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Claude Brozzoni, "C'est la vie", et c'est à la maison, à Annecy


La formule "C'est la vie" peut évoquer tout un tas de choses, l'affirmation d'un fait, une sorte de résignation ou encore une force de résilience. Pour le metteur en scène annécien Claude Brozzoni, c'est le titre de son nouveau spectacle, qu'il a créé sur un texte de Peter Turrini, et qu'il présente à Bonlieu Scène Nationale du 6 au 15 octobre 2015. En scène!


| Publié le Mardi 8 Septembre 2015 |

Quentin Chatelain, acteur sur le spectacle "C'est la vie". © D.R.
Quentin Chatelain, acteur sur le spectacle "C'est la vie". © D.R.
Votre théâtre, c’est l’amour des textes, de la musique et l’intervention de plasticiens.
Sur C’est la vie, il y a de la musique mais pas de plasticiens ; du visuel en revanche. Une installation plastique sur laquelle on va projeter des images. On a travaillé sur des captations d’images très oniriques. Elles ne racontent pas une histoire mais représentent des émotions, des sensations.

Vous en êtes au tout début des répétitions. Ces images sont déjà « calées ? »
Nous les avons tournées en Autriche au mois de juin. Un réalisateur fait les images en ce moment et nous verrons si ça fonctionne, sinon on y renoncera.

Il y a une part d’adaptation pour tout, au fur et à mesure que les répétitions avancent.
Oui. Les musiciens travaillent à l’étage en dessous de la salle où nous nous trouvons, et là nous sommes encore au travail de la table depuis neuf jours. On lit, on fait des explications de texte pour comprendre ce qu’il raconte et trouver des énergies pour le dire, pour trouver un « paysage » qui permettra de passer à l’étape suivante.

Comment faut-il comprendre le titre de la pièce C’est la vie ?
Ce n’est pas fataliste. C’est vivant, la vie, de l’énergie. Là où elle nous amène, pas toujours là où nous situions nos projets. C’est un endroit de quête, de recherche qui nous fait évoluer. La vie, c’est fort. Au fond, je suis fataliste mais j’ai de l’espoir. On ne va pas vers un monde meilleur mais vers l’expérience de soi-même.

Est-ce que faire du théâtre c’est l’expérience de soi-même ?
Pour moi oui, c’est ma vie. Le théâtre transforme ma vie, il m’apporte une autre compréhension, il me fait me découvrir, trouver des limites qui me permettent d’être libre, de me définir. Il est en harmonie avec ma vie spirituelle.

Vous parlez de liberté. L’espace d’une scène est limité. C’est une contrainte.
La liberté passe par des contraintes. La liberté d’un texte, par exemple, est en même temps la contrainte de ce texte, chaque mot, la ponctuation, les « e » muets, les élisions, dire la langue telle qu’elle est écrite. Assez souvent la langue a disparu au théâtre, remplacée par des situations, mais on n’entend pas ce qui se dit, ce qui se raconte vraiment parce que la langue est bafouée. Quand on n’aborde pas la langue, on passe tout de suite par le jeu. C’est justement à travers la langue que Peter Turrini adolescent a compris certaines choses dans une maison d’artistes au contact de gens comme Thomas Bernhard. Turrini s’en sort à travers les mots, comme Gaudé. Garouste (L’Intranquille) écrit que ce n’est pas la technique pour la technique, mais la technique pour être libre. Dans mes mises en scène, tous les éléments entourent l’acteur pour faire passer ce qui est dit.

Qu’est-ce qui se passe ou doit se passer sur une scène de théâtre ? Qu’est-ce qui se joue ?
La scène est un lieu de transformation, un passage. C’est pourquoi un comédien doit arriver trois – quatre heures à l’avance. Il se prépare comme il veut mais la scène est un endroit sacré où va se dérouler une cérémonie avec un effet de catharsis. C’est effrayant, mais il faut arriver sur scène pour donner le meilleur de ce qu’on peut donner.
Au théâtre des forces s’affrontent, qui ne sont pas morales et il ne faut pas truquer les choses pour les restituer à travers cette mémoire de l’Histoire universelle qui est en chacun de nous. On met en branle des choses qu’on ne contrôle pas mais qui, par le langage, passent entre les mains des poètes et viennent ensuite s’incarner bizarrement chez une personne.

La langue de Turrini est à la fois décapante et très simple.
C’est en même temps très simple, « gentil », et c’est une nécessité qu’il a de l’écrire pour exprimer la peur, l’effroyable qu’il porte en lui. La difficulté est de rendre cette simplicité en captivant le public.    
[Et Claude Brozzoni de lire un passage de la pièce comme ça, au débotté, apparemment détaché. Dans sa simplicité et grâce à la voix de Claude, le texte vibre vraiment]
Peter Turrini se parle à lui-même et parle aux autres en même temps. Ça part de sa naissance, ça va presque jusqu’à sa mort mais il n’y a pas une histoire, ce sont des bulles. Comment on donne ça ?

Comment  devient-on soit acteur, soit metteur en scène ?
Mes parents étaient des prolos. J’ai suivi une formation d’électronicien. Ma mère pensait que je serais libre, que je ne dépendrais de personne. A 14 ans, je traitais mes parents de capitalistes… quand ma mère est morte je suis parti en vrille. J’étais révolté. Mon histoire est très proche de celle de Turrini. Et puis j’ai rencontré le théâtre à 22-23 ans, l’époque des communautés. C’était rigolo, on couchait avec les filles, on faisait de la musique et au bout de 2-3 ans, je me suis rendu compte que le théâtre était un axe, que j’étais enraciné , ça m’a « pris » parce que je n’avais jamais rêvé de faire du théâtre. Et puis je me suis mis à jouer, j’ai travaillé longtemps avec celui que j’appelle mon maître, Jacques Coex, peintre à la Roche-sur-Foron. Par lui et sa compagne j’ai découvert la littérature, le cinéma, le théâtre, la peinture. Ensuite j’ai travaillé avec des auteurs contemporains d’Annecy, pour des metteurs en scène et comme je ne jouais pas tout le temps, j’ai fait mes propres spectacles. Le passage à la mise en scène s’est fait naturellement. J’étais pourtant un bon comédien mais aujourd’hui je n’aurais plus envie de jouer. Je prends trop de plaisir à voir jouer les autres. Les bons acteurs sont comme un pilote de rallye, toujours à la limite, ils ne doivent pas sombrer dans la facilité. Certains comédiens ne veulent pas jouer avec ces limites, se mettre en danger. Le travail du metteur en scène est de les y pousser, mais ça peut être dur, dangereux de découvrir certaines choses de soi-même.

Comment choisissez-vous vos acteurs ?
(Grand rire de Claude Brozzoni)
Quand j’ai rencontré Jean- Quentin Châtelain, par exemple, il y a eu une sorte d’évidence, alors que je me trouvais au milieu d’angoisses et d’interrogations. Mais quand je l’ai vu jouer, c’est un peu comme si le texte de C’est la vie l’avait choisi en disant « C’est lui ! ». (On sent une véritable émotion alors que Claude évoque cette rencontre). Je voulais travailler avec lui depuis longtemps et c’est devenu une évidence, mais maintenant qu’on est dans le travail, dans le voyage, l’évidence laisse place au doute… pour parler de la pièce. Faire du théâtre, c’est fabriquer un bateau dans la tempête. Il ne s’agit pas de gagner contre qui que ce soit mais de gagner notre voyage.

Certainement un voyage plein de promesses à partager avec Claude Brozzoni et toute la troupe.
Pour toutes les infos et réservation, rendez-vous sur le site de Bonlieu Scène Nationale. Pour être tenté par un autre spectacle, lisez notre entretien avec Robert Lepage, Dans les bagages de Robert Lepage.

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