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Entretien avec Orsten Groom
Il y a comme une sorte de rythme et de danse dans votre travail.
La flèche immobile chez Lao Tseu, à pleine vitesse et à plein potentiel, la pile surchargée ou le totem, la crise - soit la virtualité. Foncièrement à cet instinct d’intensité, l’injonction de Nietzsche reste cardinale : « Je ne saurais croire qu'en un dieu qui comprendrait la danse. Je considère comme gaspillée toute journée où je n'ai pas dansé. Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde. »
L’atelier est l’arène ou l’étable où s’ébroue une portée à la recherche du ventre dont elle est issue, et ma danse porcine et pansue consiste à bondir de l’un à l’autre de ces museaux avides pour leur fournir la becquée, quand leur voracité colorée la réclame. C’est une véritable centrifugeuse d’appels et de précipi… tations - j’allais dire « précipices ».
C’est le cœur de votre travail.
« Man kann auch in die Höhe fallen » - Chuter vers le haut, c’est la base. Chute de la hantise, du sortilège et de la jouissance, entre l’homme renversé du puits de Lascaux et le plongeur de Campanie : le tombement d’Apocalypse entre le monde et lui-même, voilà l’intervalle pour lequel je travaille.
D’où tirez-vous toutes ces références ? Vous êtes un lecteur passionné ? pas uniquement un cérébral puisque votre travail associe le corps et l’esprit.
J’ai toujours énormément lu et été curieux du monde, plus exactement du phénomène de l’existence, tout comme la peinture existe avant moi et continuera d’exister après. Ce carnaval d’être est un flot qui charrie la permanence de l’origine, par tourbillons interposés. Cette immanence du monde et l’immanence de l’art comme rapport au monde est pour moi la seule autorité, la seule chose à laquelle je puisse me soumettre pleinement. En tant qu’animal, forme humaine, artiste et vermine quelconque - organisme. Le livre, comme l’Au-delà, est un organe foncier, la vocation bipède.
Vous vous revendiquez « artiste autogéré ». Qu’est-ce que ça signifie ?
Que je suis totalement, radicalement indépendant, autogéré donc autosuffisant. Je me charge seul de toute la chaîne de production : communication, fabrication des livres, cartons d’invitation, mise en page, site internet, absolument tout de A à Z… je produis mes propres expositions, loue des espaces, prends en charge le transport, l’éclairage, les affiches, la permanence des expositions, etc, les relations humaines et l’art subtil du marchandage.
J’ai ainsi produit 5 expositions personnelles entre 2015 et 2017, avec des catalogues - et collabore depuis le mois de septembre avec mon amie VVV qui m’aide à juguler la somme démentielle d’efforts et de casquettes que ça réclame, sous l’égide du ténébreux Bureau Orsten Groom. Je refuse catégoriquement tout rapport avec l’État, toute aide, subvention, et un quelconque statut social pour préférer la coulisse du Théâtre d’Oklahoma.
Ça nécessite bien évidemment un sacrifice total de relations sociales, amicales, amoureuses : cette vocation n’est pas mondaine mais messianique, et je vais chaque semaine me noircir la tronche en observant les flamants roses au Jardin des plantes, les mâchoires inversées et le crâne plongé dans boue d’où ils puisent leur couleur.
Ce n’est pas dur de vivre libre - même foncièrement naturel - il faut simplement en payer le prix, en observer l’aplomb et l’acouphène de solitude.
Les tableaux sont ce qu’il y a de plus simple à produire, à condition de s’y remettre entièrement : c’est facile, ça sort tout seul, c’est magique et autoritaire. On donne, ça réagit et on réagit en retour - comme pour tout : s’il manque du rouge on rajoute du rouge, si c’est du bleu alors du bleu, on serre les boulons et on arrête quand c’est fini. C’est le truc de Kafka : « Réduis toujours plus ton cercle, puis assure-toi que tu n’es pas caché à l’extérieur. »
Vous êtes quelqu’un d’intransigeant.
Qui ne l’est pas ? Il y a d’abord les sacrifices que je mentionnais, dont la santé, qui m’inclinent à attendre de l’extérieur autant d’attention et d’ardeur que je produis. Et puis, disons, un caractère de chien, la hargne l’impatience et la misanthropie : fatalisme, spontanéité et despotisme inoculés dans le système nerveux. Ensuite je suis le seul au monde à percevoir comment ma peinture doit sonner quand je la fourbis, à la touche. J’y suis assez attentif après coup pour y repérer certaines séries d’enjeux et de raisonnements qui ont ou non des rapports directs avec ma sensation et mon intimité. Deux notions se trouvent à équidistance, la certitude que la peinture est un phénomène impersonnel, et que cet impersonnel prend en charge mon intimité comme le monde entier.
Le monde et la peinture me précèdent et le fait de se remettre à cette chose n’est régulé que par la nécessité de la faire jaillir du poignet et tinter d’une certaine façon plutôt que d’une autre. La façon de rebondir avec la toile, d’associer les accords colorés, de sentir ce qu’est la composition. Tout le monde en fait l’expérience en gribouillant, ou ne serait-ce qu’en écrivant : la façon de tenir le crayon ou de croiser les jambes. La facture dans tous les sens du terme est à la fois la manière de toucher et la dette à payer. Mes goûts personnels n’ont rien à faire là-dedans et d’ailleurs je n’apprécie pas nécessairement cette peinture - objectivement elle me ferait peut-être même vomir - mais peu importe car elle m’est échue : elle est ma mission chevaleresque.
La peinture est une puissance naturelle, de même que le soleil, le principe de la respiration, les forces du sommeil auxquelles la fatigue nous astreint. La peinture prend en charge et régule le monde entier, et je ne représente aucune exception particulière à ce phénomène. Chaque tableau est la rencontre à contre jour d’un inconcevable et d’un délire du foutu soi écarquillé face au fond qui l’apostrophe, l’assigne, l’ordonne comme autre. Il y a une oscillation contradictoire entre l’espérance d’une délivrance et la répulsion du contact avec un semblable.
« Vivre est le carnaval de l’Être » selon Jarry, et l’existence un animal, un organe, une forme de vie qui s’exerce et fraye dans l’affliction du temps humain. Le tout du monde contre tout le monde. Mon intransigeance n’est que le reflet, le poumon de celle qui s’exerce sur mon tout-à-chacun. Et si on ne la vit pas intégralement, à 100%, jusque dans son sommeil ou par son dernier souffle, ce n’est même pas la peine de vivre.
Il y a comme une sorte de rythme et de danse dans votre travail.
La flèche immobile chez Lao Tseu, à pleine vitesse et à plein potentiel, la pile surchargée ou le totem, la crise - soit la virtualité. Foncièrement à cet instinct d’intensité, l’injonction de Nietzsche reste cardinale : « Je ne saurais croire qu'en un dieu qui comprendrait la danse. Je considère comme gaspillée toute journée où je n'ai pas dansé. Il faut avoir une musique en soi pour faire danser le monde. »
L’atelier est l’arène ou l’étable où s’ébroue une portée à la recherche du ventre dont elle est issue, et ma danse porcine et pansue consiste à bondir de l’un à l’autre de ces museaux avides pour leur fournir la becquée, quand leur voracité colorée la réclame. C’est une véritable centrifugeuse d’appels et de précipi… tations - j’allais dire « précipices ».
C’est le cœur de votre travail.
« Man kann auch in die Höhe fallen » - Chuter vers le haut, c’est la base. Chute de la hantise, du sortilège et de la jouissance, entre l’homme renversé du puits de Lascaux et le plongeur de Campanie : le tombement d’Apocalypse entre le monde et lui-même, voilà l’intervalle pour lequel je travaille.
D’où tirez-vous toutes ces références ? Vous êtes un lecteur passionné ? pas uniquement un cérébral puisque votre travail associe le corps et l’esprit.
J’ai toujours énormément lu et été curieux du monde, plus exactement du phénomène de l’existence, tout comme la peinture existe avant moi et continuera d’exister après. Ce carnaval d’être est un flot qui charrie la permanence de l’origine, par tourbillons interposés. Cette immanence du monde et l’immanence de l’art comme rapport au monde est pour moi la seule autorité, la seule chose à laquelle je puisse me soumettre pleinement. En tant qu’animal, forme humaine, artiste et vermine quelconque - organisme. Le livre, comme l’Au-delà, est un organe foncier, la vocation bipède.
Vous vous revendiquez « artiste autogéré ». Qu’est-ce que ça signifie ?
Que je suis totalement, radicalement indépendant, autogéré donc autosuffisant. Je me charge seul de toute la chaîne de production : communication, fabrication des livres, cartons d’invitation, mise en page, site internet, absolument tout de A à Z… je produis mes propres expositions, loue des espaces, prends en charge le transport, l’éclairage, les affiches, la permanence des expositions, etc, les relations humaines et l’art subtil du marchandage.
J’ai ainsi produit 5 expositions personnelles entre 2015 et 2017, avec des catalogues - et collabore depuis le mois de septembre avec mon amie VVV qui m’aide à juguler la somme démentielle d’efforts et de casquettes que ça réclame, sous l’égide du ténébreux Bureau Orsten Groom. Je refuse catégoriquement tout rapport avec l’État, toute aide, subvention, et un quelconque statut social pour préférer la coulisse du Théâtre d’Oklahoma.
Ça nécessite bien évidemment un sacrifice total de relations sociales, amicales, amoureuses : cette vocation n’est pas mondaine mais messianique, et je vais chaque semaine me noircir la tronche en observant les flamants roses au Jardin des plantes, les mâchoires inversées et le crâne plongé dans boue d’où ils puisent leur couleur.
Ce n’est pas dur de vivre libre - même foncièrement naturel - il faut simplement en payer le prix, en observer l’aplomb et l’acouphène de solitude.
Les tableaux sont ce qu’il y a de plus simple à produire, à condition de s’y remettre entièrement : c’est facile, ça sort tout seul, c’est magique et autoritaire. On donne, ça réagit et on réagit en retour - comme pour tout : s’il manque du rouge on rajoute du rouge, si c’est du bleu alors du bleu, on serre les boulons et on arrête quand c’est fini. C’est le truc de Kafka : « Réduis toujours plus ton cercle, puis assure-toi que tu n’es pas caché à l’extérieur. »
Vous êtes quelqu’un d’intransigeant.
Qui ne l’est pas ? Il y a d’abord les sacrifices que je mentionnais, dont la santé, qui m’inclinent à attendre de l’extérieur autant d’attention et d’ardeur que je produis. Et puis, disons, un caractère de chien, la hargne l’impatience et la misanthropie : fatalisme, spontanéité et despotisme inoculés dans le système nerveux. Ensuite je suis le seul au monde à percevoir comment ma peinture doit sonner quand je la fourbis, à la touche. J’y suis assez attentif après coup pour y repérer certaines séries d’enjeux et de raisonnements qui ont ou non des rapports directs avec ma sensation et mon intimité. Deux notions se trouvent à équidistance, la certitude que la peinture est un phénomène impersonnel, et que cet impersonnel prend en charge mon intimité comme le monde entier.
Le monde et la peinture me précèdent et le fait de se remettre à cette chose n’est régulé que par la nécessité de la faire jaillir du poignet et tinter d’une certaine façon plutôt que d’une autre. La façon de rebondir avec la toile, d’associer les accords colorés, de sentir ce qu’est la composition. Tout le monde en fait l’expérience en gribouillant, ou ne serait-ce qu’en écrivant : la façon de tenir le crayon ou de croiser les jambes. La facture dans tous les sens du terme est à la fois la manière de toucher et la dette à payer. Mes goûts personnels n’ont rien à faire là-dedans et d’ailleurs je n’apprécie pas nécessairement cette peinture - objectivement elle me ferait peut-être même vomir - mais peu importe car elle m’est échue : elle est ma mission chevaleresque.
La peinture est une puissance naturelle, de même que le soleil, le principe de la respiration, les forces du sommeil auxquelles la fatigue nous astreint. La peinture prend en charge et régule le monde entier, et je ne représente aucune exception particulière à ce phénomène. Chaque tableau est la rencontre à contre jour d’un inconcevable et d’un délire du foutu soi écarquillé face au fond qui l’apostrophe, l’assigne, l’ordonne comme autre. Il y a une oscillation contradictoire entre l’espérance d’une délivrance et la répulsion du contact avec un semblable.
« Vivre est le carnaval de l’Être » selon Jarry, et l’existence un animal, un organe, une forme de vie qui s’exerce et fraye dans l’affliction du temps humain. Le tout du monde contre tout le monde. Mon intransigeance n’est que le reflet, le poumon de celle qui s’exerce sur mon tout-à-chacun. Et si on ne la vit pas intégralement, à 100%, jusque dans son sommeil ou par son dernier souffle, ce n’est même pas la peine de vivre.