la bibliothèque ne fait pas office de décoration mais que l'art est essentiel à la vie de mon interlocuteur.


| Publié le Dimanche 25 Octobre 2015 |

Jean-Marc Salomon©D.R.
Jean-Marc Salomon©D.R.
Pensez-vous que dans notre société tournée vers la productivité, l’art soit « à la marge » ?

Oui, quoique si l’on se réfère au monde industriel et à celui de la communication, on constate que le marketing prend de plus en plus d’importance et que lui-même fait appel de plus en plus à des agences de pub et il n’est pas certain qu’à l’intérieur de celles-ci, il n’y ait pas de très grands artistes qui ont choisi non pas les arts plastiques ou d’autres domaines, mais celui de la publicité. Pour moi l’art, aujourd’hui, est partout. Regardez une affiche ; elle est mise en page et composée par des gens qui ont un background artistique, soit une école de graphisme, soit une école d’art.
Il y a donc une utilité mercantile de l’art et puis, plus fondamental, un rapport au monde qui m’intéresse beaucoup. L’art est pour moi une source continuelle de réflexion sur moi-même et sur mon époque. Au fur et à mesure des lectures, de l’acquisition d’un peu de culture, notre vision du monde change ainsi que la perception de soi-même. Je pourrais dire que pour moi, l’art est presque une thérapeutique. J’ai beaucoup de plaisir à être dans un musée, ça me calme, me questionne.
Pour le grand public, au-delà de l’art, c’est la question de la culture qui me semble très importante. Ça permet de sortir des discussions de salon, de prendre du recul, de sortir des discussions de café, qui peuvent être intéressantes, qui parfois posent des questions simples et percutantes mais la culture permet d’approfondir ce rapport au monde, elle me sert aussi à accepter la tragédie de la condition humaine.

C’est très philosophique.

Un petit peu !

Est-ce que l’art contemporain invite à réfléchir autant que l’art classique ? Il invite à une liberté d’interprétation mais il faut avoir les outils nécessaires.

En effet, dans tous les domaines de l’art, il faut avoir un minimum de culture, un minimum d’apprentissage est nécessaire dans le regard des œuvres. Quand les gens mettent en opposition les œuvres classiques et contemporaines, ils restent sur Botticelli ou sur une Annonciation…

Œuvres séduisantes…

Elles sont séduisantes, on peut rester sur ces belles couleurs, ces beaux personnages, quoique… mais sans voir comment l’apparition de la perspective au début du XV° siècle va changer le rapport à ce qu’est l’Annonciation. Souvent, pour les grands artistes, Gabriel ne voit jamais la Vierge puisqu’il y a toujours une colonne, un mur ; la colonne, parce qu’elle est le symbole de Jésus Christ, n’est pas posée là innocemment. Dans le fond perspectif, il y a toujours un objet anachronique, une plaque de marbre ou une porte qui, si on la ramène aux dimensions du premier plan, est énorme. Que ce soit pour l’art de la Renaissance ou l’art contemporain, il y a un minimum d’apprentissage et de culture à posséder pour apprécier l’œuvre et ne pas rester au niveau de l’objet formel afin de déclencher des réflexions, par exemple en mettant l’œuvre en perspective et en la replaçant dans le courant des générations.
L’art contemporain apporte peut-être une plus grande liberté dans ce que le regardeur peut penser de l’œuvre. Le public est amené à voir autre chose que l’artiste n’aurait pas vu mais qui est tout aussi valide. Cette ouverture intéresse beaucoup les artistes d’aujourd’hui.

Ce qui conduit à une conversation permanente entre l’œuvre, le public et l’artiste.

Tout à fait. On constate, au 20ème - 21ème siècle, qu’il se passe quelque chose entre l’œuvre et celui qui la regarde. L’art se trouve peut-être entre ces deux éléments.

On a pu regretter Alex et le château d’Arenthon qui abritait la Fondation. Finalement, ici s’installe une autre dynamique, carrément en ville, et vous gardez toujours quelque chose à destination du public scolaire.

Déjà à Alex, nous avions la volonté d’être didactiques afin de donner des éléments pour comprendre le travail des artistes d’aujourd’hui parce que, il faut le dire, il y a un grand fossé entre le public et l’art contemporain. Pour certains, c’est une supercherie. L’idée de la Fondation était de combler ce fossé, de donner des éléments qui peuvent être parfois assez simples de manière à ce que le public comprenne pourquoi les artistes d’aujourd’hui travaillent dans ce sens, produisent certaines œuvres. Se tourner donc vers le jeune public dont j’ai la faiblesse de croire qu’il sera le public de demain. À la Fondation, nous avons reçu beaucoup de publics scolaires, des enfants qu’on voyait ensuite revenir avec leurs parents le week-end. Constater que la transmission s’effectue ainsi est très satisfaisant ; c’est peut-être le rôle de personnes comme moi d’être diffuseurs d’art, non pas avec l’idée de se trouver à la pointe dans la recherche de l’art – si on peut parler de recherche dans ce domaine – mais de donner des clés de compréhension. Amener des gens à venir voir une exposition est déjà pas mal, les entraîner à revenir voir d’autres expositions et à faire ensuite leur propre chemin, c'est encore mieux.

Cette volonté de transmission, d’éducation, était-elle présente dès que vous êtes devenu collectionneur ou bien est-elle venue au fil du temps ?

Ma collection est indépendante de la Fondation, mais si je suis collectionneur, c’est lié dès l’origine à l’idée de montrer, de faire partager un enthousiasme. Il n’y a pas eu de réflexion au niveau patrimonial, du genre « je vais découvrir de jeunes artistes d’aujourd’hui qui vaudront davantage dans dix ou vingt ans… », mais acheter des œuvres d’art, c’est aussi permettre aux jeunes artistes de vivre. Plutôt que d’acheter un yacht… ma passion, mon hobby, ma faiblesse est d’acheter des œuvres d’art. Il est important d’aider les artistes, notamment dans le contexte français où l’un des principaux acheteurs est l’Etat à travers diverses structures, il est important de ne pas lui laisser une sorte de monopole et d’avoir des collectionneurs privés.

C’est une attitude politique, au sens large, sans étiquette.

Oui, tout à fait.

Certaines personnes se font une idée des musées comme structures pesantes, figées, alors que quand on vient ici, avenue de Loverchy, ou à l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux, ou encore aux Haras, on a l’impression, comme naguère au château d’Arenthon, d’être un peu chez soi.

Les gens s’identifient peut-être un peu à la Fondation et à ma personne, ce qui établit un rapport plus direct que dans un musée, qui est plus impersonnel. Et puis je viens de cette région, je suis un local. Ce lien direct me va très bien et me réjouit. Le fait d’avoir quitté Alex permet de le renforcer, d’être plus réactif et dynamique pour le même budget et de toucher un plus large public sans avoir à exposer des artistes déjà reconnus. À Alex une sorte d’habitude s’était installée, quelque chose qui me correspondait moins. Aujourd’hui, sur Annecy, on fait plus d’ « agitation » de manière à créer une émulation, un public peut-être un peu plus jeune. Ceci me correspond mieux, comme par exemple la possibilité d’inviter ici à la Fabric des associations (comme Images Passages, NDLR) qui peuvent y organiser leurs expositions. On peut aussi prendre des risques en montrant des œuvres plus difficiles, plus pointues. Tout ceci est plus dynamique et, pour moi, plus enrichissant.

Vous vous inscrivez dans une véritable dynamique culturelle annécienne déjà très riche.

Oui, Annecy est culturellement très développée par rapport à sa taille mais nous venons combler un vide au niveau des arts plastiques qui n’ont jamais été véritablement pris en compte par les élus. Mais aujourd’hui, comme la ville se gentrifie, il y a une demande. On note le succès de l’école d’art qui a ouvert son centre à Cran sur les pratiques amateurs – cours d’histoire de l’art, de dessin…

Cette demande a peut-être été créée par l’existence de la Fondation.

Peut-être, c’est l’histoire de la poule et de l’œuf ! L’essentiel est que ça fonctionne et que les élus commencent à percevoir l’importance des arts plastiques… À ce propos, il est intéressant de voir comment les jeunes utilisent les moyens actuels pour faire de petites vidéos, de la musique… on ne sait pas encore si c’est de l’art.

Il faut du recul pour savoir si c’est de l’art ?

Bien sûr. On voit peu les artistes pompiers du 19ème siècle actuellement, alors que les Impressionnistes achetés en grand nombre par les Américains qui voulaient se constituer des collections ne valaient pas grand chose à l’époque ; c’est d’ailleurs pour cette raison qu’ils les achetaient, ils étaient bon marché ! Nombre d’artistes montés au pinacle aujourd’hui seront oubliés dans trente ans.

Vous recevez Move-On à La Fabric, nous avons déjà évoqué l’Abbaye d’Annecy-le-Vieux où votre présence est assurée pour trois ans et, nous l’espérons, au-delà. Aux Haras, l’exposition Samuel Rousseau a été très réussie même si, vous le soulignez, le lieu doit trouvez une véritable identité pour mieux rayonner. Quelles sont vos autres activités ?

Nous louons des pièces de ma collection personnelle à des lieux d’art contemporain. Nous avons aussi le cercle des amis de La Fondation (une centaine de personnes actuellement) qui organise des visites d’expositions, des voyages à la Biennale, et au couvent de la Tourette certainement cet automne. S’y ajoute une série de conférences avec Philippe Piguet, ouvertes à tous, qui auront lieu à l’Abbaye tous les deux mois, le premier jeudi du mois (1ère le 15/10). Chaque année l’Ecole d’Art des Marquisats vient exposer les travaux des étudiants de 5° année. Nous avons aussi une action en direction de l’aide à l’édition, un partenariat avec la revue Hippocampe (arts visuels/philosophie/littérature - on peut consulter le site internet).
Un collectif en résidence à l’Artothèque d’Annecy a utilisé l’un des murs de La Fabric, qui avait été inauguré par Rylsee, pour exposer un travail sociologique sur l’art à l’occasion des trente ans de l’Artothèque.
Et puis, notre dernière activité est le Prix de La Fondation décerné par un jury de personnes qualifiées du monde de l’art contemporain et qui consiste en une résidence de six mois à New-York à l’ISCP, avec une bourse pour vivre ces six mois. Ce prix est ouvert aux artistes de la francophonie, sans limite d’âge. La lauréate de l’année dernière est Anita Molinero, qui a une soixantaine d’années. Nous ne demandons pas de contrepartie, de production d’œuvres pendant cette résidence afin de ne pas mettre de pression inutile sur les artistes, mais nous espérons organiser d’ici quelques années à New-York une exposition avec les œuvres des artistes en résidence. À New-York parce que depuis la biennale de 84 et Rauschenberg, New-York est le centre du monde de l’art, et pour permettre aux artistes francophones de se faire connaître.

Ce moment passé avec Jean-Marc Salomon confirme ce que l’on peut percevoir de lui en public : une grande simplicité, aucune volonté de paraître. Un homme qui se nourrit de l’art et qui est au service de celui-ci, à la recherche d’une forme de vérité.
 
> Rendez-vous aux expositions de la Fabric au 34, avenue de Loverchy, 74000 Annecy
> Plus d'informations sur La Fabric sur http://www.fondation-salomon.com/


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